All I wanna do» fait partie de ces films qui vous donnent la pêche un lundi matin, lorsque vous les avez regardé un dimanche soir. De ces films qui vous font voir la vie, et votre ville, autrement, avec un regard indulgent et enorgueilli à la fois. «All I wanna do» est un message d'amitié intergénérationnelle, d'amour, de rêve et d'espoir. L'amitié inconditionnelle et attendrissante entre Mohamed, 48 ans, modeste gardien de parking, et son fils, Ayoub, de 31 ans son cadet, handicapé physique. L'amour commun des deux protagonistes pour la musique ensuite, et pour Casablanca, enfin. Initié par son fils, Mohamed, fan de Nass El Ghiwane dans sa jeunesse, se découvre la même passion étonnante pour le rap et ses stars du moment. Ensemble, ils rêvent de monter leur propre groupe de hip-hop et de rencontrer leurs idoles. C'est ce rêve qu'une réalisatrice américaine a décidé de filmer, tout en donnant un coup de pouce à la destinée singulière des héros de ce conte urbain. L'écume des jours heureux Elle, elle s'appelle Michelle Medina et comme les protagonistes de son documentaire, c'est aussi une amoureuse de Casablanca. Mohamed et Ayoub, bidaouis de naissance, chantent leur attachement à «Al ghoul», cette ogresse de béton et de bitume qu'ils ne parviennent pas à désaimer, malgré leur quotidien difficile, fait de précarité, de souvenirs d'enfance douloureux, d'illusions perdues et de lendemains incertains. Michelle, bidaouia d'adoption, filme la métropole, ses quartiers populaires aux ruelles crasseuses, sombres et étriquées, ses boulevards infinis et lumineux aux commerces luxueux. Ses tours jumelles flirtant avec le ciel, son océan bleuté aux vagues blanches s'écrasant contre un phare mythique et une mosquée majestueuse. La caméra de Medina capte l'écume des jours heureux. Lorsque Ayoub envoie valser sa béquille pour s'en aller jouer au football avec son petit frère sur le sable mouillé. Le sérieux affecté du père entonnant un rythme endiablé de l'icône de la Ayta, El Hajja El Hamdouia, un tambour improvisé entre les jambes, tandis que le soleil se couche sur la plage. Le grand-père allongé sur sa peau de mouton, sirotant paisiblement son thé sur le toit de la maison familiale, imperméable au temps qui passe. Ou encore les éclats de rire juvéniles de l'épouse tandis qu'elle entend son mari à la radio, et ses larmes à l'écoute de «L'mouima» (la mère), la chanson écrite pour elle par son rejeton. A la rencontre des héros de la ville Michelle accompagne Mohamed et Ayoub dans leur univers fabuleux. Leur monde merveilleux à eux, où de jeunes gaillards au crâne rasé, casquette siglée et pantalon trop grand, disent le mal de vivre en rapant et font l'éloge des jolies donzelles en slamant. Comme leurs prédécesseurs aux cheveux longs et pattes d'éléphant ont, 40 ans plus tôt, défendu leurs idéologies politiques par des rimes, vitriolé en refrains les auteurs des crimes contre la liberté d'être et de penser. Chantres des temps anciens, bardes des temps contemporains. Poètes d'une génération à l'autre, porteurs toujours de l'espoir d'un Maroc nouveau… Ensemble, Ayoub et Mohamed réalisent les premiers enregistrements de leur groupe «Joumra» (braise) avec l'aide de MC Masta Flow de Casa Crew, font le tour des radios «d'jeunes» de la ville, rencontrent les animateurs vedettes de ces stations nées avec la Nayda, la movida marocaine, et prêtent attentivement l'oreille aux critiques. Au-delà de l'immersion dans l'industrie du disque casablancaise, qui rappelle parfois sèchement aux deux protagonistes combien est encore loin le chemin vers la reconnaissance publique, le spectateur retiendra des moments marquants. L'une des séquences les plus bouleversantes du documentaire est sans nul doute la rencontre entre Ayoub et Don Bigg, son héros. Lorsque l'on perçoit des étoiles briller dans les yeux de l'adolescent, alors qu'il écoute religieusement les conseils du bad boy du rap marocain : «Chante les sujets qui t'intéressent, uniquement ce que tu aimes, c'est le secret de la réussite. Et dis toi bien que si les autres perçoivent ce que tu tiens entre les mains comme une béquille, à tes yeux, ça doit être un cheval, ta différence, et ta force pour avancer dans ta carrière et dans ta vie». Autre instant-émotion: quand Mohamed, le père de famille aux matures bacchantes, rit de sa nervosité de collégien tandis qu'il attend de serrer la main d'une figure mythique de sa jeunesse, Omar Sayed en chair et en os. Car les rêves d'enfance restent à jamais en chacun de nous… Dans les poèmes de Michelle Et c'est probablement ce qu'a voulu montrer Michelle Medina dans son documentaire. Elle n'est pas «cette riche étrangère», fée aux yeux bleus amenée d'Amérique par la houle atlantique, venue entrouvrir d'un coup de baguette magique à l'humble Mohamed et son fils unijambiste les portes closes du show-business. Avant de plier bagage pour son eldorado sans crier gare, et de les laisser derrière elle dans leur bidonville, dépités par leur Americain Dream tombé à l'eau. Comme l'a amèrement vécu le jeune Ayoub, alors à peine enfant, après sa participation dans une grande production hollywoodienne tournée au Maroc. Le message de la réalisatrice se décèle dans la trame de cet intense documentaire de 59 minutes produit par La Prod, mêlant harmonieusement narration en anglais et dialogues en darija: il n'y a pas de miracle dans la vie, l'essentiel n'est pas tant de parvenir à la gloire publique, que de jouir du bonheur de l'accomplissement personnel, du rêve de jeunesse intérieur concrétisé grâce au travail et à la persévérance. Et, souvent, l'American Dream tant adulé se présente sous les atours d'un Moroccan Dream, une opportunité à portée de main, à domicile, qu'il faut savoir saisir et mettre en scène, en mots ou en chansons. Dans ce Maroc en ébullition, générateur d'idées et d'idéaux, aquarelle permanente pour toutes les inspirations artistiques. Ce même Royaume qui, voilà bientôt 5 ans, a séduit une jeune cinéaste et romancière floridienne grandie au pays du soleil levant et lauréate du prestigieux Smith College...Michelle Medina.