Alors que les cinéastes d'Afrique francophone peinent à trouver des financements pour leurs longs métrages, toute une nouvelle génération de réalisateurs et de techniciens est entrain d'émerger depuis quelques années au Nigeria anglophone, dans une euphorie économique qui n'est pas sans rappeler les débuts du cinéma en Occident. Les chiffres sont éloquents : plus de 850 films ont été réalisés lors de la décennie précédente et depuis 2000, on ne recense pas moins de 650 titres par an. Seul Bollywood fait plus fort. Le secteur emploie 4000 personnes et génère un chiffre d'affaire de plus de 60 millions d'euros par an, ce qui est considérable pour un pays africain. Et pourtant, toutes les salles de cinéma au Nigeria sont fermées, faute de spectateurs. La clé de ce paradoxe, c'est la vidéo, DVD compris. L'effervescence cinématographique que connaît actuellement le pays s'explique en effet par des tournages en DV (rares), en Betacam (plus fréquents), voire en VHS, qui permettent d'abaisser drastiquement les coûts, ainsi que par le remplacement des salles de projection par un important réseau de vidéo-clubs (plus de 15 000 dans tout le pays). Le succès d'un film se mesure au nombre de copies vendues, et les tirages, généralement réalisés à Lagos, peuvent atteindre plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires. Même si les conditions techniques évoquent l'époque néoréaliste (contexte socio-économique défavorable, budget rachitique, tournages en extérieur, équipes légères,…), l'esprit de ce cinéma est tout ce qu'il y a de plus hollywoodien. La production obéit à des critères essentiellement économiques, et tout est pensé pour rapporter le maximum d'argent à partir d'un investissement minimum. Les tournages durent une à deux semaines tout au plus, et aucune prétention artistique n'habite les auteurs, qui cherchent avant tout à proposer des produits qui plaisent au public. Il s'agit en toute logique, de films de genre (action, mélodrame, comédie, horreur) aux titres souvent simples et accrocheurs : « Attaque », « Le temps de Tuer », … Il ne faut pas cependant réduire ce nouveau cinéma nigérian, à un décalque fauché du cinéma populaire asiatique, l'influence du théâtre « Yoruba », dont s'inspirent nombre de réalisations, ancre les films dans un contexte culturel bien spécifique. La diversité des langues utilisées (anglais, haoussa, yoruba, ibo, pidgin, efik, edo) et l'éclatement de la production sur plusieurs régions vont dans le même sens. Le succès des films nigérians repose essentiellement sur leur capacité à s'adresser au public local, qui se connaît dans les héros et les situations qu'on lui propose, et l'impact de certains films sur la culture populaire peut être très profond. Ainsi, un titre tel que « Domitila », réalisé par Zeb Ejiro, et qui a pour sujet la prostitution des jeunes filles, a connu un tel succès qu'il est maintenant courant au Nigeria d'appeler « Domitila » une prostituée. Mais loin de se contenter de leur réussite régionale, les cinéastes nigérians voient loin, et rêvent modèle indien. Déjà leurs cassettes commencent à s'écouler dans les pays francophones voisins, en version sous-titrée, et certains titres sont même en vente sur Internet, à destination des communautés nigérians d'Amérique et d'Europe. Récemment, l'édition du festival d'Amiens à même proposé une sélection des meilleures réalisations de ces dernières années, et invité des cinéaste emblématiques : Tunde Kelani et Zeb Ejiro. Ces derniers n'ont pas cessé de décolorer à l'occasion que le cinéma nigérian allait devenir rapidement le plus grand d'Afrique. C'est tout le mal qu'on lui souhaite.