Le Pakistan a, depuis quelques semaines, un nouveau gouvernement. Affaibli par le résultats des élections, le président Pervez Moucharraf va devoir, pendant un temps au moins, se contenter de jouer les second rôles. Sans doute espère-t-il revenir sur le devant de la scène si la fragile coalition gouvernementale se déchire. Pour l'heure cependant, c'est le nouveau premier ministre, Yousuf Raza Gilani, qui est aux commandes. L'armée, elle, pèse toujours de tout son poids, mais différemment. Elle doit corriger une image qui s'est considérablement dégradée ces dernières années. Et elle ne peut le faire qu'en cessant, en apparence au moins, de s'immiscer dans le jeu politique. On a donc vu, très symboliquement, le général Ashfaq Kiyani, nouveau chef d'Etat major, rendre visite au Premier ministre et aux chefs des partis membres de la coalition pour les « briefer » sur la situation dans les zones frontalières. C'est probablement la première fois dans l'histoire du pays que le plus haut gradé de l'armée se déplaçait pour s'entretenir avec les représentants du pouvoir civil Les plus optimistes affirment que le désir de retour à l'Etat de droit exprimé dans la rue puis dans les urnes ces derniers mois - notamment après la proclamation de l'état d'urgence en novembre - a changé la donne en profondeur. L'avenir dira s'ils ont raison ou si l'armée, comme elle l'a fait plusieurs fois dans le passé, continue de tirer les ficelles dans la coulisse en s'abritant derrière le paravent d'un gouvernement civil. Reste que ce nouveau gouvernement va devoir gérer, entre autres dossiers difficiles, ceux de l'alliance avec les Etats Unis et de la guerre contre le terrorisme. Or il hérite d'une situation caractérisée par la très grand impopularité de cette guerre, considérée, par l'immense majorité des Pakistanais comme un combat qui n'est pas le leur. La visite à Islamabad, au lendemain de la nomination du Premier ministre, alors même que le gouvernement n'était pas constitué, de John Negroponte, secrétaire d'Etat adjoint et de Richard Boucher, le spécialiste de l'Asie au Département d'Etat, a choqué au Pakistan, la plupart des observateurs jugeant cette précipitation très maladroite. Le nouveau gouvernement ne remettra pas en cause l'alliance d'Islamabad avec les Etats Unis. Mais il prône une stratégie plus nuancée qui passerait à la fois par une négociation avec les chefs de tribus des zones tribales et la poursuite de la guerre contre les plus irréductibles, une fois opéré le ralliement du plus grand nombre. Utopie ? « La guerre contre le terrorisme est un guerre asymétrique, souligne l'analyste politique Talaat Massoud. C'est un combat qui n'a des chances de réussir que s'il est soutenu par l'opinion. Or on ne ralliera pas l'opinion avec des frappes aveugles et des dommages collatéraux comme le font les Américains. Notre armée, dans les zones tribales, n'est pas une armée d'occupation et ne peut se comporter comme telle. Il faut ouvrir des discussions pour convaincre une partie au moins des militants islamistes d'abandonner leurs armes. Alors, le combat contre les plus irréductibles deviendra populaire ». Mehmoud Quoraichi, le nouveau ministre des affaires étrangères, insiste pour sa part sur la nécessité, pour le Pakistan, de continuer à travailler étroitement avec les Etats Unis. Mais il considère également qu'un gouvernement élu doit « tenir compte de la sensibilité de l'opinion ». Il faudra donc parvenir à convaincre celle ci du bien fondé du combat contre le terrorisme. « Nous devons être clairs. Le combat contre le terrorisme est le nôtre, nous y sommes engagés, mais la politique menée jusqu'ici n'a pas réussi, il faut donc la revoir » renchérit Sherry Rehman, nommée depuis peu porte-parole du gouvernement. Il est déjà arrivé dans le passé que les autorités pakistanaises tentent de jouer la carte de la négociation avec les combattants islamistes des zones tribales. Une trêve avait même été signée ily a deux ans au Waziristan. Mais elle avait surtout eu pour effet de multiplier le nombre des infiltrations de combattants en Afghanistan Les nouvelles autorités pakistanaises font valoir que cela ne sera pas, cette fois ci, la même chose, qu'elles ne discuteront pas avec les forces combattantes mais avec les « jirga » ou assemblées de chefs de tribu pachtoune qui constituent l'autorité traditionnelle dans ces zones. Encore faudrait-il, pour que cette politique ait une chance de réussir, que les Américains y cessent leurs bombardements souvent meurtriers. Or ceux ci se méfient d'un dialogue, qu'ils assimilent largement à du laxisme. Et ils conservent des moyens de pressions importants, notamment sur l'armée qu'ils financent en grande partie