Le Paris dans lequel j'arrive en ce week-end de fin de mai est une capitale anxieuse et bouillonnante. Le printemps arabe est à une mer près, l'Atlantique ramène dans ses vagues les bruissements du scandale de l'affaire de l'ex-patron du FMI, et la Seine charrie dans ses eaux troubles les inquiétudes de lendemains incertains. A quelques mois de la présidentielle de 2012, les devantures des kiosques de journaux sont envahies par «le festival de Kahn», la crise économique qui n'en finit pas et, partout, les rencontres autour de la xénophobie et de la percée du Front National font florès. Alors que se tiennent un peu partout dans Paname des sit-in de soutien au peuple syrien ou au changement démocratique en Algérie, ailleurs, rue Saint-Ambroise, à l'ESG Paris, les Assises de la lutte contre les préjugés, organisées par SOS Racisme, l'Union des étudiants juifs de France et d'autres acteurs de la société civile française, ont attiré une assistance nombreuse et hétéroclite. Reportage dans une France en ébullition. «Nous ne sommes pas contre l'immigration.» Marine Le Pen Présidente du Front National Entretien réalisé par Mouna Izddine L'Observateur du Maroc Si on devait la présenter aux Marocains qui ne la connaissent pas, qui est Marine Le Pen ? En quoi est-elle la fille de son père ? Marine Le Pen. Marine, avant d'être une femme politique, est avant tout une mère de famille, maman de trois enfants. C'est ensuite la fille de Jean-Marie Le Pen, qui, du fait de sa filiation, a bénéficié d'une formation continue en politique depuis l'âge de 14 ans, a subi des difficultés par ricochet, ce qui lui a permis de se constituer une personnalité, une assise politique, un cuir assez épais pour faire du Front National aujourd'hui un solide parti d'opposition en France. Mon père a 82 ans, j'en ai 42. Nous n'avons pas le même parcours, ni la même sensibilité, mais nous partageons les trois grands principes qui ont toujours constitué le socle du Front National : un Etat fort et stratège, la souveraineté nationale et la pérennité de notre civilisation. L'affaire DSK vous a retiré un rival de poids de la bataille pour la présidentielle de 2012. Quel est votre regard là-dessus ? Dominique Strauss Kahn était un bon adversaire car il représentait tout ce que nous combattons, à savoir cette gauche caviar aux attitudes teintées d'un insupportable sentiment d'impunité. Il était aussi un symbole de l'aliénation des peuples par le biais du FMI, «l'huissier» des grands organismes financiers, et un défenseur de la Zone euro, que nous considérons au FN comme un système quasi totalitaire, étouffant et paupérisant. Néanmoins, s'il s'avère que Monsieur Strauss Kahn est coupable, je ne peux pas me réjouir de sa condamnation par pure rivalité politique! D'ailleurs, j'ignore à propos de cette affaire ce qui m'a le plus choquée : les accusations portées à l'encontre de Dominique Strauss Kahn, ou bien la façon dont une partie de la classe politique française a réagi, par une intolérable solidarité de caste, versant dans la théorie du complot, dans l'amalgame écœurant entre le séducteur et le harceleur. Pour aller plus loin, je pense que Nicolas Sarkozy, connaissant les antécédents de DSK, porte également une responsabilité morale dans la façon dont a été souillée l'image de notre pays dans cette sordide affaire. La France, toute bouffie d'orgueil qu'elle est, elle qui s'autorise à donner des leçons de démocratie et de moralité à la terre entière, devrait commencer par balayer devant sa porte. Le vote pour le Front National est qualifié par certains analystes de vote contestataire, récupérateur des voix octroyées par le passé au Parti Communiste. Que répondez-vous à cela ? Tout vote est en partie contestataire, mais le vote pour le Front National est depuis longtemps un vote d'adhésion, une adhésion de nombre de citoyens français aux solutions politiques proposées par notre parti. Ces solutions sont autant de remèdes tangibles et réalistes aux maux de la France, et non des promesses et des beaux discours comme sait en faire le gouvernement actuel, sans jamais les faire suivre de mesures et d'actes concrets. Les Français qui votent pour le Front National sont en somme convaincus par le programme politique de notre formation. Ils sont désemparés de voir que ceux qui nous gouvernent depuis 30 ans ont fait de la France un pays au bord de la faillite économique et morale. Encore une fois, le fait que la classe politique française ait été scandalisée que Monsieur Strauss Kahn soit traité comme n'importe quel autre justiciable par les autorités américaines, est une illustration évidente de ce délitement des valeurs, de l'existence d'une caste de privilégiés se croyant au-dessus des lois. L'égalité entre les citoyens est un idéal. Donner du crédit à la parole d'une femme de chambre, pauvre, immigrée et mère célibataire, face à l'un des hommes les plus puissants au monde, c'est possible aux Etats-Unis, et nous devrions nous en inspirer en France. Votre parti fait-il toujours du «Beur», du Maghrébin et du Musulman, comme l'accusent ses adversaires, les boucs émissaires du mal de vivre français ? Jean-Marie Le Pen était pour que tous les Algériens musulmans deviennent citoyens français à part entière. C'est cela le racisme dont on accuse le FN? Je vous le dis en toute franchise : je n'ai aucun mépris ni aucune hostilité d'aucune sorte à l'égard des Français d'ascendance maghrébine et/ou de confession musulmane. Ceux que je combats sont les fondamentalistes. Où est le mal? La plupart des Etats musulmans eux-mêmes, dont votre pays, sont contre l'islamisme radical et l'intégrisme religieux. Je ne veux pas que la Charia soit appliquée en France, où nous avons déjà nos propres lois. Il n'y a pas de place pour les obscurantistes dans notre pays. La France a son histoire, son identité, ses valeurs et sa culture, spécifiques et uniques. Les Françaises se sont battues pour arracher l'égalité et les libertés dont elles jouissent aujourd'hui. Comment peut-on imaginer soumettre des femmes à des diktats misogynes sur le territoire français ? Le Front National est connu pour ses positions virulentes contre l'immigration. Est-ce réaliste de continuer à en faire un de vos chevaux de bataille sachant les grands besoins en main-d'œuvre de l'Europe prédits par les démographes dans les décennies à venir ? Nous ne sommes pas contre l'immigration, mais contre les flux migratoires massifs, anarchiques, s'exprimant dans un pays très affaibli économiquement et portant préjudice à tout le monde, aux Français comme aux migrants étrangers. De quel déficit de travailleurs parle-t-on ? Il y a 5 millions de chômeurs en France. On veut en importer d'autres, pour les exploiter et leur faire faire des enfants ? Par ailleurs, il faut savoir qu'une Française sur deux aimerait avoir un second ou un troisième enfant, mais est freinée dans son élan par la faiblesse des allocations familiales et les systèmes de garde défaillants ou trop onéreux. En l'absence d'une politique familiale efficiente et à grande échelle, devenir parent aujourd'hui en France est le plus sûr moyen de s'appauvrir. Au lieu de se pencher sur les raisons du recul de la natalité chez les Français, parents des travailleurs de demain, on préfère appeler une main-d'œuvre étrangère, employée à bas coût, pour l'utiliser comme un véritable outil d'esclavagisme moderne. Cette migration ne sert que les intérêts d'un patronat qui cherche à accroître ses bénéfices en rognant sur les salaires et les droits sociaux de ses employés. Ceux qui critiquent nos positions là-dessus n'apprécient tout simplement pas que les «empêcheurs de magouiller en rond» que nous sommes touchent à leur système de privilèges. Je vous rappelle que Feu Hassan II, que l'Histoire gardera en mémoire comme un grand homme, avait reçu Jean-Marie Le Pen. Le Souverain lui avait alors tenu des propos similaires sur l'immigration de masse, la fuite des cerveaux, le pillage des élites et le retard de développement économique que celles-ci entraînent dans le pays d'origine des partants. Feu Hassan II partageait par ailleurs avec mon père l'idée que chaque Nation se devait naturellement de défendre la souveraineté de son peuple, de protéger son identité nationale et ses enfants. Comment le Front National envisage-t-il à ce propos ses relations avec le Maroc à l'aune des changements en faveur de la démocratie que connait actuellement le Royaume ? Le Maroc a toujours été et restera pour notre parti et pour la France un pays ami. Nous comptons d'ailleurs au sein du Front National des Français d'origine marocaine très engagés dans le combat que nous menons pour l'intérêt des Français, tous les Français, et la sauvegarde de nos valeurs morales. J'ai été voilà quatre ans de cela en vacances dans votre pays, et nombre de Marocains avec lesquels j'ai eu l'occasion de discuter se sont dits scandalisés par les comportements indignes de certains de leurs compatriotes en France. Ce sont ces comportements que nous dénonçons, sans chercher à stigmatiser une origine particulière. Malheureusement, en France, il suffit d'en parler pour se faire traiter aussitôt de raciste, de xénophobe, d'islamophobe et de toute une série de tares. Mais, pour en revenir au vent de changement que connait actuellement le Maroc, nous ne voulons faire montre au sein du FN d'aucune ingérence. C'est à votre gouvernement de s'engager dans une concertation avec les forces qui réclament des réformes, en s'assurant auparavant que lesdites forces sont bel et bien représentatives de la volonté de l'ensemble du peuple marocain. L'annonce de votre passage sur Radio J (radio communautaire juive émettant à Paris et Lyon) a provoqué une levée de boucliers chez les Français de confession israélite. Comment avez-vous vécu ce rejet ? Tout d'abord, je ne pense pas que les organisations que sont l'UEJF (Union des étudiants juifs de France) et le BNVCA (Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme) soient représentatives à elles seules de tous les citoyens français de confession juive. L'UEJF a qualifié le Front National de parti «structurellement antisémite, raciste et hors du champ républicain». Nous comptons déposer plainte pour injures et propos diffamatoires. Ensuite, en tant que présidente d'un parti qui participe à la vie politique française depuis 40 ans et a remporté 20% des suffrages aux dernières élections, je dois pouvoir exprimer ma pensée partout. Le comportement des organisations précitées est tout simplement contre-productif. Je m'interroge d'ailleurs sur les raisons de ce boycott. Que craignait-on que je dise ? Que le FN est attaché mordicus à la défense des Français quelles que soient leur origine et leur religion ? Ce credo ne correspondant pas aux préjugés «fascistes» dont on affuble notre parti, mon passage dans une radio communautaire aurait, je pense, embarrassé ceux que cette image préconçue arrange. L'interview que vous avez accordée quelque temps auparavant au quotidien israélien Haaretz entre-t-elle dans le cadre de ce que vos détracteurs considèrent comme une «opération séduction» à l'égard de l'électorat juif de France ? Je n'ai aucune allégeance envers quiconque, et je ne cherche à séduire personne. J'essaie tout simplement d'être juste et sincère dans ma vision. Le Front National n'a jamais contesté le droit à l'existence d'Israël. Néanmoins, si les Israéliens ont le droit de vivre en sécurité, les Palestiniens ont pareillement le droit d'avoir leur propre Etat. J'ai clairement exprimé sur Haaretz les positions de notre parti sur la question israélo-palestinienne, notamment autour du statut de Jérusalem qui, selon nous, devrait être placée sous mandat international. A ce propos, en matière de racisme, le FN n'a pas de leçon à recevoir de certains Juifs israéliens. Interdire la location ou la vente d'habitations à des Arabes musulmans ou chrétiens sous prétexte que cela menacerait la judéité de Jérusalem, qu'est-ce sinon de la discrimination raciale et confessionnelle flagrante? En outre, historiquement, la France a toujours emprunté une voie particulière en tentant d'apporter ses propres solutions diplomatiques au conflit israélo-palestinien. Malheureusement, en se vassalisant aux Etats-Unis, Nicolas Sarkozy a fait perdre aux Français toute crédibilité auprès des Palestiniens. Que pensez-vous de l'intervention militaire de l'OTAN, notamment des troupes françaises, en Libye ? Personnellement, je n'ai aucun lien d'amitié avec Mouammar Kadhafi. Je n'ai jamais affiché mon plus beau sourire avec lui devant les photographes, ni planté sa tente dans mon jardin. Sérieusement, que voulez-vous que pensent les dirigeants du monde arabe de la cohérence de l'amitié de la France lorsque celle-ci retourne sa veste du jour au lendemain ? Cette guerre est juste inadmissible! On a assassiné le fils de Kadhafi, son épouse et trois de leurs bébés, sans que l'on s'indigne plus que cela. Pourquoi cette indifférence et ce mépris ? Car ce sont des enfants libyens, leur vie aurait moins d'importance que des bébés européens ou américains ? L'ingérence occidentale sous le prétexte fallacieux de l'instauration de la démocratie et de la justice, alors que nous-mêmes avons des responsables d'Etat qui se sont enrichis au détriment des citoyens et des millions de jeunes sans avenir, me révolte. De quel droit et sur quels critères un pays décrète-t-il qu'un dirigeant d'un autre Etat que le sien est bon ou mauvais, ou qu'un peuple étranger se soulève contre son régime car 10.000 manifestants descendent dans la rue ? Et même, en supposant que cette intervention militaire soit pour la bonne cause, qu'attend alors Nicolas Sarkozy pour envoyer nos troupes partout dans les pays où des gens manifestent? Les relations entre Nations doivent être basées sur la considération mutuelle et le respect de la souveraineté de chacun. Ceci étant dit, la Libye faisant partie d'un bassin civilisationnel à l'histoire et à la langue commune, je pense que de ce fait, les pays arabes étaient les plus aptes à trouver une voie, diplomatique, à ce conflit. La démocratie n'est pas au bout des obus. marine le men Opération Séduction 2012 mouna izddine Les dénominateurs communs de la haine Pour Benjamin Abtan, Secrétaire général d'EGAM (European Grassroots Antiracist Movement), il ne fait pas de doute. La France, à l'instar des autres pays d'Europe occidentale, connaît une montée du populisme, incarné notamment par le parti de Marine Le Pen : «Les mouvements populistes en Europe s'unifient principalement autour du rejet de l'Islam et du Musulman. Ils cherchent à normaliser les préjugés et partant, les discriminations, en tenant un discours culturaliste. Celui selon lequel la civilisation judéo-chrétienne de l'Europe serait menacée par l'immigration musulmane». Un constat partagé en partie par Dominique Régnier, directeur général de la Fondation pour l'Innovation politique : «La montée du populisme n'est pas une situation purement française, car elle s'inscrit dans un cadre européen. Toutefois, on oublie souvent que les populismes incluent aussi bien l'extrême droite, incarnée par le FN, que l'extrême gauche, symbolisée notamment par le parti de Jean-Luc Mélenchon». Si dans l'interview qu'elle a accordée à notre magazine, Marine Le Pen se défend d'être la présidente d'un parti xénophobe ou fasciste, elle ne cache pas son rejet de l'immigration «massive et anarchique» et des «fondamentalismes religieux». Des éléments certes réels mais grossis sous la loupe populiste, comme autant d'épées de Damoclès au-dessus du «patrimoine immatériel» européen. En l'occurrence, un corpus de valeurs allant de la liberté de pensée à l'égalité entre les sexes, en passant par la liberté des moeurs, de culte et d'expression. Les annales médiatiques retiendront à ce propos le 11 septembre 2001 et l'épisode des caricatures du Prophète, qui a fait naître chez une partie considérable de l'opinion publique européenne le rejet d'un Islam perçu dès lors comme belliqueux, prosélyte, intolérant et sectaire. Sortant de la sphère privée pour s'en aller «régenter l'espace public avec ses voiles, ses burqas et ses prières sur le trottoir» et remplacer «la France des clochers et des villages par une France de minarets et de douars». Ainsi, le populisme d'hier, porté par la droite et l'extrême-droite chrétienne, traditionnaliste, familiale et nataliste, s'est mis au goût du jour pour attirer dans ses filets un électorat plus vaste, plus moderne, moins prolétaire et moins conservateur. Poids réel ou exagéré? Le parti d'extrême droite hexagonal a été crédité de 21% des intentions de vote lors du dernier sondage. Le poids du FN (22.403 adhérents au 16 janvier 2011) sur l'échiquier politique est-il beaucoup plus lourd maintenant que «la fille de Jean-Marie» a lissé son discours ? Se délestant des référentiels idéologiques et des membres du Parti réputés clairement xénophobes, islamophobes et antisémites, pour vendre le FN comme un parti patriote, populiste et souverainiste ? Pour Bertrand Renouvin, directeur politique de la revue Royalistes et membre du comité directeur de la Nouvelle Action Royaliste, mesurer la température de l'opinion publique française avec le «thermomètre sondage» ne suffit pas : «Je ne me fie jamais aux sondages dans mes analyses des tendances politiques. Pour preuve, à moins d'un an de la présidentielle, le candidat favori des médias s'est retrouvé du jour au lendemain évincé, menottes aux mains. Il faut faire attention. Le jeu politique est un jeu extrêmement complexe que les sondages viennent perturber. Il y a certainement une droitisation d'une partie de l'opinion publique française, mais on ne peut pas comparer le FN à des partis européens ultraréactionnaires et ouvertement xénophobes comme il y en a en Italie, aux Pays-Bas, au Danemark, en Autriche ou encore en Amérique avec le Tea Party. Le FN n'a jamais été un parti fasciste, Jean-Marie Le Pen n'a jamais été dans l'OAS ni milité dans l'illégalité. Le FN est un parti national populiste, légaliste, et dont le poids est beaucoup plus marginal qu'on le croit». De la guerre d'Algérie à la haine de l'Algérien ? Quoi qu'il en soit, les faits sont là. Entre le débat sur l'identité nationale et la laïcité de l'UMP, l'interdiction récente de la burqa dans les lieux publics ou encore l'appel de Marine Le Pen à fermer les frontières de l'Europe aux réfugiés tunisiens, la France des droits de l'Homme semble baigner dans une atmosphère peu amène pour ses citoyens ou ses migrants d'origine arabo-musulmane en général et maghrébine en particulier. Bertrand Renouvin analyse ce phénomène sous un angle historique: «Il peut paraitre curieux que la xénophobie en France soit concentrée sur un groupe aussi peu homogène, aussi peu fermé et aussi peu conquérant. Un groupe qui de surcroît, lorsqu'il a un emploi, n'a pas de souci d'intégration majeur, côtoie et s'unit à des Français d'ethnie et de confession différentes. Contrairement à la communauté chinoise par exemple, qui a même sa propre police ! Les raisons de cette focalisation sont liées au fait que dans le subconscient des Français, l'immigré est nécessairement maghrébin, et nécessairement arabe et algérien. Cette image figée remonte à la Guerre d'Algérie et à la vague de travailleurs «autochtones» et de «pieds-noirs» arrivés en France durant cette période et plus tard. A l'époque, leur présence ne posait pas de problème particulier. Ce n'est qu'au milieu des années 80, avec la fin des 30 glorieuses et le début de la récession, que le FN a commencé à user du thème anti-immigré. La crise économique a alors fait remonter à la surface ce malaise profond et refoulé des Français lié aux exactions de la France coloniale en Algérie, une période floue qui demeure à ce jour entourée de tabous». Récession, mal-vivre et boucs émissaires «La crise économique est certes un accélérateur des phénomènes xénophobes et populistes, mais il faut aussi tenir compte du basculement démographique», nous explique pour sa part Dominique Régnier, directeur général de la Fondation pour l'Innovation politique. En vieillissant, l'Europe porterait un regard plus anxieux sur le monde, elle devenant plus protectrice, plus conservatrice. L'autre variable lourde serait la globalisation économique et son corollaire, la concurrence, les délocalisations, et la montée en puissance de la Chine et des pays asiatiques. L'Europe est consciente qu'elle n'aura plus l'aura, ni les richesses d'autrefois, ce qui engendre une angoisse des lendemains au sein des populations du «vieux continent». Ainsi, de l'avis de Dominique Régnier, mais aussi de Guillaume Perrault, journaliste politique au Figaro, le Front National aurait récupéré le vote contestataire octroyé dans un passé récent par les classes ouvrières et populaires au Parti communiste, suite à l'effondrement de ce dernier au milieu des années 80 : «Le Parti communiste a toujours eu des thèmes de droite: la patrie, la discipline, la famille, l'austérité des mœurs. Mais lorsque le prolétariat français a ouvert les yeux sur la réalité du régime soviétique et a été frappé de plein fouet par la crise économique, il s'en est détourné et le FN, qui était jusque-là vu comme un groupuscule marginal, créature de Mitterrand, a récolté en 1983 le fruit de cette déception. Aujourd'hui, avec la fille, le fond idéologique est toujours là, c'est juste la forme qui est moins âpre, moins brutale, en plus de la fin des dérapages antisémites», analyse Guillaume Perrault. Du vote sanction au vote d'adhésion Ainsi, le vote des Français pour le Front National serait pour beaucoup un coup de gueule, une façon de «claquer le beignet» à un décevant Nicolas Sarkozy «président de riches» comme à des partis de gauche qui ont accepté de liquider l'Etat-providence. Cet avis n'est pas partagé par tous : «Certes, tous les électeurs des milieux populaires ne se tournent pas vers Marine Le Pen. Mais son potentiel électoral existe. Et il est probable que, d'ici à la présidentielle, cette logique se développe aussi dans les milieux intermédiaires au fur et à mesure que la dégradation sociale gagnera du terrain. Ce n'est plus un vote ni de sanction, ni d'avertissement, ni de protestation, ni un vote par défaut. Le vote pour le FN de Marine Le Pen devient un vote "pour"», écrit de la sorte Alain Mergier, directeur de l'institut Wei, dans le Nouvel Observateur du 1er juin 2011. Il faut dire que, coupant avec l'ultralibéralisme du patriarche, le programme politique protectionniste de l'héritière Le Pen, teinté de gaullisme et inspiré des thèses keynésianistes et antimondialistes, a de quoi séduire une classe moyenne française en ces temps de vaches maigres. Marine Le Pen succédera-t-elle à Nicolas Sarkozy à la fonction étatique suprême ? Ou la lucide et réaliste «enfant inattendue de mai 68», juste avide de reconnaissance et de respect, elle qui a tant souffert de l'image de son père, se contentera-t-elle de victoires locales et d'un portefeuille ministériel comme lui prédisent ses adversaires ? Rendez-vous en 2012…