Les tribulations de l'Aquarius reviennent comme la marée dans l'actualité et sapent à chaque fois un peu plus les fondations de la construction européenne. Cette semaine encore, le navire humanitaire a sauvé des migrants de la noyade au large de la Libye. Pour les faire entrer en Europe, l'ong a dû forcer un port, comme on force une porte. C'est en prenant l'opinion publique à témoin et en faisant honte aux gouvernements en place, en mobilisant les médias toujours prompts à s'émouvoir, en s'appuyant sur les réseaux d'intellectuels de la gauche radicale que les militants de l'ONg ont obtenu gain de cause. Malte a accepté que le navire accoste. Et encore ! Les Maltais se sont laissé fléchir parce qu'ils avaient l'assurance que les 58 naufragés seraient aussitôt pris en charge par des pays voisins (France, Allemagne, Espagne, Portugal). La crise est passée. Elle reviendra, fatalement. Il suffit d'attendre que les trafiquants en Libye mettent à la mer de nouveaux bateaux. En face de ces drames répétés, l'Union Européenne fait le constat de son impuissance. Les dirigeants des 27 pays réunis en sommet à Salzbourg ont vérifié que les décisions prises en juin… n'avaient pas été appliquées. L'Europe en action, c'est les hallebardiers sur la scène du théâtre du Chatelet. Ils chantent « Marchons ! » en martelant le sol, mais ils font du sur place. Depuis longtemps, le projet européen est pris de langueur. La machine piétine. Il y a trois ans, l'afflux des migrants a constitué le 11 septembre des Européens. Ils ont réalisé soudain que l'Union européenne était mortelle. Leur tour de Babel peut s'effondrer. L'histoire n'est pas écrite. Depuis trois ans, cette question des migrants sans papiers mine l'équilibre politique de presque toutes les démocraties européennes. De la Scandinavie à l'Europe centrale, en passant par les pays Alpins. Elle a déjà fait basculer les pays les plus importants. Outre-Manche, les Brexiters voulaient d'abord retrouver la maitrise de leurs frontières. Chaque anglais est une île et l'Angleterre entend le rester. Outre-Rhin, les Allemands tiennent rancune à Angela Merkel de ses bras ouverts aux réfugiés. Pour la première fois depuis la guerre, des députés d'extrême-droite ont été élus au Bundestag. La chancelière a réussi à se maintenir mais à quel prix ! Elle est paralysée, sa majorité est en charpie, ses jours sont comptés. Les Italiens enfin, avec leurs 700.000 demandeurs d'asile ont fini par s'abandonner à la Ligue du Nord et au Mouvement 5 étoiles. Grande-Bretagne, Allemagne, Italie…les trois poids lourds du continent. Et les Français ne vont pas beaucoup mieux, avec un Président élu par défaut, face à la candidate du Front National. Mais quand le conseil européen se réunit, il ne se passe rien. Les dirigeants se retrouvent. Ils sourient. Ils font une photo de groupe. Ils s'enferment et discutent. A 27, si chacun parle 3 minutes, le tour de table prend une heure et demie ! Ils dinent et avancent un peu dans l'ordre du jour. Les technocrates qui les conseillent retouchent le communiqué final. Le lendemain, chacun fait des phrases, une conférence de presse et rentre chez soi. Promis, on se retrouve dès que possible. Au dernier Conseil européen, au début de l'été, Emmanuel Macron se réjouissait : « L'Europe s'est décidée, même si ça prend du temps »… A la fin de l'été, le bilan est rapide : néant ! Tout devait se faire sur la base du volontariat et il n'y a aucun volontaire… Les « Centres contrôlés » pour faire le tri entre les réfugiés et les migrants économiques, personne n'en veut chez soi. Chacun attend que son voisin en ouvre un pour lui envoyer ses propres migrants. Autre projet acté en juin, les « plates-formes de débarquement » en amont… Dans les Balkans, on n'en parle plus. Au sud de la Méditerranée, non plus. Il n'y a qu'au Sahel que cela existe, au Tchad, au Niger, au Soudan… mais depuis 20 ans ! C'est dire si cela règle le problème. Enfin, le retour des déboutés du droit d'asile, qui devait être accéléré, restera lui aussi un vœu pieu. En France, 98% des personnes qui sont récusés par l'OFRA disparaissent dans la nature. A Salzbourg, la Commission a vanté sa nouvelle idée, renforcer Frontex. Jusqu'à présent, ces garde-frontières européens comptaient les migrants mais sans les empêcher de passer. La Commission propose de créer une force de 10.000 hommes pour camper aux frontières sud. La Hongrie dit non. Elle tient à sa souveraineté. Elle veut garder elle-même la clôture barbelée qu'elle a dressée. L'Espagne, l'Italie, la Grèce n'en veulent pas non plus car elles préfèrent que les migrants en route pour les pays du nord traversent leur territoire discrètement plutôt que d'avoir à les prendre en charge, comme l'exige le règlement européen. Ainsi va l'Europe, où tout le monde parle, personne n'écoute. Chacun décide, nul ne fait rien. Et où tous se retrouvent pour dénoncer les voisins. C'est un naufrage politique et personne n'aperçoit de sauveteur à l'horizon.