La crise climatique que connaît le Maroc aggrave les mouvements migratoires internes et externes, poussant les pouvoirs publics à revoir leurs politiques publiques. Détails. Durant les dernières années, les phénomènes météorologiques extrêmes, comme les sécheresses et les inondations, exercent une pression croissante sur les populations marocaines, notamment dans les zones rurales. Des pressions environnementales qui déclenchent des mouvements migratoires internes et externes, rendant la question de la migration climatique de plus en plus pressante. Selon le rapport «Groundswell» de la Banque Mondiale, près de 1,9 million de Marocains (soit 5,4% de la population) risquent d'être déplacés à l'intérieur du pays à cause du changement climatique d'ici 2050. «Cela nécessite des réponses appropriées en termes de gouvernance et de production de données probantes pour comprendre les mobilités climatiques et renforcer la résilience des populations concernées», selon les représentants de l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) qui a organisé à Rabat, les 27 et 28 août 2024, un atelier de haut niveau consacré aux liens complexes entre migration, environnement et changement climatique (MECC). Lors de l'événement, les résultats d'une étude approfondie sur les liens entre migration et changement climatique dans les régions de Tanger-Tétouan-Al Hoceima et de Souss-Massa ont été présentés, révélant comment les dégradations environnementales influencent les mouvements de population, conduisant à des migrations internes de grande ampleur. «Une approche coordonnée et globale est essentielle pour protéger les communautés les plus exposées et renforcer leur résilience face aux impacts croissants du climat», a déclaré dans ce sens la Cheffe de Mission de l'OIM au Maroc, Laura Palatini, notant qu'en «collaboration avec le gouvernement marocain et tous les acteurs concernés, nous nous engageons à élaborer des stratégies efficaces pour intégrer les aspects de la migration et du climat dans les politiques publiques». Pour sa part, Nouzha Bouchareb, ancienne ministre de l'Aménagement du territoire national, de l'Urbanisme, de l'Habitat et de la Politique de la ville et Présidente de la Fondation Connecting Group Internationale, a souligné l'importance du «renforcement du plaidoyer pour une meilleure compréhension des interrelations entre les trois domaines du nexus et pour une meilleure cohérence et coordination entre les politiques publiques sectorielles concernées par ces thématiques afin d'apporter des réponses efficaces et équitables aux défis posés par le changement climatique et aux flux migratoires».
Adaptation du volet sanitaire Les participants ont aussi insisté sur la mise en place des systèmes d'alerte précoce à tous les niveaux, y compris au niveau communautaire, basés sur des données métrologiques et épidémiologiques. Le fait serait également d'initier des actions d'anticipation pour détecter l'émergence de maladies liées au changement climatique. Ces systèmes de suivi, de surveillance et d'alerte précoce devraient couvrir l'ensemble des populations, y compris les migrants et les personnes déplacées. Il est donc important de développer des systèmes intégrés de surveillance, de suivi et de réponse aux maladies sensibles à la mobilité avec des mécanismes efficaces pour diffuser des informations exploitables parmi toutes les parties prenantes concernées. Des actions de préventions qui s'imposent car «les personnes contraintes de migrer à cause du changement climatique peuvent être exposées à des risques de santé croissants», selon Luciana Ceretti, Coordinatrice Migration et Santé au sein de l'OIM. Elle précise par ailleurs que cet impact dépend des différents degrés d'exposition aux effets du changement climatique, de la résilience des systèmes santé et économiques. Concrètement, l'exposition aux vagues de chaleur par exemple peut entraîner des complications rénales, des maladies cardiovasculaires et respiratoires, ainsi que des coups de chaleur, entre autres maladies. Selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), citée par les représentants de l'OIM lors de la conférence, «le changement climatique pourrait provoquer 250.000 décès supplémentaires par an au Maroc entre 2030 et 2050, du fait de la malnutrition, du paludisme, de la diarrhée et du stress thermique». Luciana Ceretti a ainsi appelé à intégrer la variable du changement climatique dans les programmes et politiques de santé et migration, notamment la pénurie d'eau et l'insécurité alimentaire. La migration peut être une stratégie d'adaptation efficace lorsqu'elle s'effectue de façon volontaire, sûre, ordonnée et régulière, selon la même intervenante, qui prône la promotion et la diversification des voies de migration régulière en prévision d'une augmentation de la mobilité humaine dans le contexte climatique actuel. Cela dit, l'experte n'a pas manqué de souligner que l'impact du changement climatique sur la santé est réparti de façon inégale, d'où la nécessité d'accélérer la couverture sanitaire universelle (CSU) pour faciliter l'accès aux services de santé aux populations en situation de vulnérabilité. La réalisation de ce chantier réduira, selon l'OIM, la gravité des inégalités supplémentaires causées par le changement climatique, en particulier pour les plus vulnérables, notamment les populations déplacées et les personnes en situation de handicap. Les femmes, filles, hommes et garçons sont en outre impactés différemment par les effets climatiques et de la migration en raison du rôle des genres existants, d'après Ceretti, qui appelle à intégrer des considérations de genre dans les politiques, programmes et interventions traitant à la fois le changement climatique, la santé et la migration. A l'issue des deux journées de l'atelier organisé à Rabat, des recommandations ont été formulées, mettant en exergue la nécessité de renforcer la résilience des communautés locales, d'améliorer la gestion des risques environnementaux et d'intégrer de manière cohérente le nexus MECC dans les stratégies de développement national. Les participants appellent également à une meilleure production de données probantes pour guider les politiques publiques, et à une coordination accrue entre les différents acteurs concernés. 3 questions à Laura Palatini : «L'investissement dans des solutions adaptées au changement climatique, une priorité pour la politique migratoire» * Dans quelles mesures la crise climatique impacte-t-elle la situation migratoire au Maroc ? Le Maroc fait partie d'une région parmi les plus touchées par le changement climatique. Aujourd'hui, le Royaume, un pays où l'agriculture est parmi les activités les plus importantes pour son économie, vit sa sixième année de sécheresse. Cette dernière a engendré une grande pression de mobilité interne qui est une solution parmi les autres solutions d'adaptation de changement climatique. L'urbanisation croissante exercera une pression considérable sur les systèmes de santé déjà surchargés dans les zones urbaines. Le développement de la résilience climatique est la clé pour rendre les systèmes de santé réactifs aux effets du changement climatique.
* Au vu des nouveaux défis climatiques, le Maroc ne devrait-il pas repenser sa politique migratoire ?
Le Maroc fait face à des défis depuis des années par rapport à la gestion de la migration. Sa position est clé comme pays d'origine, de transit et de destination. Le pays a pu retourner l'image et faire sortir l'aspect positif de la migration. Il a réussi à mettre en place plusieurs stratégies, notamment le plan d'adaptation et le plan climat. Dans les deux régions de Tanger-Tétouan-Al Hoceima et de Souss-Massa, où l'OIM a été impliquée pour mener une étude approfondie sur les liens entre migration et changement climatique, on a une implication très forte des municipalités, des autorités locales, ainsi qu'une volonté très forte pour l'accompagnement de leur plan de développement avec l'inclusion de la migration et pour faire le lien avec le changement climatique.
* Ne faut-il pas s'attendre aussi à une hausse de la migration de Marocains, surtout ceux issus des zones rurales ? Il est très important d'investir dans des solutions adaptées à l'agriculture d'une façon positive, en ayant moins besoin d'eau à l'instar de plusieurs régions du monde. Il faut absolument penser à des stratégies plus efficaces pour ne pas avoir des régions vides. Quand la migration ne se fait pas par choix mais surtout par besoin, c'est difficile que ce projet soit bénéfique pour le pays d'origine et aussi le pays d'accueil. Politiques nationales : Engagement pour contrer les effets du changement climatique En 2014, le Maroc a élaboré une politique nationale de lutte contre le changement climatique, réaffirmée dans de nombreux plans et stratégies, ainsi que dans le Nouveau Modèle de Développement (NMD) de 2021, visant à préserver les ressources naturelles et à renforcer la résilience des territoires. En effet, le Plan Climat National à l'horizon 2030 marque une nouvelle étape clé dans la politique climatique. Le plan établit un cadre pour mettre en œuvre les initiatives d'atténuation et d'adaptation alignées sur les contributions déterminées au niveau national (CDN) du Maroc à partir de 2021 afin de contribuer aux efforts internationaux visant à maintenir le réchauffement climatique à 1,5°C. Le deuxième pilier du plan est consacré au renforcement de la résilience aux risques climatiques, dont le point d'action 2.4 (réduire les effets du changement climatique sur la santé et le bien-être des populations) en surveillant les effets du changement climatique sur la santé, en renforçant la surveillance épidémiologique, en prévenant les risques sanitaires liés au changement climatique et en améliorant l'accès aux soins des populations en situation de vulnérabilité. Conditions de vie : Zoom sur les zones à risque En tant que pays de la région MENA, le Maroc est particulièrement concerné par les interactions entre migration, environnement et changement climatique. Au cours des 30 dernières années, de nombreux changements environnementaux ont été observés, susceptibles de s'aggraver et de menacer les moyens de subsistance des populations. Situé entre les régions atlantiques et méditerranéennes tempérées et les zones arides du Sud, le Maroc est vulnérable à divers impacts environnementaux, avec des particularités variées de région en région. Les effets du changement climatique au Maroc incluent des perturbations des cycles de précipitations, des vagues de chaleur, des épisodes de sécheresse, une élévation du niveau de la mer, la désertification, la salinisation des terres, et la récurrence d'événements climatiques extrêmes, tels que les inondations et les tempêtes de sable. Ces contraintes affectent les conditions de vie et les dynamiques migratoires, surtout dans les zones à risque, telles que les zones côtières, les agglomérations urbaines, les oasis et les plaines agricoles. Ces changements environnementaux impactent particulièrement les ressources en eau et les activités agricoles en milieu rural. Selon les prévisions pour 2030-2060, les cultures de légumes et de céréales connaîtront des conditions de croissance moins favorables, augmentant les coûts de production et réduisant la productivité de 15 à 40%. Les eaux souterraines des zones côtières sont vulnérables à la salinisation due à l'élévation du niveau de la mer.