Le système international est, par excellence, interdépendant. N'importe quel événement majeur a forcément un impact sur la scène mondiale, engendrant ainsi des implications pour les différents Etats. Ces derniers sont, désormais, appréhendés sous l'angle de blocs, qu'ils soient économiques, politiques ou géographiques. Et la région arabe fait partie, pour des raisons principalement géopolitiques, de ces blocs d'Etats en permanence sous la loupe de la communauté internationale. Dans cette vision des choses, une question légitime s'impose. A l'instar de l'effet domino qui a caractérisé le « printemps arabe », transcendant les frontières tunisiennes, libyennes, égyptiennes, jordaniennes ou encore yéménites, les réformes démocratiques, entreprises, en feedback, par les systèmes politiques de ces pays, auront-elles les mêmes implications ? L'exemple marocain se présente dans ce cadre comme un cas spécifique. Si le Royaume n'a pas fait l'exception en matière de protestations sociales, il l'a été s'agissant de la gestion, par le système politique, des revendications sociales. De sorte à ce que le « printemps marocain » se déroule en toute douceur, contrairement à d'autres pays où des « cyclones populaires » ont emporté, et les régimes politiques et les stabilités sociales. Aujourd'hui, la situation sécuritaire en Tunisie, en Egypte, en Libye, en Syrie ou encore au Yémen se trouve gravement remise en question. Pire encore, la démocratie, tant espérée, est restée lettre morte. Ce qui aura, forcément, des répercussions néfastes sur les divers domaines d'activité dans ces Etats. Sur le plan extérieur, la restitution de la « confiance perdue » de la communauté internationale prendra un certain temps et dépendra du cours des évènements. Dans toute cette dynamique arabe, pourquoi l'expérience marocaine est-elle marquée par un certain particularisme ? La réponse est à chercher, en premier lieu, du côté du projet sociétal tel qu'impulsé, il y a maintenant une dizaine d'années, par l'Institution monarchique. Les actions de réformes socioéconomiques et politiques – certes accélérées par la naissance du mouvement protestataire – préexistent à toute revendication sociale, organisée dans un corps confus voire diffus, en l'espèce, le Mouvement du 20 février. En second lieu, ce même processus de réformes engagé et le climat démocratique, ont fait que les revendications populaires ne dépassent jamais un seuil donné. On est loin des autres pays arabes où le changement du régime politique est une exigence irrévocable, préalable à tout dialogue. Au Maroc, la Monarchie est objet à consensus. Le référendum constitutionnel du 1er juillet 2011 en est une preuve tangible. Justement, la nouvelle Constitution du Royaume a consolidé ses acquis démocratiques. C'est une véritable Charte des droits fondamentaux qui capitalise sur les acquis du passé et annonce un avenir prometteur. Ainsi, dire que la réforme constitutionnelle est un résultat direct de la pression sociale serait battre en brèche les mérites de la transition démocratique au Maroc. Les réformes engagées depuis une décennie constituent une plate-forme structurante. La révision constitutionnelle se présente comme l'aboutissement de ce processus. Elle ouvre, chemin faisant, la voie à des démarches plus perfectionnées. Ce sont là des étapes indispensables, inhérentes aux pays les plus démocratiques. Car la démocratie ne se construit pas en un jour. Telle est la différence, à notre sens, entre le Maroc et un certain nombre de pays arabes. Ces derniers seront-ils en mesure d'adopter le même chemin ? Car, procéder à des réformes constitutionnelles sans témoigner d'une réelle volonté de changement et sans aménager le terrain pour ce faire ne donnera pas les résultats escomptés. Puisque, finalement, le texte constitutionnel n'est qu'un support catalyseur, dont la mise en application dépendra des différents acteurs : régime en place, acteurs politiques et société civile. A proprement parler, avant même l'adoption du nouveau texte constitutionnel, le Royaume constituait déjà, aux yeux de la communauté internationale, un modèle régional en matière de démocratisation. C'est ce qui lui a permis de consolider sa place d'allié stratégique auprès des deux premières puissances mondiales en l'occurrence, les Etats-Unis et l'Union européenne. Le Royaume est, de ce fait, un exemple à suivre dans le monde arabe. Un exemple qui, de par sa politique d'ouverture, sa diplomatie active, son rôle régional (soft power) et ses relations amicales avec l'ensemble des pays arabes, sera en mesure de leur inculquer ses valeurs démocratiques et surtout son expérience en la matière, pourvu qu'ils y consentent. Le préambule de la nouvelle Constitution réaffirme notamment cette volonté du Maroc « (…) de raffermir les liens de fraternité, de coopération, de solidarité et de partenariat constructif avec les autres Etats, et d' Œuvrer pour le progrès commun (…) ». La Oumma arabo-islamique occupe dans ce cadre une place de choix. Au-delà des réticences exprimées par quelques régimes arabes quant aux tentatives de changement, l'Occident intervient comme acteur clé. Or, ce dernier est confronté à un dilemme. De deux options l'une. Soit continuer de soutenir des régimes autoritaires mais alliés traditionnels avec lesquels des intérêts suprêmes demeurent pendants. Ce choix contient, cependant, le risque de voir toute révolte réussie produire un nouveau régime, avec les aléas que cela puisse contenir. Soit, au contraire, soutenir les réformes démocratiques, en donnant raison aux peuples. Et c'est là, un pari dont les résultats ne peuvent être calculés. Les régimes en place peuvent se transformer en ennemis jurés. A titre d'exemple, le colonel libyen Mouammar Kadhafi menace actuellement de lancer des attentats suicides contre l'Europe. Les pertes économiques peuvent également être de taille. Partant de ces constats, l'alternative consisterait à ce que la communauté internationale fasse preuve de lucidité en soutenant et en encourageant les pays ayant initié, volontairement et de bonne foi, la transition démocratique. Elle doit même persévérer dans son soutien à ces régimes. Lesquels se sont donné des obligations de moyen, voire même de résultat, pour faire aboutir les processus de réformes. * Le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion et d'analyse basé à Rabat. Acteur actif du débat sur l'intégration maghrébine, le CEI s'intéresse également aux nouvelles problématiques liées à la sécurité internationale, notamment l'immigration, le terrorisme et la fragmentation étatique. En l'an 2010, le CEI a publié, auprès des éditions Karthala, un ouvrage collectif intitulé : « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009) ». En janvier 2011, le CEI a rendu public, auprès du même éditeur, un second ouvrage titré, « Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile » et y publiera, au mois de septembre de l'année 2011, un troisième ouvrage libellé, « Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies ».