Pilier fondamental de l'Etat social au Maroc, la généralisation de la protection sociale offre une multitude d'opportunités, mais sa réussite repose sur le relèvement de certains défis. Le Policy Center for the New South (PCNS) en liste cinq. Détails. Projet phare du gouvernement Akhannouch, la généralisation de la protection sociale se présente comme un levier essentiel pour améliorer le fonctionnement de l'Etat-Providence. Le bref retour sur expérience montre, cependant, l'importance de renforcer la viabilité des régimes contributifs, élément crucial pour assurer la pérennité du système de protection sociale.
Des mesures incitatives novatrices ont été adoptées pour encourager la régularité des paiements des cotisations, notamment l'amnistie de 2024, qui a effacé les dettes des cotisants sous certaines conditions, et l'élargissement de l'aide sociale directe aux travailleurs indépendants illustrent l'engagement de l'Etat à favoriser l'adhésion au système. Cependant, la réussite de cette réforme dépend également de la capacité à relever d'autres défis, que le Policy Center for the New South a listés dans un récent brief.
Cinq défis majeurs
« La généralisation de la couverture sanitaire universelle au Maroc requiert l'intégration de 22 millions de nouveaux bénéficiaires dans le système d'assurance maladie obligatoire, l'extension des allocations familiales au profit de 7 millions d'enfants en âge de scolarité et l'extension du nombre des bénéficiaires d'une pension de retraite à 5 millions de bénéficiaires supplémentaires », rappelle le policy brief, ajoutant que l'inclusion signifie assurer que le plus grand nombre possible de personnes soit couvert, évitant ainsi toute forme d'exclusion sociale.
Il reste que l'élément clé pour réussir cette initiative est la mise en place du Registre social unifié (RSU). Un outil qui permettra d'identifier de manière continue, précise et dynamique dans le temps, les individus pauvres et vulnérables qui auront droit aux programmes d'assistance sociale. « Cette augmentation de l'inclusion implique des coûts accrus pour intégrer ces nouveaux individus, et les services à leur offrir sont substantiels », note le rapport, soulignant que ceci nécessite une redistribution où ceux qui ont la capacité de contribuer davantage aident à financer la couverture des nouveaux inclus, notamment les populations pauvres et vulnérables.
La convergence des systèmes est également un grand défi à surmonter, sachant que l'actuel système comprend des prestations spécifiques pour différents groupes : les salariés du secteur privé, les salariés du secteur public et les travailleurs non-salariés, chacun bénéficiant du même panier de prestations en matière d'assurance maladie obligatoire. La gouvernance est, cependant, fragmentée et répartie par secteur, ce qui peut mener à des inefficacités et des pertes de ressources. « Pour remédier à cela, il est essentiel d'unifier la gouvernance afin de consolider les efforts, éviter les pertes tant monétaires que sociales et améliorer l'efficacité », insiste le Policy center, arguant que cette unification permettrait de garantir une meilleure inclusivité. Selon Boutaina Falsy, Experte spécialisée en protection sociale, « plusieurs pays ont instauré des systèmes de protection sociale sans garantir un accès universel, laissant une partie de la population à l'écart. Cela crée une société à deux vitesses, avec des moyens mobilisés mais des segments de la population restant en marge, ce qui est contraire à l'objectif de la généralisation ».
Gouvernance et soutenabilité
Un tel chantier augmentera inévitablement la demande aux soins de santé et donc une amélioration de l'offre. « La mise en place d'un système de santé accessible incitera une demande de soins claire, car l'accès sera amélioré, ce qui nécessitera une offre de services adaptée », insiste Abdelkhalek Touhami, professeur à l'Université Mohammed VI Polytechnique. Que ce soit dans les environnements urbains ou ruraux, il est crucial de relever le défi de satisfaire cette demande de manière équitable pour l'ensemble de la population, ajoute Touhami, précisant que l'enjeu réside dans l'aspect de l'offre de soins, qui est la composante la plus complexe. En effet, la mise en place d'un tel système suscitera un intérêt généralisé, mais il est essentiel de pouvoir répondre à cette demande de manière effective. « Cela représente un défi majeur, en raison des coûts associés à la satisfaction de cette demande croissante », avance le policy brief.
Du côté de la soutenabilité et avant même d'envisager un financement supplémentaire, il est primordial de renforcer l'efficacité du système. D'après Inès Ayadi, Conseillère auprès du ministère tunisien de la Santé, la démarche débute par l'optimisation de l'utilisation des ressources disponibles, notamment en évitant la duplication des actes médicaux. De son côté, Ilham Moulhal, Directrice des affaires médicales à la CNSS, estime que la maîtrise des dépenses dans le système de santé repose sur une gestion des risques qui influence les comportements des prestataires de soins et des assurés. Selon la règle des 60/30/10%, 60% des dépenses sont médicalement justifiées, 30% sont gaspillées ou inutiles, et 10% sont préjudiciables. Pour optimiser le financement du système de santé, il est également essentiel de cibler les dépenses inutiles et d'intégrer des technologies de digitalisation pour maximiser l'efficacité.
Toutefois, des ressources additionnelles sont nécessaires pour intégrer la population non-couverte et les plus démunis dans un régime de base unifié. La question de l'élargissement de l'assiette des cotisations est importante pour financer les dépenses supplémentaires de santé. Il est en outre essentiel « de diriger des impôts spécifiquement vers la santé, comme les taxes sur les produits nocifs », insiste le brief, qui prône l'investissement dans la prévention et la promotion de la santé pour réduire les coûts liés aux traitements curatifs. Pour financer l'expansion sans augmenter les niveaux d'endettement, un nouveau cadre intégré est nécessaire, équilibrant les besoins à court terme et les objectifs de durabilité à long terme, recommande le document rédigé par Hamza Saoudi, économiste chez le Policy Center. Le défi, selon lui, est de pouvoir concilier les objectifs immédiats de généralisation de la protection sociale avec la responsabilité fiscale, en tenant compte des déficits et des niveaux d'endettement pour maintenir la stabilité.
L'adhésion des populations au système de protection sociale est également un défi majeur pour le gouvernement. Le fait que le projet de généralisation de l'assurance-médicale obligatoire soit un chantier Royal lui confère une crédibilité indéniable, affirme Boutaina Falsy. Mais il reste un effort de communication à faire pour mettre en avant les avantages et les progrès réalisés dans le cadre de cette réforme. La confiance dans les institutions et la qualité des services offerts sont également des éléments déterminants pour encourager l'adhésion.
Bilan de mi-mandat
Dans son dernier bilan présenté à la Chambre des Représentants, le chef de gouvernement a souligné les efforts déployés par l'Exécutif pour la mise en œuvre des chantiers royaux, notamment la généralisation de la couverture maladie obligatoire. « Depuis notre accession au gouvernement, nous avons opté pour une vision stratégique inclusive en vue de réussir la généralisation de la couverture sociale parmi l'ensemble des citoyens, quelles que soient leurs conditions sociales et professionnelles », a-t-il indiqué, se félicitant également de la généralisation de l'assurance-maladie obligatoire auprès de 10 millions d'individus, conformément à l'agenda prévu. Dans ce sens, il a souligné que l'intégration des travailleurs non-salariés dans ce régime a constitué un défi majeur pour son gouvernement, nécessitant une approche participative dans le processus de préparation et d'adoption de 28 décrets d'application de la loi relative à l'assurance-maladie obligatoire concernant cette catégorie.
Convergence des systèmes : Prérequis fondamental
La convergence des systèmes est essentielle non seulement en termes de prestations et de paramètres des prestations, mais aussi en matière de gouvernance. Une approche transversale est nécessaire pour garantir l'accès universel, éviter les inefficacités et assurer que personne ne soit laissé de côté dans ce vaste projet de généralisation de la protection sociale, insiste le policy brief.