Le géant américain de l'informatique a licencié deux employés ayant critiqué publiquement un partenariat controversé avec l'armée israélienne autour de l'intelligence artificielle. Parmi eux, la Marocaine Ibtihal Aboussad. Détails. La protestation d'Ibtihal Aboussad, ingénieure logicielle marocaine basée à Toronto, a marqué au fer rouge la célébration des 50 ans de Microsoft, transformant un événement d'entreprise en théâtre d'une contestation politique à portée mondiale.
Alors que Mustafa Suleyman, PDG de Microsoft AI, exposait la vision du groupe en matière d'intelligence artificielle lors d'une allocution retransmise en direct depuis le campus de Redmond (Washington), Aboussad s'est avancée vers la scène. Interrompant l'intervention sous les regards de figures emblématiques comme Bill Gates et Steve Ballmer, elle a lancé : « Vous prétendez utiliser l'IA pour le bien, mais Microsoft vend des armes IA à l'armée israélienne. Cinquante mille personnes sont mortes, et Microsoft alimente ce génocide dans notre région. »
Cette action, brève mais percutante, s'inscrivait dans une opération coordonnée au sein de l'entreprise. Une seconde employée, Vaniya Agrawal, est intervenue plus tard dans l'événement avec un message similaire. L'intervention d'Aboussad s'est conclue par un geste fort : elle a lancé un keffieh – symbole de solidarité avec le peuple palestinien – avant d'être évacuée par la sécurité.
Le lundi suivant, les deux salariées ont été notifiées de leur éviction. Microsoft a confirmé le licenciement d'Ibtihal Aboussad pour « comportement inapproprié et perturbateur », l'accusant d'avoir volontairement détourné un événement stratégique à des fins de protestation. Le courrier de licenciement mentionne notamment des « accusations hostiles » à l'encontre de Suleyman et un comportement jugé « agressif ».
Quant à Agrawal, bien qu'ayant déjà présenté sa démission avec une date de départ fixée au 11 avril, elle a été informée que celle-ci prenait effet immédiatement. Les deux employées ont également signalé avoir perdu l'accès à leurs comptes professionnels dès la fin de l'événement, suggérant que des mesures disciplinaires étaient anticipées par l'entreprise.
Le cœur du conflit porte sur l'implication de Microsoft dans le projet Nimbus, un contrat gouvernemental israélien de plus d'un milliard de dollars signé avec des géants de la tech, dont Microsoft, Google et Amazon. L'objectif officiel : moderniser les infrastructures numériques de l'Etat israélien via des services cloud, des outils de cybersécurité et des solutions d'intelligence artificielle.
Cependant, une enquête de l'agence Associated Press, publiée début 2025, a révélé que des algorithmes développés par Microsoft et OpenAI étaient utilisés par l'armée israélienne pour sélectionner des cibles dans les conflits à Gaza et au Liban. L'un des cas les plus marquants concerne une frappe aérienne en 2023, attribuée à une erreur algorithmique, qui a tué trois fillettes libanaises et leur grand-mère, après que leur véhicule a été pris pour une cible militaire.
Ce type d'usage, opaque et non régulé, est au cœur des accusations formulées par Aboussad, qui reproche à l'entreprise de « collaborer activement à des crimes de guerre » via ses technologies.
Peu connue du grand public avant son intervention, Ibtihal Aboussad, ingénieure marocaine issue de la diaspora, incarne aujourd'hui une figure émergente de la résistance morale dans le monde de la tech. Travaillant au sein du bureau canadien de Microsoft, elle était impliquée dans le développement d'outils IA à vocation industrielle.
Sa prise de parole n'était ni impulsive, ni isolée : elle participait à une mobilisation structurée portée par le collectif No Azure for Apartheid, qui milite pour la fin des contrats technologiques entre Microsoft et les autorités israéliennes. Pour ce groupe, Aboussad a simplement donné voix à des préoccupations profondes partagées par un nombre croissant de salariés.
Ce n'est pas la première fois que les géants du numérique doivent gérer des actes de dissidence interne liés à leurs engagements militaires. En 2023, des dizaines d'employés de Google avaient été licenciés pour avoir manifesté contre le projet Nimbus. Certains ont ensuite porté l'affaire devant le National Labor Relations Board (NLRB), invoquant une violation de leur droit à la liberté d'expression en milieu professionnel.
Chez Microsoft, la direction défend sa position :« Nous offrons de nombreux canaux internes pour faire entendre les voix de nos salariés. Cependant, cela doit se faire sans perturber nos opérations. »
Mais cette réponse ne suffit plus à désamorcer les critiques. D'autant que le silence persistant autour des usages exacts de l'IA dans les projets militaires entretient un climat de défiance.