L'auteure du document "Livre noir de la ville blanche" a mis trois mois à l'écrire, après avoir annoncé l'idée sur les réseaux sociaux. Mouna Hachim nous dévoile les détails de cette initiative. - D'où est venue l'idée, l'envie, d'écrire le document "Le Livre noir de la ville blanche" ? Un trop-plein de haine pour la Métropole casablancaise ? - Ce document est le fruit d'un constat d'échec de la gestion de Casablanca dans le sens où tous ses secteurs clés connaissent des dysfonctionnements, où la communication avec les citoyens est le cadet des préoccupations, où un groupe fondé sur Facebook nommé «Save Casablanca », avec ses 268.000 membres, très suivi et relayé par les médias, s'échine au quotidien à dénoncer les différentes nuisances sans résultat sur le terrain ; bien au contraire, les problèmes ne faisant qu'empirer chaque jour comme on peut le voir actuellement, avec l'ouverture d'autres chantiers sans avoir bouclé à temps les précédents, plongeant la ville dans un capharnaüm invivable. Le comble avait été atteint avec les dernières précipitations que Casablanca a connues et qui ont révélé l'ampleur des manquements en termes de qualité des infrastructures, du suivi et contrôle des sociétés délégataires, de communication avec les citoyens... De là, m'est venue l'idée d'un document récapitulatif, diffusé en toute transparence à grande échelle en format PDF, de manière à ce que personne ne puisse dire qu'il ne savait pas et en espérant au final que nos voix soient enfin entendues. - Comment vous êtes-vous organisée pour mettre en lumière les doléances, les témoignages et les propositions formulées sur le groupe « Save Casablanca », que vous avez créé ? - Les réseaux sociaux ont leur force, en termes d'interactivité notamment, mais ont aussi leurs limites. J'avais lancé l'idée du livre le 9 janvier 2021 en demandant la mobilisation du plus grand nombre, mais sur le plan concret, il aurait été compliqué de mobiliser des équipes de travail. De là, j'ai décidé de me prendre en main et d'effectuer toute seule l'opération d'écriture et de compilation, en me basant sur les thématiques qui reviennent le plus souvent pour faire un plan, en reprenant les témoignages et images les plus significatives des membres du groupe Save Casablanca, que ce soit en arabe, en darija ou en français et en rédigeant les textes introductifs de chaque chapitre et objets de documentation à partir d'articles de presse ou de sites officiels. Cela m'a pris plus de trois mois au terme desquels ma sœur, membre du groupe et bien que ce ne soit pas son domaine professionnel, s'est dévouée pour donner au document une présentation attractive. - Pouvons-nous dire que la surpopulation et le comportement des Casablancais est ce qui freine la bonne gestion de cette ville ? -Ce serait totalement injuste de valider une telle supposition. Il existe de par le monde plusieurs villes surpeuplées mais bien gérées. Casablanca est une ville généreuse qui a cette capacité de recevoir en son sein des populations de différentes origines dans une belle énergie et dynamisme. Mais c'est aussi une ville tentaculaire qui a grandi de manière anarchique échappant aux plans initiaux qui étaient bien cadrés et structurés, contrairement au désordre qui est devenu une marque de fabrique. Car la capitale économique n'est pas seulement victime de son essor mais d'un réel problème de gouvernance. Dans le même ordre, c'est une ville où tous les habitants, simples citoyens ou politiques, ne s'identifient pas ; de façon à ce qu'une personne née à Casablanca se dit encore originaire d'on ne sait quelle ville, village ou campagne. Or, on ne peut pas contribuer au développement véritable d'une ville si on s'y sent étranger, si on la considère juste comme une vache à lait bonne pour propulser à un poste ou fructifier les affaires, si on ne prend pas conscience de son Histoire et de sa richesse fondamentale. - Quels sont les doléances et les témoignages les plus percutants et les plus fréquemment soulignés par les Casablancais ? - Les problèmes de Casablanca sont devenus insurmontables entre lenteur anormale des chantiers, occupation de l'espace public, manque des espaces verts, gestion de l'hygiène, du transport, atteinte au patrimoine de la ville sous toutes ses formes... - Que proposez-vous concrètement pour pouvoir un jour rédiger "Le livre blanc de la ville blanche" ? - Quelques propositions sont émises dans le groupe Save Casablanca et relayées dans « Le Livre noir de la ville blanche » mais honnêtement, est-ce aux citoyens de trouver des solutions aux problèmes de gestion de la ville ou aux politiques et leurs innombrables équipes qui sont payés pour le faire ? Si chacun faisait juste son travail comme il se doit, en étant à l'écoute des citoyens sur le terrain hors des bureaux feutrés, et en étant assuré d'une reddition des comptes à la clé, on aurait accompli une grande avancée. Portrait: La «Maire de cœur» de Casablanca Mouna Hachim écrit en français à partir de recherches historiques anciennes et contemporaines qui sont pour l'essentiel en langue arabe. Ce qui fait que ses recherches sont axées sur une double culture et un travail de translation de l'arabe vers le français. Parallèlement, la chercheuse et femme de lettres continue sa contribution dans les médias. Titulaire d'un DEA en littérature comparée de l'université Hassan II de Casablanca, elle a travaillé deux ans à un projet doctoral avant de s'engager professionnellement dans le journalisme et la communication. Elle a ainsi écrit une série de « Chroniques d'hier et d'aujourd'hui » pour le journal L'Economiste de 2007 à 2012. Elle a aussi animé une chronique quotidienne intitulée « Secrets des noms de famille » sur Radio Atlantic de 2007 à 2009. Elle est également l'auteur d'une série documentaire pour la chaîne TV Medi1 sur la «route des origines» (Triq el-Asl) autour de ses recherches sur la généalogie et les noms de famille du Maroc. Mouna Hachim est également l'auteur d'un roman, « Les Enfants de la Chaouia » (Auto Edition, 2004) ; du Dictionnaire des noms de famille du Maroc (Autoédition, 2007) dont une nouvelle édition augmentée fut publiée en 2011 (Casablanca, Edition Le Fennec) ; de Chroniques insolites de notre Histoire – Maroc, des origines à 1907 (Auto Edition, 2016) qui a fait l'objet d'une édition française en 2018 sous le titre « Histoire inattendue du Maroc » (Paris, éditions Erick Bonnier) et d'un roman historique, « Les Manuscrits perdus » (Paris, éditions Erick Bonnier, 2019). Mouna Hachim est par ailleurs engagée dans des actions citoyennes, notamment autour de la protection du patrimoine. Elle est considérée comme la «Maire de cœur» de Casablanca.