A part les élections générales en Inde qui ont mobilisé plus de votants que jamais dans l'histoire de l'humanité, le scrutin européen est la plus vaste consultation démocratique au monde. 400 millions d'électeurs en théorie ! La vraie surprise de la cuvée 2019, c'est la participation. Elle est en hausse et c'est du jamais vu. Depuis que le Parlement est élu, les observateurs relèvent tous les cinq ans que les Européens se mobilisent un peu moins. Une chute constante. Même les nouveaux venus se découragent très vite. Pour la première fois, en 2019, c'est le contraire. En France, la participation est revenue au niveau de 1994. Ce grand bond en arrière est évidemment un progrès démocratique. A l'évidence, il est lié à la polarisation maximum qui a fait du scrutin, une sorte de troisième tour de l'élection présidentielle. Un référendum pour ou contre Emmanuel Macron ou Marine Le Pen. Mais la participation est également en hausse dans la plupart des pays de l'Union : en Allemagne, plus 11 points. Idem en Espagne. Plus 13 points en Hongrie, plus 15 points en Pologne, etc. A quoi tient ce sursaut ? On peut imaginer que la crise de nerfs des Britanniques qui se tiennent sur le pas de la porte, la campagne terroriste qu'ont signée les suppôts de l'Etat islamique, le drame des migrants qui se noient en Méditerranée et le défi que représente l'afflux annoncé aux frontières dans la décennie qui vient, le délitement de la solidarité atlantique depuis l'élection de Donald Trump, le cauchemar écologique sans cesse dénoncé, le risque de crise systémique sur le plan économique qui grandit, tous ces facteurs si divers mais anxiogènes ont eu le mérite de réveiller les Européens de leur somnambulisme. Peut-être qu'ils ont pris conscience d'avoir beaucoup à perdre. La peur est bonne conseillère. Cela expliquerait qu'il n'ait pas boudé cette élection « qui compte pour du beurre » et qui reste éminemment symbolique, les eurodéputés n'ayant guère de prise sur la marche européenne. Si l'Union est en panne, la démocratie est donc bien vivante. Autre événement sans précédent, les deux grands partis de la droite et de la gauche, le parti populaire européen (PPE) et le Parti socialiste européen (PSE) ont perdu la majorité absolue qu'ils détenaient à eux deux. Le PPE auquel appartiennent les actuels présidents de la Commission, du Parlement et du Conseil européen, va devoir faire une cure d'humilité. De son côté, le PSE subit une déroute : le calvaire de la social-démocratie européenne continue et seule l'Espagnol Pedro Sanchez peut se targuer de sortir renforcé du scrutin. Dans le nouveau Parlement qui se réunira début juillet, il n'y aura plus le tandem PPE/PSE qui a régné depuis la fondation du Parlement mais un émiettement. Quatre forces vont s'articuler pour tenir les souverainistes en quarantaine et pour composer des majorités. La droite, la gauche, les écologistes et les libéraux de l'ALDE. C'est ce groupe centriste que vont investir les élus macronistes. Ils veulent « macroter », comme on dit en argot. C'est à dire« servir d'intermédiaire, en négociant son soutien ». C'est le retour du groupe charnière, la riche cuisine parlementaire. La vie de couple, PPE/PSE, pouvait être compliquée mais à quatre, on passe du boudoir au théâtre de Boulevard. Rapidement, les rires risquent de se figer et la machine se paralyser. A 27, elle avait déjà de plus en plus de mal à tourner rond. Elle pourrait bien caler. En temps normal, la Commission européenne propose une loi. Les eurodéputés la raturent. Les Etats bataillent dans leur coin à coups de Conseils ministériels où se négocient les arrangements. Enfin, le Trilogue réunit la Commission, le Conseil et le Parlement pour produire le compromis final. Tout ce processus est très démocratique, très compliqué et… très lent ! Mais l'émiettement produisant des miettes, elles risquent de bloquer cette mécanique exemplaire, fragile et déjà à moitié grippée ! Chacun va jouer sa carte. La prise de décision sera encore plus difficile. Les négociations entre les chefs d'Etat et de gouvernement pour pré-désigner les titulaires des grands postes (président de la Commission, du Conseil, de la Banque centrale, Haut représentant de l'Union pour la politique étrangère et de sécurité, etc) ont commencé dès mardi. Les difficultés qui ont surgi aussitôt, notamment le duel franco-allemand pour la Présidence de la Commission, viennent ajouter de la complexité à l'ensemble. L'Europe est ce paradoxe. Mieux cela va, moins cela va.