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Reportage : Sidi Ali Benhamdouch, un Moussem qui garde toujours ses mystères
Sidi Ali Benhamdouch, un Moussem qui garde toujours ses mystères
Publié dans L'opinion le 28 - 02 - 2011

Pour la première fois, durant des années, nous sommes autorisés à prendre quelques photos, dans l'enceinte même de Sidi Ali Benhamdouch, et pour cause, selon Si Mohammed, membre de la Zaouïa des Hmadcha, «gardien du temple», les disciples du Cheikh, prennent leur distance et dénoncent même certaines pratiques superstitieuses, immorales, voire sataniques et perverses qui ont cours pendant le Moussem. Il nous invite à lire et à prendre en photo une plaque affichée à l'entrée du Mausolée. Est écrit, avec toute la force et la valeur de l'écriture dans ces lieux dits sacrés «Sidi Ali Benhamdouch, érudit, mystique et soufi a consacré sa vie à la prière et à l'imploration du Tout Puissant. Ces pratiques actuelles sont hérétiques et loin des enseignements et de l'héritage légués par le fondateur de la confrérie. Sacrifices d'animaux et coutumes superstitieuses pratiqués lors de transes incompatibles avec notre religion».
La mise en garde de la zaouïa, écrite et mise en valeur visait implicitement l'«hérésie» qui risquait de porter un coup dur à l'héritage spirituel du fondateur des Hmadcha. Les homosexuels commencèrent à s'approprier le Moussem pour en faire leur rendez-vous annuel. Des rituels de mariages homosexuels se seraient organisés dans la foulée des transes et des veillées de chant. Le sacré cédait le pas au charnel et l'opinion publique locale, alertée, avait commencé à s'inquiéter.
Le problème, devenu très sérieux, explique la mobilisation tous azimut des pouvoirs publics.
Force est de constater que ce phénomène a été éradiqué, du moins visiblement. «Nous avons opté pour une approche anticipative. Cela fait plus d'un mois que nos éléments traquent toute personne au comportement douteux. Nous avons sensibilisé et responsabilisé les habitants qui louent leurs maisons pendant le Moussem. Ils sont tenus à demander les cartes d'identités à leurs locataires et à contrôler avec plus de vigilance leurs logis. L'objectif est de permettre aux visiteurs d'accomplir leurs «pèlerinages» dans de meilleurs conditions», nous a confié un haut responsable de la gendarmerie à l'entrée de l'école primaire Sidi Ali, transformée à l'occasion en quartier général de la gendarmerie.
Répondant aimablement à notre question sur une possible présence d'homosexuels sur les lieux, le responsable a été catégorique: «nous avons arrêtés plusieurs personnes pour des délits mineurs: vols à l'arrachée, ivresse, coups et blessures mais aucune personne pour homosexualité». Il parait donc que l'imposant dispositif sécuritaire déployé pour faire face à tout imprévu avec le spectre de la perversion des années dernières qui plane encore sur les consciences et surtout la médiatisation du phénomène ont eu un rôle dissuasif. La sérénité est retrouvée, la prévention a payé et le Moussem renoue avec sa tradition spirituelle.
Pour plusieurs observateurs, le Moussem connait cette année une affluence réduite due à deux facteurs, la période du Moussem qui n'a pas coïncidé cette année avec des vacances scolaires et les conditions climatiques: pluies et froid glacial le soir qui n'ont pas favorisé un flux important de visiteurs. « Nous réalisons généralement plus de la moitié de notre chiffre d'affaires pendant le Moussem. Cette année, on enregistre une baisse mais cela n'est pas alarmant, Dieu merci» confie Haj Mohammed, marchand d'ingrédients nécessaires à la «Ziara» visite spirituelle: longues bougies multicolores, «fasoukhs» (mélange à brûler pour chasser les sortilèges)... foulards, vêtements, sous-vêtements, produits cosmétiques, henné, joailleries.
Apparemment, c'est le commerce des animaux qui a souffert le plus. Notre présence a coïncidé avec le dernier jour du Moussem et, pourtant, des chèvres, des moutons et d'autres animaux, pratiquement tous de couleur noir, emplissaient les étables de fortune, créés à l'occasion. De temps à autres, des bêtes, couvertes de rubans verts sont conduites, au rythme des tambours et «Laghit» à l'abattoir du Moussem. C'est l'offrande ou «Hdya». Une fois la bête du sacrifice offerte aux saints des lieux, sa viande est récupérée et revendue à des bouchers, des restaurants ou même consommée sur place dans les tentes-restaurants qui se dressent tout le long du chemin qui mène vers le mausolée. La destinée de cette viande comme celle du poulet pose d'ailleurs un vrai problème de santé publique.
Mais Sidi Ali, c'est d'abord un lieu devenu célèbre grâce au Moussem, une petite localité relevant de la commune Mghassyine, cercle de Moulay Idriss Zerhoun, la ville sainte située sur le célèbre massif montagneux de Zerhoun, s'étendant sur une superficie de 275 Kms, mais aussi et surtout un mausolée ou un marabout, c'est selon, rendu célèbre par le Moussem qui porte son nom et qui commence traditionnellement sept jours après le Mouloud, naissance du prophète Sidna Mohammed. Le village se métamorphose durant le Moussem multipliant par 10 le nombre de ses habitants. Superstition ou croyances occultes, les sacrifices continuent. Des cris de femmes viennent parfois déchirer le silence cédé par les «Tbals et Lghita» des Hmadcha qui sont déjà à une phase avancée de leur transe. Les rituels de tout genre s'affichent, les confréries se succèdent et certaines scènes choquent par leur violence «Lafrissa», «eaux chaudes» et flagellations.
Notons que tous les rituels d'une certaine perception de la religion dans les couches populaires, le Mouloud représente le moment propice pour les moussems autour des zaouïas, des confréries et des tombeaux des marabouts. Une grande partie des moussems dans la région de Meknès a donc lieu pendant, ou autour de la fête du Mouloud: Le moussem de Cheikh el Kamel, Hadi Ben Aïssa, le fondateur de la fraternité des Aïssaoua, a toujours lieu pendant ces jours à Meknès. Les Moussem de Sidi Ali Ben Hamdouch et Ahmed Dghoughi - également connus comme fondateurs de fraternités populaires- se déroulent sept jours après le Mouloud dans la montagne du Zerhoun. Ces fêtes sont encore aujourd`hui fréquentées par une immense foule de pèlerins provenant de toutes les régions du Maroc, l'affluence est telle qu'on craint à chaque Moussem des événements imprévus ou des problèmes de santé. En quelques jours, Sidi Ali Ben Hamdouch se métamorphose en un lieu peuplé de milliers de personnes, des tentes dressées partout, un monde spirituel et mystérieux où le sacré côtoie le profane et parfois même le tabou. Les superstitions de tout genre sont mêlées à des nuits de lectures de Coran et de «Madih». On attribue d'ailleurs aux saints soufis Sidi Ali Ben Hamdouch et Sidi Ahmed Dghoughi de nombreux pouvoirs. Certains malades passent même la nuit dans l'enceinte des mausolées afin d'obtenir la guérison d'une maladie chronique ou incurable, d'éloigner le mauvais œil ou de dépasser une situation de stérilité ou de célibat subi faute de prétendants.
Même si les adeptes de Sidi Ali Ben Hamdouch se démarquent de ces pratiques qu'ils jugent hérétiques et loin des enseignements légués par le Cheikh. Ce sont justement ces pratiques qui assurent le succès du Moussem et surtout certains avantages financiers. Et pour cause, Aicha (Soudania) ou Aicha «Moulat Lwade» dont la demeure, à en croire l'imaginaire des pèlerins, se trouve à Sidi Ali, est en train de détrôner le fondateur de la confrérie de Hmadcha en termes d'affluence. Cette créature légendaire pour les uns, historique et réelle pour les autres, sevante de Sidi Ali, semble posséder des pouvoirs magiques encore plus efficients et plus efficaces pour certaines maladies psychiques. Résultat, ces pratiques ont été toujours tolérées.
Autres pratique courante à Sidi Ali, les jeunes filles nubiles qui n'arrivent pas à se marier viennent conjurer leur sort en laissant dans un coin du marabout leurs sous-vêtements. C'est là une superstition connue qui, selon la croyance populaire, pourrait permettre de se délivrer d'un «Tqaf» et d'attirer des prétendants potentiels. Si les homosexuels ont déserté les lieux sous la pression d'une opinion publique plus avertie, ce sont les filles de joie, très excitées par la «hadra» (la transe) avec les «Hmadcha» qui occupent le terrain. Venues de toutes les villes du Maroc, sous pretexte de «Ziara», elles en profitent pour faire la fête et masquer leurs pratiques dans le climat ambiant mêlant veillées religieuses, spiritualisme, croyances populaires et désir charnel. Un mélange difficilement compréhensible de spiritualité dégagée par les lieux, de superstitions qui sont venues se greffer sur le soufisme originel de la confrérie des Hmadcha , fondée au XVIIe siècle par Sidi Ali Ben Hamdouch et dont certains perpétuent la tradition de l'ascèse individuelle et du rituel collectif des invocations d'Allah.
Profitant de cet engouement pour les lieux, des «Voyantes» s'invitent pour compléter le tableau. Connues par les rubans verts qu'elles portent, monnayant leurs services, elles permettent à certains de lire dans leur avenir, à d'autres de jeter le mauvais œil, de reconnaitre la ou les personnes qui leur ont jeté un sort. Comme elles ont besoin de certains ingrédients pour réussir leurs exploits, leur voyance, elles demandent à leurs clients d'acheter de l'encens, d'offrir une belle offrande à Aicha… contribuant ainsi à faire prospérer le commerce du coin. Quelques pratiques de sorcellerie ont aussi été signalées au Moussem.
Ce qui est étonnant, c'est que mystiques, adeptes des «Hadras», voyantes, filles de joie, commerçants ou simplement visiteurs répondant à une curiosité, se côtoient dans un espace relativement réduit, le temps d'un Moussem, sans aucune violence, ni jugement malveillant. Toute personne trouve son compte dans un climat plutôt tolérant où chacun a sa préférence ou sa croyance. Apparemment, le Moussem de Sidi Ali continue d'étonner, de surprendre et cache encore certains de ses mystères.


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