«Sexe, Mensonges et Vidéo», premier long-métrage de Soderberg, cité à l'Oscar pour le meilleur scénario original, Plame d'Or au Festival de Cannes 1989, présidé par Wim Winders, prix d'interprétation masculine pour James Spader et prix Fipresci de la critique internationale… Cette avalanche de récompenses avait propulsé sur le devant de la scène un jeune cinéaste inconnu de 26 ans et ouvert la voie au cinéma indépendant américain, encourageant un mouvement qui prit de l'ampleur tout au long des années 90 et finit même par devenir un genre à part entière, avec ses figures imposées, comme celle de la représentation des écrans vidéo, jusqu'à frôler parfois le cinéma bis… Certains jeunes américains avaient besoin de devenir réalisateur pour faire leur psychanalyse et choyer leur égo, Woody Allen en ligne de mire. Mise à part le choix très allénien de la belle Andie Mc Dowell qui démarra sa carrière grâce à ce film Soderberg met en scène son narcissisme de manière très différente, plus conceptuelle et plus érotique par l'intermédiaire de Graham joué par James Spader, son personnage principal, voyeur et manipulateur. Il filme des confessions de femmes, vampirisant leur intimité pour soulager son égo égratigné par un problème d'impuissance. Le camescope tient le rôle le plus important du film. Il crée un écran dans l'écran qui délimite le champ L'observation de l'intime. Le voyeurisme est complet lorsqu'il met en place une chaîne de voyeurs. Ce qui était hier innovant pour le spectateur, c'est aujourd'hui banalisé, notamment avec le porno. D'autres cinéastes, Américains ou Européens, se sont emparés du sujet, dans des œuvres d'inspiration plus fantastique : «Vidéodrome» (1982) de David Cronenberg, «Tesis» (1996) d'Alejandro Amenabar. Croyant pouvoir domestiquer les écrans, nous les accueillons dans nos foyers comme de charmants gremlins qui se transforment vite en monstres avides de nos regards. L'image électronique est diabolisée, son pouvoir de fascination et de déréalisation finirait par nous transformer en assassins. C'est une image sale, assimilée à la perversité de ceux qui l'utilisent et la propagent, du petit voyeur en mal de sensations fortes (Sexe, Mensonges et Vidéo), aux réseaux clandestins du snuff movies (Tesis), en passant par les chaînes de télévision et leurs programmes ultra-violents («Assassins» (1992) de Mathieu Kassovitz). Durant les années 80 et 90, la vidéo est donc présentée au mieux comme un objet de curiosité, au pire comme le mal du siècle, le happy-end de rigueur chez certains étant l'anéantissement de la bête ou de sa progéniture. Plus récemment «Ring» de Hideo Nakata, a repassé une couche épaisse sur le sujet, avec l'histoire d'une cassette qui provoque la mort de ceux qui la regardent, en l'espace d'une semaine. Mais les films étant de plus en plus visibles sur les écrans, vidéo et les cinéastes participent bon gré mal gré à cette évolution. Leur regard a forcément dû évoluer. Treize ans après «Sexe, Mensonges et Vidéo», que s'est-il passé ? La caméra vidéo n'est plus dans le champ, elle s'est emparée du champ. On a vu «Les Idiots» de Lars Von Trier, «Festen» de Yinterberg ou encore «Time Code» de Mike Figgis, tournés entièrement en vidéo. Peu après, «Ten» de Abbas Kiarostami, film précurseur, fait la plus belle démonstration du rôle prépondérant que sera amenée à jour la DV (Digital Hall) dans les années à venir. Une étape importante est franchie. Le spectateur est fin prêt. Le film «Une Pure Coïncidence» de Romain Goupil reprend le stratagème mais en le remettant au goût du jour. Son film est tournée en DV et le film dans le film est filmé avec une caméra stylo qui donne un image muette de mauvaise qualité, procurant un effet de réalisme assez époustouflant. Romain, a-t-il eu la même idée que Steven Soderberg ? Goupil a même, dans une autre scène, inversé le dispositif de «Sexe, mensonges, filmant avec sa DV la réalisatrice Tonie Marshall, l'un des personnages de sa fiction, en train de tourner réellement un film en 35 mn où elle a l'air de s'ennuyer terriblement. Joli croc-en-jambe en passant, amical bien sûr, à tous les cinéastes qui n'ont pas encore franchi le pas. Avec le numérique, de la prise de vue à la projection en passant par le montage, la vidéo s'est émancipée et la magie opérant merveilleusement, autant lui laisser le champ totalement libre et ouvert. Gageons que ce ne sera pas au titre d'accusé, mais à la fois de témoin, d'avocat et de juge, au nom d'une liberté du cinéma retrouvée.