Le Maroc est à la croisée des chemins agricoles au moment où le pays fait face à une sécheresse impactant sans aucun doute le rendement de ses cultures, imposant de facto la révision de la politique agricole. Explications avec Mme Fatima Ezzahra Mengoub, Senior Economiste au Policy Center for the New South (PCNS). - La campagne agricole de cette année traverse une période difficile en raison de la sécheresse que connaît le pays. Quelle analyse faites-vous à ce sujet ? - Effectivement, la campagne agricole de cette année a accusé une baisse conséquente de la pluviométrie, ce qui a impacté négativement les rendements réalisés, surtout ceux des cultures conduites dans les zones pluviales (ou Bour). Au total, le Maroc a reçu jusqu'à fin mai une pluviométrie de seulement 199 mm, soit une baisse de 34 % par rapport à l'année dernière et 44 % par rapport à la moyenne enregistrée durant les trois dernières décennies. En plus d'être faibles, les pluies ont été inégalement réparties dans le temps et dans l'espace ne permettant pas ainsi de satisfaire les besoins des cultures en eau durant les périodes de pics de demande. La baisse de la pluviométrie, conjuguée au déphasage entre les périodes de pluies et le cycle de développement des cultures, ont creusé davantage le déficit hydrique, ce qui s'est traduit par une production agricole faible. S'agissant des céréales, par exemple, cultures pratiquées majoritairement dans les zones pluviales, la baisse de la production en 2022 est considérée comme l'une des plus importantes durant les 25 dernières années. Une production de seulement 34 millions de quintaux au lieu de 103,2 millions de quintaux l'année passée. 58 % de la production céréalière proviennent de deux régions seulement (Fès-Meknès et Rabat-Salé-Kénitra) et 20 % du secteur irrigué. Dans ces conditions, il est prévu que la valeur ajoutée agricole baisse de 14 %. En raison de la relation étroite entre la croissance agricole et la croissance économique, cette dynamique baissière constitue un choc réel pour l'économie marocaine qui souffre encore des répercussions de la pandémie Covid-19 et plus récemment des effets des tensions géopolitiques mondiales. - Quelle pourrait être la place des petits agriculteurs dans cette nouvelle configuration ? - Le petit agriculteur pourrait jouer un rôle important dans cette nouvelle configuration. Il pourrait contribuer énormément à la sécurité alimentaire du pays et même au développement agricole. Ce n'est pas parce qu'on est petit qu'on ne peut pas être plus productif, efficient et créateur de valeur ajoutée. D'ailleurs, plusieurs études montrent que les petits agriculteurs sont généralement plus efficients que les grands car ils ont cette capacité de gérer la rareté, qu'elle soit financière, technique ou naturelle (terre et eau), ce qui leur permet de prendre les meilleures décisions en termes d'allocation des ressources et de pratiques agricoles. Au Maroc, la majorité des agriculteurs sont petits et ce sont eux qui alimentent nos marchés locaux en produits agricoles. De plus, la majorité des intrants utilisés par les petits agriculteurs ne sont pas importés, ce qui a un effet multiplicateur important sur toute l'économie et permet de créer de la valeur ajoutée même en dehors du secteur agricole. Certes, la petitesse des exploitations, à un certain degré, peut être contraignante mais peut aussi constituer une force pourvu que les bonnes actions soient déployées, à commencer par la structuration de ces agriculteurs, l'agrégation, l'organisation de leurs circuits de commercialisation, mais surtout le renforcement de leurs capacité et technique de production. - Un mot sur le Plan Maroc Vert... - Comme toute politique, le Plan Maroc Vert présente plusieurs points forts, mais également des faiblesses. Globalement, il a permis d'augmenter considérablement la production agricole et d'améliorer la productivité dans plusieurs filières agricoles aussi bien au niveau des champs que de celui des circuits de commercialisation. Néanmoins, des inefficiences ont été observées sur plusieurs plans, notamment la gestion des ressources en eau, ce qui a abouti à des situations d'intensification et de surexploitation de la ressource. Aujourd'hui, la nouvelle politique « génération green » est censée combler les lacunes, surtout en ce qui concerne l'élément humain. Certes, il est compréhensible qu'il faille augmenter la capacité productive des agriculteurs, d'où les subventions débloquées et les incitations pour encourager l'investissement, mais il est également important de s'assurer que ces agriculteurs aient les capacités techniques nécessaires pour éviter les inefficiences et le gaspillage. - Que pensez-vous de la politique des barrages dans le contexte actuel ? - Il est indéniable que la politique des barrages est un choix stratégique. Le Maroc se situe dans une zone géographique caractérisée par des ressources en eau faibles et variables dans le temps et l'espace. Face à cette situation, il fallait impérativement penser à des dispositifs permettant de stocker les ressources en eau afin de les gérer de façon optimale. La politique des barrages a permis de mobiliser des quantités colossales d'eau en vue de les utiliser en périodes de besoin. De plus, cette politique a permis de doter le Maroc d'un cadre législatif régissant le secteur de l'eau relativement performant. Il est très important de souligner cela, car les crises de l'eau peuvent émaner de la rareté physique de la ressource mais aussi de l'absence d'un cadre institutionnel qui la gère (règles de partage et de distribution de l'eau, loi de l'eau, etc.). Dans ce sens, l'expérience du Maroc en termes de gestion de l'eau est très riche et présente des enseignements intéressants. Propos recueillis par Wolondouka SIDIBE Bon à savoir
Mme Fatima Ezzahra Mengoub est économiste principale au Policy Center for the News South. Elle est spécialisée en économie agricole et travaille sur plusieurs questions liées à l›analyse de la croissance agricole, au changement structurel économique, au commerce agricole inter et intra-régional, à la gestion des ressources naturelles et à la sécurité alimentaire. Elle a publié divers articles sur le rôle de l'investissement agricole, les chaînes de valeur agricoles, la productivité et le changement technologique dans l›agriculture et la gestion de l'eau. Elle a également enseigné la macroéconomie et la microéconomie à l'Institut Hassan II des Sciences Agronomiques et Vétérinaires (IAV) et à l'Ecole de Gouvernance et d'Economie (EGE). Quant au Policy Center for the New South (PCNS), c'est un groupe de réflexion marocain visant à contribuer à l›amélioration des politiques publiques économiques et sociales qui interpellent le Maroc et le reste de l'Afrique en tant que parties intégrantes du Sud global. Le PCNS plaide pour un « nouveau Sud » ouvert, responsable et entreprenant.
De la politique agricole Gagner en productivité par une vision avant-gardiste
A la question de savoir s'il faut repenser la politique agricole pour les années à venir ? Mme Fatima Ezzahra Mengoub, Senior Economiste au Policy Center for the New South, est on ne peut plus claire. « L'agriculture a toujours été considérée comme l'un des secteurs économiques les plus importants. Dans ce sens, plusieurs politiques agricoles ont été élaborées afin de garantir une productivité agricole considérable. Il ne faut pas nier que les politiques agricoles, surtout celles relatives aux secteurs agricoles irrigués, ont permis de sécuriser la production agricole », relève-t-elle. Selon notre interlocutrice, certaines cultures à haute valeur ajoutée ont été introduites et le Maroc a pu gagner en compétitivité pour devenir un leader sur le marché international, notamment en ce qui concerne les tomates, certains fruits rouges et le maraîchage. « Cette agriculture intensive a permis non seulement de constituer une source importante de devises et de créer de la valeur ajoutée au niveau local, mais aussi de contribuer à la sécurité alimentaire des Marocains, car ce concept n'est pas lié seulement à la sécurisation des produits de base comme les céréales », fait-elle remarquer. Toutefois, dit-elle, cette concentration des ressources et des efforts envers le secteur irrigué, qui représente seulement 20 % des superficies agricoles cultivées, doit être repensée. En effet, ce modèle n'a permis que partiellement de se protéger des aléas climatiques car les 80 % des superficies restantes demeurent sujettes au climat qui devient de plus en plus contraignant. Le changement climatique est là et on le ressent avec les températures qui augmentent et les pluies qui se raréfient.