Sahara, accord de pêche, guerre commerciale avec l'Espagne, nouvelle politique de voisinage, la représentante de l'Union Européenne nous livre la vision de Bruxelles sur les sujets qui fâchent. Lors d'une conférence de presse tenue récemment, vous avez annoncé un nouveau partenariat qui aura lieu entre le Maroc et l'Union Européenne pour la période 2021-2027, pouvez-vous nous en parler et quels seront les domaines de coopération les plus prioritaires ? - Pour relancer et renforcer le partenariat stratégique entre l'Union Européenne et ses partenaires du voisinage méridional, la Commission Européenne et le haut représentant ont adopté le 9 février dernier une communication conjointe proposant un nouvel agenda ambitieux et innovant pour la Méditerranée. Ce nouvel agenda a été pensé en coopération avec le Maroc et l'ensemble de nos partenaires du voisinage Sud. Ceci montre que l'Europe souhaite contribuer directement à une vision à long terme de la prospérité et de la stabilité dans la région, en particulier dans le cadre de la reprise de l'activité économique et sociale qui fait suite à la crise liée à la pandémie. Ce nouvel agenda mettra l'accent sur les personnes, en particulier les femmes et les jeunes, mais insistera aussi sur le besoin de « reconstruire en mieux», c'est-à-dire de relancer l'économie en intégrant la lutte contre le réchauffement climatique et en tirant plein profit des opportunités de la révolution numérique en cours. Le tout pour bâtir un voisinage méridional pacifique, sûr, plus démocratique, plus vert, prospère et inclusif, qui ne laisse personne de côté. En parallèle, un plan d'investissement économique spécifique est en préparation pour appuyer ces efforts. Il s'agit de soutenir financièrement des programmes-phares parmi lesquels figure en bonne place l'appui au Fonds Mohammed VI pour l'Investissement. Pour ce faire, le Fonds européen pour le développement durable (EFSD +) sera mobilisé, ainsi que les autres institutions financières européennes, pour contribuer aux opérations du Fonds Mohammed VI. Nous collaborerons pour apporter de réels changements sur le terrain, dans l'intérêt tant de nos voisins que de l'Europe.
- Ça fait plus de huit ans que l'accord agricole de 2012 est entré en vigueur, l'UE s'est félicitée du doublement des échanges de produits agricoles, or, des problèmes persistent, notamment avec l'Espagne qui a imposé récemment des normes plus restrictives à l'entrée des produits marocains sur le marché européen. S'ajoute à cela les attaques que subissent les marchandises marocaines dans ce pays. La Commission Européenne est-elle consciente de ce problème et comment compte-t-elle y remédier ? - Les relations commerciales entre l'UE et le Maroc ont toujours montré un surplus des exportations des produits agricoles marocains. Les exportations agricoles ont augmenté avec le temps des deux côtés de manière importante et proportionnelle. Nos marchés agricoles sont complémentaires, car le Maroc est un grand exportateur de fruits et légumes mais importe des céréales, semences et produits transformés en Europe. La politique commerciale commune est une compétence exclusive de l'Union Européenne. Il peut y avoir de temps en temps des problèmes phytosanitaires dans le secteur agro-alimentaire, mais rien de majeur en ce qui concerne les importations des produits marocains au sein de l'UE.
- S'agissant des accords de pêche, comme vous savez, à chaque renouvellement, le dossier du Sahara ressort des tiroirs comme pour faire pression sur le Maroc, notamment en ce qui concerne la velléité récurrente sur la traçabilité des produits originaires de nos provinces du Sud. Alors que l'on s'apprête à inaugurer un nouveau partenariat de voisinage, qu'en sera-t-il dans l'avenir ? - La question du renouvellement de ratification de l'Accord de pêche ne se pose pas. L'Accord signé et ratifié en 2019 est tacitement reconductible et sans limite dans le temps. La dernière commission mixte UE-Maroc, chargée du suivi de l'accord, s'est tenue les 8 et 9 décembre 2020. Elle a conclu à la bonne utilisation de l'accord et au bon avancement, notamment grâce à l'appui de l'UE, de la stratégie marocaine de développement du secteur de la pêche, particulièrement dans la promotion de domaines tels que l'aquaculture, la pêche artisanale et la recherche halieutique, et ceci dans un contexte difficile marqué par la pandémie du Covid-19. - Au-delà des considérations commerciales, pourquoi l'Union Européenne tarde à clarifier sa position concernant le Sahara marocain, même après la décision des Etats Unis de reconnaître sa marocanité pleine et entière ? - D'abord, je tiens à réitérer que le Maroc est un partenaire de première importance pour l'Union Européenne. Les fondations de notre partenariat sont très solides, anciennes et nos relations s'inscrivent dans la durée. Je vous rappelle que l'Union Européenne est l'association volontaire de 27 Etats européens, le multilatéralisme fait donc partie de notre ADN. Nous avons la conviction que pour pouvoir faire face aux crises, aux défis et aux menaces à l'échelle mondiale, la communauté internationale a besoin d'un système multilatéral efficace, fondé sur des règles et des valeurs universelles. Concernant le conflit au Sahara, notre position reste inchangée : l'UE appelle à une reprise rapide des négociations sous l'égide des Nations Unies pour trouver une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, conformément aux Résolutions pertinentes du Conseil de Sécurité des Nations Unies, en particulier la Résolution 2548 adoptée le 30 Octobre 2020.
- Le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita a déclaré que l'Union doit renoncer à la logique du maître et de l'élève dans ses relations avec les pays du Sud de la Méditerranée, qu'est-ce que vous en pensez ?
- Le nouvel agenda européen pour la Méditerranée a été conçu sur la base des consultations et du dialogue permanent que nous avons eus avec nos partenaires du Sud, dont le Maroc. Nous avons pris en compte les priorités et les besoins exprimés par nos partenaires, afin de travailler ensemble pour un avenir meilleur pour l'ensemble des deux côtés de la région méditerranéenne. La pandémie nous a montré que nous ne pouvons pas agir seuls dans notre coin pour obtenir des résultats durables. Ce n'est que main dans la main avec nos partenaires, y compris le Maroc, que nous pourrons aller de l'avant et assurer une relance bénéfique pour tous, dans notre intérêt mutuel. D'ailleurs, c'était le sens de la communication conjointe Maroc-UE, pour un partenariat de prospérité partagée, qui avait conclu le Conseil d'association de juin 2019.
- Vous avez indiqué que l'Union Européenne compte sur le développement de la coopération dans l'économie verte et compte investir massivement dans ce domaine au Maroc vu les opportunités qu'il présente ? Doit-on en conclure que vous percevez le Royaume comme un futur fournisseur indispensable d'énergie verte ?
- Comme vous le savez, l'UE a présenté le Green Deal, en décembre 2019. Il a été conçu comme la nouvelle stratégie de croissance de l'Europe. Une stratégie pour allier durabilités environnementale, économique et sociale. Avec l'impact de la crise sanitaire, la transition verte que nous avions déjà planifiée avec le Green Deal est devenue aussi notre feuille de route pour la reprise en Europe. Lutter contre le changement climatique est une responsabilité collective. Le nouvel agenda pour la Méditerranée souligne l'urgence de cette action pour le voisinage Sud. Le Maroc a été inclus comme partenaire clé dans cette démarche, grâce à sa très ambitieuse politique climatique et énergétique, notamment depuis sa présidence de la COP22. Son grand potentiel en matière d'énergies renouvelables et son positionnement international plaident également en faveur d'une coopération étroite entre nous. A tel point que nous venons de formuler ensemble un « Partenariat Vert » qui détaille notre action commune sur le climat, mais également sur l'environnement et l'économie verte. Les travaux techniques viennent de commencer, pour définir les priorités de 2021 et mettre en route les groupes techniques.
Notre partenariat avec le Maroc dans le domaine des énergies renouvelables et de la protection de l'environnement date déjà de plusieurs années : plusieurs projets solaires et éoliens ont été réalisés, comme par exemple la mise en service du projet marocain de la centrale solaire de Ouarzazate et le parc éolien de Midelt. Le Maroc s'est, par ailleurs, engagé à faire converger bon nombre de ses législations et normes techniques, sur une base volontaire et graduelle, avec celles de l'UE, pour la mise en œuvre de la stratégie énergétique marocaine. La coopération Maroc-UE s'est aussi étendue au domaine de l'efficacité électrique, au renforcement des capacités et au développement des ressources humaines qualifiées pour accompagner les projets d'investissement dans les énergies renouvelables et favoriser l'émergence de filières vertes pour les industries. Propos recueillis par Anass Machloukh Portrait Claudia Wiedey
Nommée par l'ex-cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini, Claudia Wiedey a présenté le 12 octobre 2017, au Secrétariat général du ministère marocain des Affaires étrangères, de la Coopération Africaine et des Marocains Résidant à l'Etranger, la copie figurée de ses lettres de créance, en tant qu'Ambassadeur, chef de la Délégation de l'Union Européenne au Maroc. De nationalité allemande, l'ambassadrice européenne est titulaire d'un doctorat en économie de l'Agriculture et Politiques de développement de l'Université de Bonn. Elle a intégré la Commission Européenne en 1993, après avoir occupé plusieurs postes de responsabilité, notamment celui de Chef de Délégation européenne au Botswana, à Maurice, Comores, Seychelles, puis comme chef de division pour l'Afrique du Sud et l'Afrique de l'Est, Corne de l'Afrique et Océan Indien, au Service Européen pour l'Action Extérieure de l'Union Européenne. Madame Wiedey est mariée et est mère de deux enfants.
Encadré Liste grise de l'UE des paradis fiscaux : fini le feuilleton d'ambiguïté entre l'UE et le Maroc ?
Après des mois d'hésitation, l'Union européenne a fini par radier le Royaume de sa liste grise des paradis fiscaux, suite à un avis favorable du Conseil des affaires étrangères de l'Union. Bruxelles a pris beaucoup de temps pour trancher, sachant que le Royaume était classé depuis 2017 parmi les juridictions non-coopératives à des fins fiscales. Un statut qui a longtemps suscité l'étonnement au Maroc, compte tenu du degré de coopération économique et commerciale entre Rabat et Bruxelles. Les Européens ont reproché au Maroc les avantages accordés aux entreprises étrangères dans les zones franches, dans le cadre d'un traitement préférentiel à l'exportation. Bruxelles était également gênée de la souplesse du régime fiscal de Casablanca Finance City, qui, à ses yeux, ressemble, même de loin, à un paradis fiscal. Pour sa part, le Maroc a pu sortir de la liste grise grâce aux efforts entrepris en matière fiscale pour se conformer aux normes internationales. Le gouvernement a réformé le statut des zones franches pour les transformer en zones d'accélération industrielle, en révisant le régime fiscal régissant les entreprises exportatrices. Outre cela, l'Exécutif a réformé également le régime de la place financière de Casablanca Finance City, en vue de garantir plus de transparence des activités des entreprises et des groupes qui y sont présents. Cette réforme a valu à la place financière d'être conforme aux normes internationales, et notamment celles de l'OCDE. Plusieurs experts ont souligné les retombées positives de la sortie du Maroc de la liste grise sur l'entrée des investissements étrangers. L'ancien ministre istiqlalien Abdelatif Maâzouz estime que l'amélioration de la notation du Royaume par l'UE et l'OCDE lui permettra de gagner en compétitivité, et d'attirer plus d'investisseurs internationaux qui se basent sur ce genre d'indices. Toutefois, deux jours à peine après son retrait de la liste grise des paradis fiscaux établie par l'UE et son bras armé l'OCDE, le Royaume a été classé par le GAFI où la Commission Européenne siège en tant que membre permanent, parmi le listing des pays soumis à une surveillance accrue en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Ambiguïté, quand tu nous tiens !