Une des chevilles ouvrières de la réconciliation franco-marocaine, l'Ambassadeur de France au Maroc, Christophe Lecourtier, est convaincu que l'axe Paris-Rabat peut forger un nouveau partenariat d'exception pour les 25 ans à venir. Visite d'Emmanuel Macron, coopération culturelle, Francophonie... l'Ambassadeur livre ses certitudes. Entretien. * Le président Emmanuel Macron s'apprête à visiter le Maroc à la fin du mois. Ce déplacement du Chef d'Etat français devrait sceller la réconciliation entre Rabat et Paris. Certains parlent d'une nouvelle page, d'autres préfèrent le mot sursaut... Concrètement, que faut-il attendre de cette visite ?
C'est un moment extrêmement important pour nous. La visite présidentielle est un événement majeur dans les relations bilatérales. Ce moment a été ouvert par la lettre que le Président de la République a adressée à Sa Majesté le Roi Mohammed VI, à l'occasion de la Fête du Trône, où il a fait connaître l'évolution claire et franche de la position de la France sur la question du Sahara. Aujourd'hui, je pense que nous devons définir ensemble à partir du moment où nous nous sommes retrouvés les grands piliers d'une refondation de notre partenariat pour pouvoir se projeter, pourquoi pas, sur les vingt-cinq prochaines années. Nous avons une nouvelle Histoire à écrire ensemble sans être dans une perception exclusive. Nous pouvons le faire dans tous les domaines.
* La nouvelle programmation culturelle que vous avez annoncée, jeudi dernier, s'annonce riche cette année avec un focus sur le vivant. Pourquoi un tel choix ?
La coopération culturelle est évidemment essentielle dans notre relation avec le Maroc, raison pour laquelle je trouve qu'elle doit avoir une dimension universelle. Le Royaume est porteur de plusieurs valeurs qui vont au-delà de son périmètre géographique. Je pense à l'Afrique, par exemple, où son influence spirituelle et historique est tangible. Parler du vivant est, à nos yeux, une façon d'aborder une des questions les plus critiques et les plus épineuses de notre époque. Aujourd'hui, nos sociétés vivent sur la planète mais nous ignorons si les futures générations auront la chance de vivre sur une terre aussi aisément que les précédentes compte tenu du changement climatique. Donc, ce sujet mérite d'être au centre de la coopération culturelle, cela permettra à la fois au Maroc et à la France d'unir leurs efforts et plaider davantage la cause écologique, la préservation des océans et de la biodiversité. C'est cela l'enjeu du choix du vivant comme thématique centrale de notre programmation culturelle.
* On voit bien que la nouvelle programmation attache beaucoup d'importance à la culture numérique avec des activités centrées sur la musique électro, le théâtre augmenté, les jeux vidéos et les spectacles immersifs... Pourquoi vous portez un si grand intérêt pour les nouvelles technologies culturelles ? Est-ce une façon de cibler prioritairement le jeune public marocain ?
Nous nous devons de démontrer que la culture n'est pas rigide et, par conséquent, il est impératif que le partenariat franco-marocain, sur le plan culturel, ne soit pas confiné aux disciplines traditionnelles en demeurant limité aux acquis du XXème siècle, aussi précieux soient-ils. Il faut tourner davantage le regard vers les enjeux de l'avenir. Il faut que nous soyons en résonance avec les attentes du jeune public en attachant plus d'importance à tout ce qui est numérique et les nouveaux modes d'expression digitale, je pense au théâtre immersif, le gaming...Faire cela ensemble signifie que la France, comme le Maroc, est un acteur du 21ème siècle et pas simplement un musée beau et suranné.
* En parlant culture, dans le lexique des relations franco-marocaines, on parle souvent d'interdépendance à tous les niveaux, y compris dans la culture. Vous n'êtes pas sans savoir que le Maroc est un pays francophone et surtout francophile où la culture française est si ancrée. Or, les nouvelles générations semblent de plus en plus tournées vers l'anglais au détriment du français, en êtes-vous préoccupé ?
Vous n'êtes pas sans savoir que la diversité est une richesse pour le monde. Nul ne peut convenir du contraire. La force du Maroc et des Marocains est de pouvoir parler à tout le monde et d'être en capacité de nouer des relations étroites et cordiales avec tous les pays de tous les continents. Cela nous oblige à montrer de la France et de sa culture le visage le plus attractif qui soit aux yeux du public marocain de sorte à donner envie aux gens de vouloir développer des projets avec nous et s'imprégner de la culture française. C'est pour cela qu'on a parlé du numérique, du gaming et du vivant...Dans son partenariat avec le Maroc, la France se doit d'interpeller positivement la curiosité de la jeunesse. Par ailleurs, n'oublions pas que le français est la langue de l'Afrique et le sera de moins en moins celle de la France. Le Maroc, de par le rôle qu'il joue en Afrique, utilise assez légitimement la langue de Molière comme un instrument de développement des relations dans tout un tas de domaines avec ses partenaires africains. En définitive, la Francophonie est un sujet d'avenir, certes, mais ça ne saurait être une politique française au sens propre du terme.
« La force du Maroc et des Marocains est de pouvoir parler à tout le monde »
* Dans votre introduction de la nouvelle programmation culturelle, vous avez évoqué assez longuement les Sommets liés à la protection des océans que le Maroc et la France s'apprêtent à organiser, à quelques mois d'intervalle. Peut-on avoir un aperçu sur la coopération franco-marocaine dans le domaine climatique dont peu de gens connaissent l'existence ?
La programmation culturelle sera l'occasion de découvrir les regards des artistes, les éclairages des scientifiques et les apports des intellectuels sur ce domaine. Elle fait écho à des initiatives franco-marocaines communes. Je rappelle que les deux pays partagent un capitale honorable dans la protection de l'environnement, un idéal qu'ils partagent politiquement et culturellement. La France a, comme vous le savez, organisé la COP 21 en 2015 et qui a donné naissance à l'accord historique de Paris. Le Maroc a tenu la COP 22, l'édition suivante, un an plus tard. Aujourd'hui, nous œuvrons conjointement à forger des partenariats actifs sur la scène internationale. Je cite, à titre d'exemple, la préservation des océans dont le Maroc organisera un Sommet à Tanger. Il y en aura un à Nice. Nous faisons aussi des choses ensemble dans l'Intelligence Artificielle qui n'est pas sans lien avec le réchauffement climatique. Les initiatives communes existent. Il nous est cher de travailler beaucoup sur la sensibilisation des jeunes, à travers les activités culturelles et scientifiques par l'intermédiaire des artistes et des intellectuels et les savants qui savent expliquer les choses mieux que les politiques.
« la Francophonie ne saurait être une politique française au sens propre du terme »
* Le Maroc a annoncé, récemment, sa volonté de développer une véritable économie de la mer, que pensez-vous d'une telle ambition et est-ce que la France serait disposée à partager son expertise avec le Royaume, s'il en fait la demande ?
Oui. Il y a déjà beaucoup des choses intéressantes qui se passent actuellement au Maroc. J'étais, récemment, au Salon Halieutis à Agadir et il y a eu des échanges approfondis entre des pays européens et africains autour de l'économie bleue. La vision marocaine dans ce domaine est pondérée car elle prend en compte l'équilibre entre les exigences du développement économique et le respect de la nature de la biodiversité maritime. Je pense à la pêche raisonnée, la pisciculture,...Il y a un potentiel considérable dans les eaux marocaines qui fait face à des défis climatiques non-négligeables. Le Maroc a la capacité de devenir un modèle en la matière.