Près de 150 000 morts et deux millions et demi de sinistrés qui manquent de tout. En dépit de l'ampleur du drame, les autorités birmanes refusent toujours, plus de deux semaines après le passage du cyclone Nargis, d'autoriser des équipes de secouristes étrangers sur place. Elles acceptent uniquement de recevoir des cargaisons de riz ou de matériel dont une toute petite partie seulement est effectivement distribué aux sinistrés, le reste étant purement et simplement soustrait par l'armée birmane. Les Etats Unis ont positionné dans la région de gros moyens aériens pour acheminer au plus vite de l'aide. Mais la junte leur a interdit les livraisons par hélicoptères et n'a accepté de laisser atterrir qu'une vingtaine d'avions. La France, qui disposait dans la région d'un navire, le Mistral, a décidé de le remplir de matériel humanitaire et de l'envoyer sur place. Le représentant du Myanmar aux Nations Unies l'a accusé de dépêcher sur place un « bâtiment de guerre ». Les Nations Unies ne sont pas mieux loties. Le PAM, le Programme alimentaire mondial, a pu envoyer de l'aide, mais sa distribution est problématique. Seules ou presque arrivent à travailler les ONG qui étaient présentes sur place avant le cyclone et qui ont du personnel birman. Mais, même pour ces derniers, l'accès aux zones sinistrées fait l'objet de tracasseries administratives. Chacun s'efforce de négocier, ici l'autorisation d'atterrir pour un avion, là une petite dizaine de visas . Tous ceux qui ont pu prendre la mesure de la catastrophe affirment que le pire est à venir. Cette situation a relancé à l'ONU et dans la communauté diplomatique le débat sur le « droit d'ingérence ». Faut-il dans un cas comme celui là, quand une population est menacée de famine, qu'elle pourrait être secourue mais ne l'est pas, ou très insuffisamment, du fait des décisions politiques de ses gouvernants, que la communauté internationale impose son aide ? Oui, dit le ministre français affaires étrangères, Bernard Kouchner. L'idée n'a pas été retenue, ni à l'ONU- les Etats-Unis avaient, un temps, été tentés de suivre mais ils ont reculé lorsque la Chine a fait savoir qu'elle opposerait son veto à une telle résolution, seuls le Canada et l'Allemagne étaient d'accord ni par l'Union européenne. Elle n'est pourtant pas sans fondement juridique. Il existe une résolution des Nations Unies, adoptées en 2005 par l'Assemblée générale, sur la responsabilité de protéger ». Le texte ne s'applique pas aux catastrophes naturelles mais aux « génocides, crimes de guerre, nettoyages ethniques et crimes contre l'humanité ». Le raisonnement français consiste à dire que les sinistrés birmans, qui auraient pu être secourus sans le refus de la junte, ne meurent plus aujourd'hui du fait du cyclone mais à cause du refus des autorités birmanes d'ouvrir le pays aux humanitaires, et que ce refus peut-être assimilé à un « crime contre l'humanité ». Si l'on prend en compte, comme le faisait dans une récente tribune au quotidien britannique The Guardian, la définition du « crime contre l'humanité » telle qu'elle figure dans les statuts de la Cour pénale internationale, Bernard Kouchner a raison. La définition inclut en effet tous les « actes inhumains » perpétrés de manière intentionnelle qui sont à l'origine d'une grande souffrance ou de blessures graves, ou d'atteintes à la santé, physique ou mentale des populations. Ce qui est le cas lorsqu'un gouvernement refuse l'accès au secours à sa population. Mais quelle serait, si elle était acceptée, l'effet de la proposition française ? Beaucoup de diplomates, à l'ONU ou ailleurs, font valoir que cela risquerait de braquer davantage encore les autorités birmanes, qui fermeraient encore plus le pays et qu'à tout prendre, mieux vaut une aide qui rentre au compte-gouttes que pas du tout. Les même expliquent aussi qu'une extension de la résolution de 2005, déjà difficile à faire accepter à beaucoup d'Etats dotés de régimes autoritaires dans son interprétation la plus restrictive, risquerait de porter un coup au concept même de la « responsabilité de protéger ». Plus concrètement l'application de ce concept, sur le terrain, dans le delta inondé du sud de la Birmanie, serait loin d'être évident. Il ne saurait évidemment être question d'une opération militaire terrestre. Restent les largages de vivres et de médicaments. Or tous les spécialistes savent qu'ils seraient sans grande efficacité sans le soutien, au sol, d'équipes d'assistance. A cela on répond à Paris que le battage diplomatique, même sans résolution du Conseil de sécurité, aura peut-être au moins le mérite d'accentuer les pressions sur la Birmanie, en incitant la Chine, qui est le pays le plus à même d'être entendus par la junte birmane, à plaider la cause des sinistrés. D'autant que les Chinois, de leur coté, ont eu à cur, après le séisme qui a frappé le Sinchuan, de montrer à la communauté internationale qu'ils mettaient tout en uvre pour porter secours aux populations sinistrées.