La poésie est « un genre très difficile et presque démodé ». C'est en substance une affirmation qui se donne à lire dans « L'oeil du paon », non pas dans les textes qui le composent mais en prière d'insérer. Au-delà de la clause de style, ce n'est pas parce qu'elle semble s'excuser d'écrire ainsi de la poésie que Rita El Khayat ne s'y investit pas, avec rigueur et scientificité, si l'on peut dire. La psychiatre et essayiste qui a consacré plusieurs ouvrages à des problématiques « féminines » est aussi dans la maîtrise romanesque et du texte court... de l'échange épistolaire, aussi, comme en témoigne « Correspondance ouverte » avec Abdelkébir Khatibi. « L'oeil du paon » se décline en « poèmes anciens épars dans le temps », « poèmes de mort » et « poèmes tragiques » couvrant les périodes 1977-1996, 1997-1998, 1999-2001, sous les titres « L'oeil du paon », « L'oeil mort », « L'oeil vide ». Une sorte d'exergue générale en trace le territoire : Ma mère m'a donné la vie, Cadeau empoisonné. Ma fille m'a donné la mort, Elle m'a délivrée... « L'oeil du paon » qui prend une forme d'anthologie de poésies de la vie et de la mort, est illustré par des photographies, des sortes de gribouillages à l'expression indéterminée qui semblent renvoyer à une enfance contrariée par, justement, la mort qui les a ainsi figés, des sculptures et des dessins de Rita El Khayat elle-même. « L'oeil du paon » est une élégie à la mort d'un être cher et de sa chair, un poème funéraire qui ne fait pas deuil mais sacralise, élève au-dessus des limbes et immortalise l'enfant-roi qui s'irradie de lumière. Et si la poésie n'était que mort ? » A la question, Rita El Khayat n'a pas de réponse structurée car elle n'est ni dans l'analyse psychanalytique ni même dans la rhétorique de la critique littéraire, celle de l'histoire des idées, des formes littéraires. Dans « Pour toi, je suis devenue poète », le lecteur est dans la confidence qui ne se chuchote pas mais se dit à haute et intelligible voix : « Les poètes assurément sont fous de quelque chose. Ou de quelqu'un. J'ai eu toute ma vie durant une position ambivalente vis-à-vis de la poésie et des poètes. Certains disent la poésie est le genre littéraire le plus difficile. La poésie est la forme parachevée de tout art ». Avec la poésie, c'est aux portes du sublime que vient frapper Rita El Khayat et avec lucidité car n'est-ce pas que la poésie est : « Muse de tous les Impossibles » ? « L'oeil du paon » est une expérience de vie. Cette affirmation est de l'ordre de la poésie qui fait que l'on entend le bruit d'un train qui roule... seulement après sa mort : Dans le train on a une curieuse sensation de vide total. On entend le bruit... mort C'est le grand silence. Abdallah BENSMAIN