Le secteur des TIC se porte bien, mais peine à recruter des compétences. La santé, le commerce électronique et le paiement mobile...ont obtenu de bons résultats pendant la crise Covid-19. Le marché des TIC au Maroc connaît une croissance régulière et devrait suivre un rythme accéléré. Cependant, il y a encore de la marge pour une augmentation supplémentaire, surtout après la rupture numérique liée à la pandémie de Covid-19. C'est du moins ce qui ressort des premiers résultats d'une nouvelle enquête publiée dans un rapport intitulé « Réduire l'écart entre compétences numériques et marché du travail : pourquoi le Maroc ne peut y échapper ? », réalisé par les sociétés de conseil en stratégie Guepard et ThinkONE à la demande du groupe Huawei Technologies. Menée auprès de 60 Directeurs des Ressources Humaines (DRH) et responsables des TIC, de 520 étudiants et de 135 employés des TIC, l'enquête montre que 86% des besoins en profils TIC vont augmenter dans les cinq prochaines années. Plus de 67 % des DRH et des responsables des TIC affirment pouvoir anticiper la création de nouveaux postes dans le domaine des TIC au cours de l'année à venir. Pendant le premier pic de la crise au printemps 2020, le secteur des TIC a été performant et a fait preuve d'agilité stratégique. Le secteur a été un acteur essentiel pour aider d'autres entreprises à réagir rapidement aux nouvelles contraintes et à développer de nouveaux modèles d'entreprise. La plupart des employés du secteur des TIC ont notamment pu travailler à distance. Cependant, des réglementations adaptées et des processus supplémentaires doivent être mis en œuvre. In fine, la plupart des employés de ce secteur ont pu conserver leur emploi et les entreprises ont continué à investir et à recruter, ce qui témoigne de leur résilience. A ce titre, l'enquête nous apprend que les secteurs ayant obtenu de bons résultats pendant la crise sanitaire sont : l'éducation, la santé, le commerce électronique, le paiement mobile ainsi que les Fintech. Toutefois, l'un des éléments les plus importants à prendre en compte consiste à assimiler le changement de civilisation et de paradigme affectant le système éducatif, la manière de travailler et le rôle même des institutions publiques. Intention entrepreneuriale Face à la nature disruptive de la technologie, le nouveau modèle poursuivi doit l'être tout autant. Les professionnels interrogés, dans leur majorité, s'inquiètent du fait que le Maroc ne soit pas en mesure d'entreprendre le changement culturel nécessaire, résumé par un commentaire saisissant : « Si nous changeons tout et passons au tout-numérique, nous aurons encore des gens et des institutions ancrés dans le XXème siècle ». Cela reflète « une forme générale de pessimisme et, par conséquent, la plupart des dirigeants publics, bien que très enthousiastes à l'égard des nouvelles politiques numériques, sont très prudents, voire conservateurs en ce qui concerne leur exécution et les grandes réformes à entreprendre ». Quoiqu'il en soit, l'enquête montre que l'aspiration à l'entrepreneuriat semble élevée, puisque 32 % des salariés et 16 % des étudiants souhaitent créer leur propre entreprise, mais seuls 2 % y parviennent. Dans ce contexte, le travail en freelance représente une voie alternative pour initier les étudiants au monde professionnel, 29 % d'entre eux y ont déjà eu recours mais seulement 8 % sont prêts à renouveler l'expérience. Pour la population active, le travail en free-lance est surtout considéré comme une alternative au chômage : 42 % l'ont déjà pratiqué et 14 % souhaiteraient s'y adonner. Forte concentration régionale de talents Autre fait saillant relevé par l'étude est la forte concentration régionale de talents et de formation, créant de facto un « désert marocain des TIC » dans le reste du pays. À l'instar du reste du tissu productif, la demande du marché se concentre principalement autour de l'axe Casablanca et Rabat, ce qui contraint les étudiants des régions du Sud, du Nord et de l'Est à se délocaliser. Or, l'enquête en ligne destinée aux étudiants en TIC montre que 40 % des étudiants sont originaires des régions du Sud, du Nord/CentreNord et de l'Oriental, contre seulement 20 % des travailleurs qui sont originaires de ces mêmes régions. Cela signifie naturellement que les étudiants issus des territoires sont obligés de se déplacer vers les autres régions pour trouver un emploi. En outre, le marché des TIC est affecté par des problèmes structurels clés, principalement l'inclusion numérique limitée, le manque d'information, l'absence d'un écosystème dédié et d'une vision claire. Les contraintes et complications réglementaires et l'insuffisance de la réserve de talents sont également perçues comme les plus grands obstacles à tout développement. Coût élevé du matériel et classes surpeuplées Autre résultat frappant de l'étude : les décideurs publics sont confrontés à des contraintes importantes : coût élevé du matériel, accès limité aux régions rurales et classes souvent surpeuplées. Ils sont également confrontés à des processus de validation budgétaire longs et compliqués mis en œuvre par les autorités de régulation. « Dans un secteur des TIC en constante évolution et nécessitant un niveau d'agilité important, il est encore plus difficile de s'adapter rapidement et de trouver des solutions. Dans ce contexte, le secteur public a besoin de partenaires privés, d'ONG et de bénévoles, qui sont plus agiles et peuvent rapidement obtenir des fonds », estil recommandé. L'enquête appelle aussi à développer un « cadre national des compétences numériques » qui inclurait les profils des nouveaux emplois digitaux, les parcours de carrière ainsi que les aptitudes et les connaissances essentielles. Elle suggère aussi la création d'une « Banque de talents numériques » pour aider les diplômés à trouver plus facilement leur premier emploi. « ...il apparaît que la stratégie la plus efficace consiste à donner plus de sens à ce qui existe déjà, à l'intégrer et à le cibler plus efficacement. C'est pourquoi une initiative substantielle en matière de compétences numériques est nécessaire à un niveau stratégique pour amener les principaux acteurs à collaborer avec l'Etat afin d'améliorer l'offre de compétences digitales ». 74% des étudiants veulent quitter le Maroc La fuite des cerveaux est devenue une constante au Maroc. En 2018, 8.000 cadres et techniciens, 1.200 entrepreneurs, 600 ingénieurs et 630 médecins ont quitté le pays. En 2017, 25 % des cadres du secteur des TIC sont partis à l'étranger. Le problème s'est accéléré sous la double pression de la mondialisation et de la quatrième révolution industrielle, notamment parce que le secteur des TIC ne connaît pas de frontières. Ainsi, le chiffre le plus frappant de l'étude est que 74% des étudiants veulent quitter le Maroc à court ou moyen terme. Contre toute attente, cette fuite est motivée par le manque de perspectives plutôt que par des considérations pécuniaires. Elle est couplée à une chasse internationale de talents dans les TIC, en particulier en Europe et aux Etats-Unis. A. CHANNAJE Repères Des compétences non techniques Le système d'éducation marocain est perçu comme un moyen d'apprendre aux étudiants à traiter une grande quantité d'informations et à acquérir des compétences analytiques avancées. En termes de compétences démontrables (« Hard Skills »), la plupart des recruteurs s'accordent à dire que les diplômés ont un niveau satisfaisant dans les domaines des TIC et qu'ils ont une grande capacité à apprendre rapidement de nouveaux concepts. La science des données et l'analyse sont considérées comme les compétences spécialisées les plus émergentes par 47 % des DRH. Là aussi, l'on constate un paradoxe, puisque les étudiants se forment sur des outils qui ne sont pas nécessairement pertinents dans le monde de l'entreprise. Ainsi, 66 % des salariés utilisent fréquemment des outils logiciels de type ERP (Enterprise Resource Planning) alors que seulement 9 % des étudiants y sont confrontés. Anglais VS Français La langue est également une question au cœur de la problématique selon la présente étude. Un nombre croissant d'étudiants et de professionnels des TIC préfèrent l'anglais et ne parlent pas assez le français. Cependant, la plupart des entreprises marocaines communiquent en français, y compris les prestataires de services informatiques des clients français. Dans l'ensemble, le niveau de compétence dans les deux langues doit encore être amélioré. Or, pour un jeune étudiant marocain, le choix entre le français et l'anglais relève davantage du choix de la culture étrangère dont il se sent le plus proche que des besoins de l'emploi.