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Rétro-Verso : Quand Feu Hassan II interdisait Aïd Al-Adha
Publié dans L'opinion le 14 - 06 - 2023

En 1963, 1981 et 1996, le défunt Roi Hassan II a annoncé à la Nation que le rituel d'Al Adha ne sera pas observé au Maroc. Tendance inflationniste, sécheresse, état du cheptel, ... toutes les raisons du monde expliquaient cette interdiction. Flashback sur ces années aux airs de pénurie.
Le dernier souvenir de l'interdiction du sacrifice du mouton au Maroc remonte à 1996. Plus précisément en mars de cette même année. Les Marocains apprirent par un communiqué du Roi Hassan II, lu par Abdelkébir Alaoui Mdaghri, alors ministre des Habous et des Affaires islamiques, que l'Aïd Al Adha ne sera pas fêté au Maroc. Le ministre a alors précisé que l'année 1995 avait été jugée calamiteuse pour l'agriculture. « Bien que la fête d'Al Adha soit une Sunna, elle ne peut être célébrée dans ces conditions difficiles, sinon la fête causerait des dégâts inévitables », ont entendu les Marocains de leurs propres oreilles. Cependant, les autorités n'ont pas tout à fait réussi à « tenir les moutons par les cornes ».


Cependant, ce ne fut pas la seule et unique fois où bon nombre de ménages marocains a dû faire l'impasse sur cette pratique sacrificielle édictée par l'Islam.

Une décennie et demie plus tôt, soit en 1981, le Plan quinquennal 1981-1985, connu sous le nom de «Plan de relance économique et sociale» est sorti des limbes pour tourner la page du «Plan triennal 1978-1980», orienté vers la réduction des importations, avec dans la ligne de mise la relance du secteur agricole et l'amélioration du cheptel marocain. Mais qu'à cela ne tienne : la sécheresse était telle qu'un nombre conséquent de bétails en a subi les rigueurs, sinon décimé.

Face à ce scénario macabre qui a miné le moral de bien des Marocains, feu le roi Hassan II a fait appel, pour la deuxième fois, à ses prérogatives d'Amir Al Mouminine (commandeur des croyants) pour appeler la Nation à ne pas sacrifier de mouton, cette année-là, par souci de reconstituer le cheptel. Mais il y en a qui ont fait comme si de rien n'était, ou ont sciemment procédé, en catimini, dans les zones rurales les plus enclavées, au rituel du sacrifice.

Ce scénario ressemble, à quelques détails près, à celui de la toute première fois où feu Hassan II a exhorté le peuple à renoncer, pour des raisons de force majeure, à la célébration de l'Aïd.

En effet, en 1963, le ministère des Habous et des Affaires islamiques a, au moment où les Marocains de l'époque s'y attendaient le moins, annoncé le message du défunt roi. Celui de prendre en considération les conditions climatologiques du Royaume et faire l'impasse sur le sacrifice du mouton. La surprise fut énorme car inédite. Mais les raisons touchant à la sécurité du cheptel, qui devait fatalement se reconstituer, étaient impératives.

Une interdiction sur fond de guerre
Aux catastrophes climatiques de cette année s'ajoute l'attaque armée algérienne qui a fait des victimes humaines et animales.
Ainsi, en 1963, la délimitation coloniale des frontières entre le Maroc et l'Algérie a poussé les deux pays voisins à se livrer une guerre éphémère, connue sous le nom de "guerre des sables". Ce contentieux armé débute formellement le 14 octobre 1963, lorsque les Forces Armées Royales (FAR) repoussent les forces algériennes et reprennent Hassi Beïda et Tinjoub, les FAR se cantonnant à quelques kilomètres de Tindouf. Il faut attendre janvier 1969 pour que le Maroc et son voisin concluent le traité d'amitié, de bon voisinage et de coopération d'Ifrane, puis, en juin 1972, la "Convention relative à la délimitation de la frontière d'Etat établie entre le Royaume du Maroc et la République Algérienne Démocratique et Populaire".
Mais en 1963, tandis que les deux pays sont affaiblis par une guerre qui semblait sans issue, la venue de la plus importante fête musulmane amène feu Hassan II à faire usage de ses prérogatives de Chef surpême de la Nation et de la Communauté musulmane pour interdire aux nationaux de célébrer l'Aïd Al Adha. En vertu d'un décret royal, les Marocains d'alors étaient tenus de s'y conformer au pied de la lettre. Le contexte socio-économique n'était pas propice et le cheptel n'était pas suffisant pour tous les Marocains. Toutefois, l'Historiographie n'a pas eu écho de quelques éventuels « révoltés-fêtards » que ce soit.

Houda BELABD
Conjoncture : Donner une nouvelle vie au cheptel
Quelques soient les conditions socioéconomiques des citoyens, le Maroc facilite de manière annuelle les procédures d'importation, dans le but de garantir l'approvisionnement en viande rouge ovine sur le marché national.
Dans ce sens, le ministre de l'Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural, des Eaux et Forêts, Mohammed Sadiki, a annoncé l'arrivée de 18.000 têtes de bétail au Maroc la semaine prochaine.
Ainsi, aux dernières nouvelles, le gouvernement a levé les incertitudes concernant l'importation de moutons d'Australie pour faire face à la montée des prix de la viande ovine sur le marché marocain, et a pris des mesures pour faciliter le processus d'importation, a-t-on précédemment annoncé sur les colonnes de L'Opinion.
En effet, à l'écriture de ces lignes, le gouvernement facilite les procédures d'importation de moutons sans orienter les investisseurs ou les importateurs vers un marché spécifique. En outre, l'importation reste libre et l'objectif principal est de s'assurer que les produits arrivent dans des conditions sanitaires requises. Le gouvernement veille à ce que les conditions de transport soient saines et que les moutons répondent aux normes de sécurité sanitaire à l'arrivée au Maroc.
D'ailleurs, tout récemment, M. Sadiki a annoncé que le Maroc avait décidé d'importer des moutons pour répondre à la sécheresse sévère qui a eu un impact sur le cheptel national. Cette décision permettra de garantir l'approvisionnement du marché national en viande. Les opérateurs intéressés par l'importation d'ovins pour l'abattage doivent déposer leur dossier conformément à un cahier des charges établi par la direction du développement des filières de production, soit par voie électronique soit par voie officielle.

Zoom-avant : Un été pas comme les autres
Face à la sécheresse récurrente et à l'inflation galopante, bon nombre de Marocains envisagent de faire l'impasse sur la fête du mouton pour ne pas devoir subir ensuite une dure période de vaches maigres. Seulement voilà, tous ceux qui tiennent, malgré cette situation accablante, à aller jusqu'au bout du sacrifice, devront payer leur mouton au moins 15 à 25 % plus cher que l'année dernière. Quoi que l'on dise et quoi que l'on en pense, d'aucuns défendent l'idée selon laquelle la fête d'Al Adha a, certes, un coût, mais le bonheur de la passer avec les siens n'a pas de prix.
Histoire : Al Adha outre-mer, le cas de la France
Vers le milieu des années 80, les moutons sacrifiés généralement dans les baignoires par des immigrés musulmans dans les banlieues de Paris, Lyon et Marseille, entre autres, ont fait la Une de plusieurs quotidiens français.
Dès 1986, la Droite française est allée jusqu'à décrier le nombre considérable de moutons destinés à un rituel sacri ciel musulman. En l'absence de toute preuve de torture animale, dans un contexte français laïc, le statut de cette fête a, bien au contraire, été reconnu comme une liberté individuelle. En droit français, l'abattoir est le lieu où meurent les animaux de boucherie.
Pour d'aucuns, le sacrifice de l'Aïd équivaudrait à une proposition utopique qui transposerait une pratique rurale à une situation urbaine, les familles musulmanes résidant le plus souvent dans les lotissements des grandes villes ou de leurs banlieues. Quelques années plus tard, un certain nombre de municipalités de la banlieue parisienne ont suivi une consigne ministérielle et ont mis en place un site pour leurs administrés musulmans et ceux des communes avoisinantes.
Apparemment, il n'y a pas eu à l'époque de concertation entre le ministère de l'Agriculture, qui gère la filière viande et la protection des animaux, et le ministère de l'Intérieur, dont le Bureau central des cultes est chargé des relations avec les autorités représentant les religions présentes en France, mais aussi gère l'application de la loi de 1905 sur la police des cultes. Parallèlement, tout au long des années 1980, l'Aïd a été célébré pendant les vacances scolaires, de nombreuses familles musulmanes ont donc préféré le fêter dans leurs pays d'origine.
A partir de 1991, l'entrée de la fête dans l'année scolaire faisait courir le risque d'une plus grande visibilité du sacrifice. Pour prendre le mouton par les deux cornes, le bureau central des cultes a alors pris en charge la gestion de ce rituel : en 1990, il avait commandé aux préfets une enquête sur l'abattage rituel musulman, avec une question sur « les conditions du sacrifice de l'Aïd dans chaque département et les éventuelles plaintes du voisinage ».
En outre, en avril 1991, le ministre français de l'Agriculture a fait remarquer au ministre de l'Intérieur que, compte tenu du « mécontentement croissant des associations de protection des animaux et de l'opinion publique », il était grand temps d'orienter la question vers les compétences de la police et des autorités locales.
En conséquence, la législation française en est venue à n'autoriser l'abattage rituel que dans les abattoirs agréés, et à l'interdire dans les abattoirs clandestins, à la ferme, chez les particuliers ou ailleurs, y compris sur les sites d'approvisionnement, comme c'est bien souvent le cas.

Actualité : Le mouton reprend du poil de la bête
La hausse du prix du mouton au Maroc, qui a donné lieu au hashtag «#annuler_l_'_Aïd_Al-Adha », fait l'objet d'un débat récurent au ton de plus en plus exacerbé. La fête de ce rituel pourrait bien être compromise pour un grand nombre de familles marocaines en raison de la flambée du prix du mouton qui, au moins dans quinze jours, fluctue entre 20 et 40 % de plus comparé à la même période de l'année dernière.
Cette augmentation est nettement supérieure aux annonces optimistes du ministère de l'Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, qui a indiqué tout dernièrement que le prix du mouton ne devrait augmenter que de 15 à 25 % en comparaison avec l'année précédente, étant donné la conjoncture intérieure et extérieure actuelle.
Même si l'Exécutif a tenu à rassurer devant l'Hémicycle, le 9 mai dernier, qu'il n'était pas envisagé d'annuler les festivités de l'Aïd Al-Adha et que le gouvernement œuvrait à encadrer les prix pour ne pas porter préjudice au pouvoir d'achat de la population, beaucoup de Marocains hésitent à sauter le pas devant les prix prohibitifs de cette année.
Avec un taux d'inflation qui atteint facilement les 10 %, depuis quelques mois, l'économie marocaine est plongée dans une spirale d'incertitudes et de désillusions. Dans ce panorama, le prix du bétail destiné au sacrifice a grimpé du fait de la pression sur le cheptel, durement affecté par la sécheresse qu'a connue et connaît encore le Royaume. L'impact en a été marquant sur tout le secteur agricole et, particulièrement le bétail, à cause de la hausse des prix de l'alimentation. Dans ce scénario, les ménages marocains les plus vulnérables ne sont plus en mesure de soutenir le rythme de l'inflation et voient leur pouvoir d'achat gravement amoindri.

En bref... En 1996, peu de moutons ont été sacrifiés
Au milieu des années 90 du siècle dernier, de nombreux ménages marocains se plaignaient de l'inflation, jugée vertigineuse par rapport au rythme inflationniste observé dix ans plus tôt. Cependant, eu égard à divers paramètres socioculturels, il était (et il est toujours) incongru de ne pas célébrer Al Adha.
Pour autant, en 1996, par respect pour les sentiments des citoyens qui ne pouvaient pas casser leur tirelire à cette fin, dans une période incertaine, feu le Roi Hassan II, de par ses prérogatives de chef spirituel de la communauté, a décrété l'interdiction de la célébration de l'Aïd, en raison de la sécheresse qui sévissait dans le pays, et par souci d'en atténuer l'impact économique sur tout le circuit productif. Qu'à cela ne tienne, bon nombre de Marocains ont tenu mordicus à célébrer le rituel du sacrifice, imbus par l'idée qu'il s'agit d'un impératif catégorique alors qu'il relève d'une Sunna (tradition prophétique), certes éminemment recommandée.
Aux origines de la célébration de l'Aïd Al Adha
La fête du sacrifice commémore la force de la foi de Sidna Ibrahim qui, sur l'ordre de Dieu, accepte de sacrifier son fils unique, Ismaël. Quel geste de sacrifice à nul autre pareil pour se soumettre au décret divin ! Mais récompense à la mesure du geste : au dernier moment, l'enfant est remplacé par un mouton, don du Ciel par le biais de l'archange Gabriel. Depuis l'avènement de l'islam, continuateur de la foi monothéiste, chaque année, les musulmans du monde évoquent la symbolique de l'événement en consentant un sacrifice, en l'occurrence un mouton d'au moins six mois, un bouc de deux ans et plus, un bovin de deux ans entré dans sa troisième année lunaire ou un dromadaire de cinq ans.
De plus, selon les règles en vigueur, le musulman doit se comporter au mieux avec l'animal, comme dicté par le Messager de l'islam, que la paix et le salut soient sur Lui : « Lorsque vous tuez, tuez de manière parfaite et si vous égorgez, égorgez de manière parfaite. Que l'un de vous aiguise son couteau et qu'il apaise la bête qu'il égorge ».
Au Maroc, Al Adha est inscrit comme fête rituelle marquante, en signe de gratitude pour les bienfaits divins, depuis l'introduction de l'islam au Maroc vers la moitié du VIIème siècle.


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