Une des plus grandes figures du Mouvement syndical marocain et de la lutte nationale tire sa révérence, laissant un patrimoine de militantisme que l'Histoire lui reconnaîtra. Le militant, avec un grand M, Abderrazak Afilal, décédé dimanche à Casablanca à l'âge de 92 ans, fait partie de cette trempe d'hommes pour qui le patriotisme coule de source et le militantisme s'érige en conviction. Celui qui, imprégné de valeurs nationalistes dès sa première jeunesse, allait marquer la scène syndicale du pays 50 années durant, porter avec détermination les principes istiqlaliens pour la défense des constantes nationales et des valeurs démocratiques, et assumer pleinement la représentation populaire, était un combattant né. Sa vie fut un enchaînement de résistances et d'actions militantes. En 1949 déjà, il connaît l'exil lorsqu'il était délégué des enseignants affiliés à l'Union Générale des Syndicats Marocains (UGSM) créée au sein de la section marocaine de la CGT pendant le protectorat français. Une expérience qui le confortera dans ses convictions patriotiques et, dès la création de l'UMT en 1955 comme bras syndical du Mouvement national, il y adhère et y donne libre court à sa fougue militante, tout en s'activant aussi bien sur le front syndical que politique. La scission survenue au sein du Parti de l'Istiqlal en 1959 allait propulser Abderrazak Afilal au-devant de la scène syndicale et, le 20 mars 1960, il fonde, avec un groupe de militants syndicalistes demeurés fidèles à l'Istiqlal, l'Union Générale des Travailleurs du Maroc (UGTM). Une Centrale syndicale puissante dont le nom allait se confondre avec celui de Abderrazak Afilal pendant 46 années, tant il fut personnellement de tous ses combats qui ont eu le mérite d'arracher, pour la classe laborieuse, acquis après acquis, d'influencer le cours des évènements politiques et de présider à des changements notables qui ont façonné le Maroc d'aujourd'hui. Alternant action syndicale et politique, Abderrazak Afilal, qui était SG de l'UGTM et membre du Comité exécutif du Parti de l'Istiqlal, a su faire entendre la voix de la classe ouvrière marocaine à l'international, et ce, à travers les instances mondiales du travail qui lui étaient familières. Parlementaire, son action et ses interventions versaient tout naturellement dans la défense des causes populaires. Son maîtremot sous la coupole était l'engagement pour le triomphe des droits politiques, syndicaux et sociaux des Marocains et la résistance aux intimidations et autres menaces de «l'Administration», terme par lequel était désigné le département de l'Intérieur dirigé alors par le tout puissant Driss Basri qu'Afilal prenait d'ailleurs souvent pour cible lors de ses interventions retentissantes. Gestionnaire communal, Abderrazak Afilal a su fédérer et doter la commune de Aïn Sebaâ, dont il fut président pendant plusieurs mandats, d'infrastructures de base qui témoignent encore de son engagement pour le développement communal et pour la consécration de la démocratie locale. Droit-de-l'homiste, il a été membre fondateur de la Ligue Marocaine pour la Défense des Droits de l'Homme et a siégé au Conseil Consultatif des Droits de l'Homme depuis sa création jusqu'à 2007. Abderrazak Afilal était aussi un acteur associatif et sportif agissant et particulièrement efficace. Des années durant, il fut président du TAS, mythique équipe de football de Hay Mohammadi, quartier ouvrier par excellence. Il a pu en faire un club de choc qui a gravé son nom en lettres d'or dans l'Histoire du football national, renforçant ainsi la renommée populaire de ce sport mobilisateur de la jeunesse. C'est d'ailleurs grâce à Abderrazak Afilal, président de la Commune de Aïn Sebaâ, que le TAS a eu son propre stade dénommé Larbi Zaouli, deuxième plus grand stade de Casablanca après le complexe Mohammed V. Mais au-delà des différentes casquettes de l'homme, l'Histoire retient avec force le rôle déterminant joué par le mouvement syndicaliste marocain sous la houlette de Abderrazak Afilal, en association avec le SG de la CDT, Noubir Amaoui, dans la dynamisation de l'action politique concertée entre les forces démocratiques du pays, à un moment où le Maroc avait vitalement besoin de réformes politiques et constitutionnelles à même de le mettre aux diapason des exigences démocratiques et le doter des outils nécessaires à son développement. Engageant une action commune vers la fin des années 80, ces deux centrales syndicales proches de l'Istiqlal et de l'USFP avaient lancé une série de mouvements de lutte, et ont pu ainsi jouer le rôle de locomotive qui a tiré l'action politique vers l'avant, particulièrement après le choc historique provoqué par la grève générale du 14 décembre 1990 qui avait littéralement paralysé le pays. Le succès de cette grève accula les pouvoirs publics, jusque-là réticents à toute réforme, à de meilleurs sentiments démocratiques et sociaux et permit à l'action politique de se faire valoir dans des conditions plus favorables. S'en suivit la création, le 17 mai 1992, de la Koutla Démocratique, coalition stratégique organisée autour d'une charte et dont la mission fut de revendiquer, suggérer, négocier et accompagner des réformes démocratiques -dont les Constitutions de 1992 et 1996- qui allaient déboucher sur l'alternance consensuelle de 1998. L'action syndicale y était concrètement et objectivement pour beaucoup. L'étaient tout autant la détermination et le dévouement aux causes populaires justes de leaders engagés dont Abderrazak Afilal était l'exemple type. Repose en paix grand homme. Jamal HAJJAM