Promouvoir l'Unité Africaine et en faire une réalité intangible est devenu une priorité pour les Etats du continent. Il faut y travailler et réussir cette union sur tous les plans. M. Lagrange Fidèle SINMENOU AGNANKPE, Directeur Exécutif du Laboratoire de Recherches et d'Actions Diplomatiques (LaRAD) et organisateur de la 1ère édition du Forum des Jeunes Diplomates Africains et Assimilés, sait de quoi il parle. Entretien. - On dit que l'Afrique doit parler d'une seule voix. S'agit-il d'un langage diplomatique ou d'une nécessité impérieuse pour le continent ? - Pour répondre à cette pertinente question, je ferai mien les propos du panafricaniste Joseph Ki-Zerbo dans son ouvrage « À quand l'Afrique ? » où il affirme que : « Parmi les grandes questions, il y a d'abord celle de l'Etat. Ensuite, il y a aussi celle de l'Unité, de l'émiettement de l'Afrique. Mon idée (...) est que l'Afrique doit se constituer à travers l'intégration ». Ce qu'il faut comprendre par-là est que la mondialisation est une guerre économique à laquelle les pays africains, divisés et éparpillés, ne pourront pas sortir vainqueurs car les forts mènent le jeu et les faibles dansent chacun à la périphérie, devenant de plus en plus faibles et impuissants au fil des années. L'essentiel de nos problèmes fondamentaux (faiblesse du système éducatif qui est très peu compétitif, manque d'équipements sanitaire de pointe et de personnels hautement qualifiés, manque d'infrastructures, insuffisance alimentaire, insécurité, instabilité politique...) ne trouveront de solutions que grâce et à travers l'unité africaine. - A quoi faites-vous référence ? - Il y a des exemples comme l'Union européenne ou des Etats-Unis d'Amérique. Ils témoignent à suffisance car il s'agit de groupements d'Etats qui avaient de profondes divergences. Ils sont devenus les meilleurs et influents cadres de négociation politique, militaire, commerciale, sanitaire...Ils favorisent un développement plus harmonieux de leurs états membres. Et le principe conducteur de toute intégration est la mise en commun des efforts ainsi que des avantages comparatifs des parties prenantes pour parvenir à atteindre l'idéal commun préalablement identifié. - Autrement dit, l'unité africaine est incontournable ? - Pour ma part, je pense que les pays africains doivent être plus pragmatiques et réalistes. Ceci afin que le potentiel économique et humain du Continent soit mis plus à profit pour l'épanouissement des peuples. Cela ne peut passer que par une consensuelle et consciencieuse harmonisation des points de vue, des organismes nationaux, sous régionaux et régionaux, des instruments institutionnels et juridiques mis en place afin de peser sur l'échiquier mondial en se positionnant comme un véritable partenaire capable de parler d'égal à égal avec les incontournables mais aussi les récents acteurs de la scène internationale. L'Afrique regorge d'hommes et de femmes capables de relever cet épineux défi du présent siècle. Nous avons intérêt à promouvoir l'Union Africaine et en faire une vraie réalité, une priorité parce que toutes les solutions sont là. Nous devons travailler et réussir à faire l'Union sur tous les plans nécessaires, pas seulement en diplomatie qui n'est que le carrefour, mais aussi en économie, défense, éducation, administration, technologie, approche de développement... Aucun secteur ne doit être épargné. - Justement, vous organisez la 1ère édition du Forum des Jeunes Diplomates Africains et Assimilés en partenariat avec l'Institut Mandela, l'Ecole Doctorale GAMO (Gouvernance de l'Afrique et du Moyen-Orient) de l'Université Mohammed V du Maroc et l'OMA au Gabon. De quoi s'agit-il ? - Le Forum des Jeunes Diplomates Africains et Assimilés, qui va se dérouler exclusivement en vidéoconférence du 19 au 23 Juillet 2021 au Gabon, est une initiative du Laboratoire de Recherches et d'Actions Diplomatiques (LaRAD) soutenu par ses partenaires traditionnels. C'est un cadre annuel des diplomates de carrière ou non, des auto-entrepreneurs en diplomatie, des étudiants, des professionnels ou non de tous corps de métiers des secteurs privé et public, pour renforcer leur capacité par des dialogues intergénérationnels avec des spécialistes et experts africains de haut vol, des échanges, des partages d'expériences et d'informations sur les questions directement liées aux problématiques qui touchent et toucheront l'Afrique. - Que doit-on s'attendre de ce Forum ? - Cette conférence permettra aux participants de mieux appréhender les enjeux et défis de la diplomatie africaine pré et post-Covid 19 d'une part, et, d'autre part, aux éminents panélistes d'apporter leurs riches et pertinentes expériences dans les diverses activités et branches de la diplomatie moderne : diplomatie classique (diplomatie bilatérale et multilatérale) et ses déclinaisons (culturelle, sanitaire, économique, numérique...), diplomatie du cinquième pouvoir... Cette rencontre va permettre, in fine, à tous les participants de mieux prendre conscience de la nécessité de se positionner en vue du réveil des consciences face aux multiples "facettes" de la guerre économique qui se déroule déjà depuis plusieurs décennies et qui a entraîné le retard criard de l'Afrique sur la scène internationale et ce, sur plusieurs plans. D'autre part, elle permettra à des experts africains de divers domaines les uns aussi compétents que les autres d'exposer et de proposer des pistes de solutions aux problèmes africains présents et futurs. En d'autres termes : un cadre permanent créé par et pour les Africains surtout jeunes, afin de préparer techniquement la relève... « On n'est mieux servi que par soi-même. » - La diplomatie est la vitrine d'un Etat. Quelle analyse faites-vous au niveau de l'Afrique ? - Je dirai oui dans une certaine mesure. La Diplomatie Africaine peine à s'imposer car elle est sans nul doute le reflet de l'absence, de la faiblesse voire des conflictuelles relations qu'entretiennent plusieurs Nations et autorités africaines entre elles. Le conflit entre l'Algérie et le Maroc qui a des répercussions sur l'harmonisation de certaines politiques sous-régionales par exemple peut bien trouver une solution, comparaison n'est pas raison mais les USA et Cuba ont pu avoir de meilleures relations. Par ailleurs, plusieurs pays africains « décolonisés » sont encore sous le diktat de la politique étrangère des pays colonisateurs ralentissant ainsi la nécessaire mise en commun des efforts et visions déployés dans le cadre d'une intégration réussie. Enfin, le financement extérieur d'un projet propre à l'Afrique ne saurait favoriser l'émergence d'une Diplomatie Africaine crédible et forte capable d'être au service des peuples africains. L'Afrique doit pouvoir trouver sa place et cela passera nécessairement par une préparation de la jeune relève à travers une refonte ou réforme des positions, des actions et diplomaties nationales en Afrique. - Lors de cette manifestation, vous procèderez au lancement de la Plateforme Jeunes Diplomates Africains et Assimilés. A quoi va-t-elle servir ?
- La Plateforme Jeunes Diplomates Africains et Assimilés qui sera mise en place à l'issue du Forum sera un creuset de dialogue permanent, car pour parler d'une même voix, il faut d'abord dialoguer et se comprendre ce qui prend du temps : donc cette plateforme va aider à cet exercice, tirer la sonnette d'alarme des difficultés, projets et ambitions novateurs des jeunes provenant de tous les horizons d'Afrique, à l'effet de susciter la prise en compte de leurs défis. Ainsi, favoriser l'influence des politiques nationales et continentales dans le seul objectif du bien-être des peuples et l'émergence d'une jeunesse préparée, plus consciencieuse et mieux formée et préparer aux exigences de développement d'une Afrique post-Covid 19. - Qu'en est-il de la formation des jeunes africains dans la diplomatie ? S'intéressent-ils à cette carrière? - Après une étude de la banque mondiale sur « la jeunesse africaine dans le monde du travail », très peu de jeunes actifs africains sont carriéristes dans le secteur public contrairement aux jeunes actifs du secteur privé. Beaucoup de jeunes africains s'intéressent à la carrière diplomatique mais les recherches de notre laboratoire montrent que sur 10 jeunes s'y intéressant, seuls deux ont une vision crédible, claire et précise de ce qu'ils désirent faire et comment y parvenir. Les 8 autres ne s'y intéressent que pour leurs intérêts personnels, ce qui est dommage et dangereux. Les instances gouvernementales en parfaite harmonie avec la société civile doivent travailler de concert afin de favoriser un plus grand intéressement crédible des jeunes face aux questions qui les touchent particulièrement en s'engageant professionnellement dans des voies où leur implication et leur détermination feront bouger les choses en Afrique. Un jeune diplomate qui n'a pas une vision crédible, n'est pas formé, constitue une double perte de valeur considérable pour le continent car la ressource humaine est le potentiel créateur de richesse. L'Afrique est le continent dont la tranche de 15-40 ans sera doublé d'ici 30 ans, il faut absolument valoriser ce riche potentiel, et ralentir voire stopper la fuite des cerveaux qui cause également les faibles performances du Continent.