Gueddid, khlii, Courdace sont, pour d'aucuns, synonymes de fête du sacrifice. Seulement voilà, pour bien d'autres, ces viandes séchées bien de chez nous, sont faites pour assimiler chaque plat réussi, à une fête à part entière. Retour à leurs origines respectives. Il fait bon tendre le micro au très comique et non moins connu Chef Moha, Mohammed Fedal de son vrai nom. Entre deux questions, son sens de l'humour «Made in Marrakech » ne peut que décider de la teinte, drolatique à souhait, de notre échange. Ainsi, celui qui s'est pendant de longues années dédié à l'étude de l'histoire des sapidités culinaires marocaines des origines jusqu'à nos jours, nous apprend que l'histoire de la viande séchée, en l'occurrence le gueddid, remonte à des milliers d'années. De la région ouest de la péninsule arabique, aux confins de l'Amérique du Nord en passant par le Sud de la péninsule ibérique, le gueddid s'est fait une belle place sous le soleil, au propre comme au figuré, depuis l'époque néolithique, c'est-à-dire depuis l'âge des premières cultures agricoles et des premiers élevages de troupeaux. «Ce que nous appelons chez nous «gueddid » a été retrouvé dans de nombreuses civilisations nord-africaines, asiatiques, européennes et américaines, mais avec différentes méthodes de préparation. Au Soudan et au Tchad, il y a lieu de parler de ''Charmoute'' et chez les Inca, il est question de Jerky, tandis qu'en Finlande, il convient de parler de Kuivaliha », détaille le spécialiste en gastronomie marocaine. Tout comme cette ancienne et non moins ingénieuse invention, le khlii caracole, bon an, mal an, en tête des meilleurs mets nationaux, lors des salons et foires internationaux spécialisés en gastronomie et diplomatie culturelle. « La réputation du khlii marocain est telle qu'elle a atteint des contrées lointaines comme l'Alaska, où il est produit localement. Derrière cet exploit, il y a lieu de nommer le jeune marocain Hicham Tadlaoui, qui s'est installé aux Etats-Unis d'Amérique en 2010 et qui y a fait connaître l'omelette au khlii à la fassie ».
Si le gueddid est une viande désossée, débarrassée de son suif (graisse animale), imprégnée d'épices, puis séchée au soleil, avec un goût d'épices plus prononcé et une texture plutôt sèche, le khlii demeure cette préparation purement maghrébine,enrobée, marinée dans du sel marin avec de l'huile d'olive ou dans du suif, voire dans du beurre rance (smen), puis malaxée manuellement, tous les jours. Mais les deux ont en commun d'avoir, depuis la nuit des temps, été servies dans les mille et un mets des cuisines marocaine et algérienne, surtout à Fès et à Tlemçen. Dans les mille et un récits des voyageurs et historiens, le khlii est un moyen de conservation utilisé depuis des millénaires au Maroc mais généralisé à quelques décennies du 19ème siècle, soit environ dès 1880.
Gueddid, khlii : le modus operandi ! Mais qui dit viandes séchées dit haute température et longue durée de cuisson. «Après leur marinade, ces viandes sont bouillies dans de l'eau en grande quantité, car la cuisson n'arrive à terme que lors de l'évaporation finale de l'eau », précise notre interlocuteur. Ainsi, après leur longue cuisson, les morceaux de viande sont baignés dans une préparation d'huile végétale, de suif bovin, ovin, caprin ou camelin puis conservés dans une jarre en terre cuite, fermée dans les règles hermétiques, à l'abri du moindre rayon du soleil, soit dans un emplacement sec à température ambiante.
La viande séchée sous d'autres cieux Bien au-delà de nos frontières et selondivers récits et documents largement diffusés dans l'historiographie,la viande séchée a fait florès lors de l'expansion des Européens en Amérique du Nord, où les explorateurs l'appréciaient en tant que source essentielle d'alimentation lorsqu'ils se rendaient dans des régions où l'accès à des aliments frais relevait de la chimère. De plus, c'est bien à cette époque que sont apparues de nouvelles variétés de viande séchée telles que la dinde, l'oie et d'autres gibiers sauvages. Somme toute, à l'approche de l'ère industrielle, de nombreuses entreprises ont perçu le potentiel de la production de viande séchée, de l'acabit du jerky,produit en grandes quantités pour une consommation plus généralisée.
Trois questions à Chef Moha «Il ne faut pas confondre le gueddid avec le courdace » Parlez-nous des origines du gueddid... Si le gueddid ressemble au jerky américain, le khlii demeure marocain. Si dans son livre «l'Influence mauresque au Maroc», Pr. Ahmed El Kammoun va jusqu'à parler d'origines communes maroco-andalouses pour cette spécialité culinaire, compte tenu du voisinage et de la civilisation arabo-andalouse, d'autres études attribuent cette invention aux berbères de l'ère néolithique. Qu'est-ce qui a fait le succès de cette insolite mais ô combien exquise invention ?
Le gueddid a toujours permis de conserver la viande du mouton pour la période la plus longue possible. Pour sa préparation, nous avons besoin de graines de coriandre pour leurs vertus vitaminiques antioxydantes. Il en va de même pour l'ail ; en plus d'empêcher la viande de «tourner», il améliore sa saveur, comme c'est le cas pour le cumin. Comment pourrait-on dissocier le gueddid des autres viandes séchées de l'acabit du khlii ou du courdace ? Si le gueddid est une viande séchée, le khlii est une viande séchée et confite, conservée grâce à son mode de préparation bien plus que par son mode de conservation. Aussi pourrions-nous dissocier les deux par leur utilisation : le premier est généralement assorti avec le couscous, tandis que le second est idéal en omelette. La préparation du khlii s'est, surtout, transmise de génération en génération, notamment dans les villes de Fès et Meknès. En outre, il ne faut pas non plus confondre le gueddid avec le courdace qui est préparé avec des abats d'agneau et des épices spécifiques. Il est, faut-il le préciser, enveloppé dans les intestins minces de l'agneau et est utilisé dans de nombreuses recettes, notamment le couscous, les soupes de lentilles et plats de haricots secs.
Bio express : Chef Moha le cuistot, Chef Moha l'ambassadeur Natif de Marrakech en 1967, Mohamed Fedal, alias Chef Moha, est un grand chef cuisinier marocain, fondateur et dirigeant de plusieurs restaurants à la Ville ocre du Royaume, mais aussi à Madrid et à Paris. Si on ne le présente plus au Maroc, c'est parce qu'il est juge de l'émission culinaire Master Chef Maroc depuis 2014. Emoulu de l'Ecole hôtelière de Genève et affichant au compteur une expérience professionnelle de quatorze ans en Suisse, notre cuistot est l'un des défricheurs de la gastronomie marocaine moderne. En témoigne le succès immédiat qu'a rencontré Dar Moha, soit son restaurant qui a pignon sur rue à Marrakech, généreusement étoilé dès septembre 1998. Son rêve le plus fou : faire rayonner la cuisine de chez nous aux quatre coins de la ronde, grâce à sa casquette, ou plutôt sa toque d'ambassadeur. Après avoir roulé sa bosse dans de grandes chaînes hôtelières en Suisse ainsi que dans d'autres contrées européennes, il revient en force à Marrakech avec la ferme intention de revitaliser la cuisine familiale, dans la continuité des traditions ancestrales, en ouvrant son restaurant au cœur de l'ancien Riad de Pierre Balmain, situé dans le quartier de son enfance, en pleine médina. Par la suite, à quelques perches d'arpent, il donne naissance à Bled Ferme, où il reçoit des groupes et des banquets, et dont le potager et les vergers rehaussent ses cuisines en ingrédients frais ou secs, notamment en légumineuses. Chemin faisant, il transpose ces success stories sur le sort et l'essor de Riad Tanja, en apposant aussi son label sur deux restaurants gastronomiques à Paris et à Madrid. En 2009, le porte-étendard de l'art culinaire de chez nous a fait la promotion du Maroc chez Harrods, à Londres. Et ce, à l'occasion de l'exposition "Inspiring Morocco" où il a installé un restaurant temporaire pendant un mois pour faire découvrir aux Londoniens ses mets rivalisant de succès les uns avec les autres. Nul besoin de préciser qu'il a, aussi, participé à d'autres grands événements internationaux, ou mieux encore : il a fait goûter à SM le Roi Mohammed VI sa Pastilla revisitée au SIAL d'Abu Dhabi en 2013. Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, il a été élu pour gérer le restaurant du pavillon marocain à l'Exposition universelle de 2015 (Expo Milan). De plus, en 2019, l'ambassade britannique au Maroc fait appel à son expertise pour animer et gérer l'événement phare de l'année, qui ne fut autre que la visite historique du prince Harry et de son épouse Meghan au Maroc. Au cours de sa carrière, le chef Moha a raflé moult prix internationaux, de l'acabit du "DC Embassy Chef Challenge" à Washington en 2017, le concours Tepas à Madrid, une médaille de l'académie culinaire de France ainsi que le prix du meilleur chef de la gastronomie marocaine au Maroc par le guide Gault & Millau en 2017.
Histoire : Aux origines du jerky inca Le nom «Ch'arki », dérivé de la langue quechua des Incas (qui se traduit littéralement par «viande séchée »), s'est, au gré du temps, transformé en ce que les Américains appellent le jerky. La découverte de la viande séchée a assurément permis à l'Homme du fond des âges de conserver des aliments pendant de longues périodes et de disposer d'une source nutritive riche et facile à transporter lors de ses périples kilométriques. Toutes les viandes du monde peuvent être ainsi transformées en jerky pour la simple et bonne raison qu'avec les moyens de bord, toutes les viandes possibles et inimaginables peuvent être séchées, puis conservées, même à l'ancienne. Le jerky est, pour beaucoup, exquis. D'aucuns affirment que les Amérindiens ont fabriqué la première viande séchée (viande séchée de bison) il y a des milliers d'années, tandis que d'autres avancent l'hypothèse qu'une ancienne tribu inca, les Quechuas, maitrisait le procédé de la viande séchée dès les années 1500. Ce qui est sûr et certain, c'est que cette recette éprouvée a été transmise de génération en génération. De plus, quand les premiers Européens sont arrivés en Amérique du Nord, ils ont découvert que les Amérindiens fabriquaient un produit à base de viande séchée qui n'avait pas besoin d'être consommé immédiatement, et ils ont tout de suite su que le jerky serait leur meilleur allié pour bien se ravitailler. Ce que les tribus amérindiennes appelaient « pemmican » était de la viande séchée et ajoutée à des fruits secs écrasés ou à du suif, c'est-à-dire de la graisse animale. Les Amérindiens ont appris aux colons à couper et à préparer la viande en longues lanières et leur ont ensuite fait part de l'ensemble du processus de préparation de la viande séchée. Ce n'est pas tout. Les anciens propriétaires des contrées enneigées du continent pouvaient même en réaliser plusieurs recettes. Forts de ces nouvelles connaissances et de cette recette éprouvée, les pionniers européens se sont mis à cuisiner et à consommer de la viande séchée sans modération sans toutefois aller jusqu'à en revendiquer le « brevet d'invention ».
La viande, en bref : Le khlii en vadrouille à Maspalomas En février dernier, le Festival de la Diplomatie Culinaire a eu lieu aux Iles Canaries à Maspalomas. Présidé par Kamal Rahal, cette cinquième édition de la rencontre gastronomique, de l'ère néolithique à nos jours, a eu comme but de hisser l'étendard de la diversité culturelle de la région Dakhla-Oued Eddahab. Les viandes séchées y ont, comme le couscous, le tagine et la pastilla, reçu toutes leurs lettres de noblesse. Selon M. Bachir Ayad, directeur, porte-parole du Festival et ambassadeur de la Fédération marocaine des arts culinaires aux îles Canaries, cet événement a été l'occasion d'organiser des séminaires pour présenter les possibilités d'investissement dans le secteur touristique au niveau de la région, offrant ainsi l'occasion d'aller à la rencontre du plus grand nombre d'Espagnols pour leur présenter un avant-goût d'une culture marocaine saharienne millénaire et aux multiples facettes.