Non seulement il y a une flambée des prix sans pareille des matières premières, mais également une pénurie de la matière, notamment le coton», indique Mostafa Sajid, président de l'Association marocaine des industries du textile et de l'habillement (AMITH). Cette hausse des prix n'est pas limitée au Maroc. «Le prix du coton est coté à la bourse, aucun pays n'est donc épargné», ajoute-t-il. Les causes sont multiples. La première est d'origine financière. En effet, la crise a engendré une masse de liquidités disponibles sur le marché. «Donc les gens investissent dans les valeurs sûres que représentent les matières premières plutôt que dans d'autres types de valeurs financières», selon les experts internationaux. La seconde est d'origine économique : la croissance des pays émergents tels que la Chine et l'Inde engendre une amélioration du niveau de vie, et donc un changement des habitudes alimentaires. «Les Chinois consomment plus de viande, or pour produire 1 kg de viande, il faut entre 3 et 7 kilo de céréales. Il y a 15 ans, un Chinois sur 100 portait un jean, aujourd'hui c'est un Chinois sur trois. Si on tient compte du fait que pour fabriquer un jean, il faut entre 500 et 600 gr à 1kg de coton», explique Rachida Boukharaz, experte et directrice du pôle Trading Groupe Advens. La consommation interne chinoise se multiplie et la demande de fibre de coton du marché chinois suit cette tendance. Ceci ne manque pas d'affecter l'offre et la demande mondiales puisque le pays constitue un grand marché. Outre ces considérations économiques, le climat peut également être considéré comme une cause directe de cette crise. Les aléas climatiques tels que les inondations, la sécheresse, les pluies influent sur le prix des matières premières dont le coton. De manière générale, «la flambée actuelle des prix repose surtout sur une pénurie physique causée par le déséquilibre classique entre l'offre et la demande», assure Rachida Boukharaz. Entre le marteau et l'enclume Face à cette situation, les industriels commencent à puiser dans leurs stocks ou aller vers des matières moins chères comme le polyster. «Mais le problème qui se pose aujourd'hui c'est que même les prix de ces substituts ne cessent d'augmenter», martèle El Mostafa Sajid. Les textiliens attendent la récolte africaine d'avril prochain pour avoir plus de visibilité par rapport à leur filière. «L'impact de cette crise affecte la filière depuis janvier 2009, les industriels subissent seuls ces effets puisqu'ils ne peuvent pas répercuter cette hausse sur le produit final destiné au consommateur», souligne Sajid. Les industriels sont donc entre le marteau des cours mondiaux du coton et l'enclume du pouvoir d'achat du consommateur marocain. Avec un pouvoir d'achat limité, ce dernier ne pourra pas supporter une nouvelle hausse des prix, ce qui affectera certainement la demande. Malgré la crise, de bonnes perspectives Au Maroc, il n'existe plus de culture de coton depuis quelques années. Les expériences effectuées auparavant se sont avérées non rentables en termes de productivité. «Il ne faut pas oublier que plus de 70% des filatures qui existaient il y a une vingtaine d'années au Maroc ont fermé avec comme conséquence l'augmentation de produits textiles en provenance de la Chine et de l'Inde», rappelle Rachida Boukharaz. La consommation de fibre de coton au Maroc demeure stable depuis 15 ans, entre 38.000 et 40.000 tonnes de coton fibre par an. Et ce, malgré la fermeture de nombreuses filatures. Par ailleurs, l'industrie textile marocaine bénéficie de plusieurs avantages, notamment techniques et géographiques. «Les délocalisations massives en Asie ont engendré des déceptions quant à la qualité des produits textiles», souligne Boukharaz. Ceci profiterait certainement à la filière au Maroc puisque nombreux sont les industriels à revenir progressivement au Maroc, réputé pour ses produits textiles de « haute valeur ajoutée». Les infrastructures portuaires constituent un autre facteur d'attraction non moins important. Les ports de Casablanca et Tanger sont un carrefour entre l'Europe et l'Afrique. Les défis du secteur marocain La filière profite de nombreux facteurs de progrès comme le facteur humain. «Les cadres textiles sont de très haut niveau et la main d'œuvre demeure spécialisée et moins chère que celle en Europe», souligne Aroussia El Farrai, représentante de la Compagnie cotonnière (COPACO) au Maroc. Aussi, l'automatisation de certaines filatures au Maroc permet de faire une importante économie d'échelle au niveau de la main d'œuvre, ce qui pourra encourager les investisseurs à se tourner davantage vers le Maroc. Ces derniers seront également attirés par la stabilité politique du pays et sa proximité par rapport aux donneurs d'ordre. De grandes marques comme Dior, Celio, Diesel, Lacoste ont déjà jeté leur dévolu sur le Maroc pour la fabrication de leurs produits. De même, l'accord signé il y a quelques années entre le Maroc et les Etats-Unis, et qui assure un débouché aux produits textiles marocains, permet aux industriels d'avoir une certaine garantie par rapport à l'écoulement de leurs produits. En revanche, pour assurer un progrès et une croissance continue du secteur, il est important de mettre l'accent sur certains obstacles. En effet, l'appréciation du dirham par rapport à l'euro et au dollar constitue un énorme inconvénient pour la filière. Le coût de l'énergie qui représente plus de 60% du prix de revient du fil, le manque de réactivité de la filature marocaine et parfois l'absence d'anticipation par rapport au marché international du coton sont autant de défis majeurs auxquels les opérateurs et l'Etat sont appelés à trouver des solutions. Ceci permettrait au secteur de jouer pleinement son rôle dans la croissance de l'économie nationale. «Sur le long terme, la tension sur les prix des produits de base devrait perdurer.» Georges TOBY, Conseiller du Directeur Général de la Compagnie Cotonnière (COPACO). Entretien réalisé par b.A.I L'Observateur du Maroc. Quelles sont les conséquences de cette flambée des prix des matières premières sur l'économie mondiale de manière générale et sur le Maroc en particulier ? Georges TOBY. Si la flambée des prix des matières premières n'est pas contrôlée par des organismes gouvernementaux, cela peut engendrer une spirale inflationniste qui, à moyen et long termes, peut avoir comme conséquence une augmentation des taux d'intérêts. Ce phénomène économique peut ouvrir la voie à un cercle vicieux d'inflation et de déflation. Pour le Maroc, les premiers affectés seront les PME. Ces dernières auront besoin de faire appel au crédit bancaire pour pouvoir se financer et il est fortement probable que les banques adoptent une politique de fermeté. Autre conséquence pour le Maroc: le décalage économique entre les revenus de la population et les prix des produits de consommation de base. On pourra donc assister à une baisse obligée de la consommation, conséquence logique de l'inflation. Est-ce que la filière cotonnière a été plus affectée que les autres filières par cette hausse des prix ? Si oui, pourquoi ? Oui et non, selon le point de vue où l'on se place. Du point de vue du producteur, le cotonculteur, c'est une très bonne chose. En Afrique, par exemple, le redressement des cours permet de payer le coton graine à un prix suffisamment attractif pour ramener à la culture cotonnière de nombreux producteurs qui s'en étaient détournés. En effet, le coton fait partie des cultures dont les coûts de production sont élevés par rapport à ce qu'il rapporte aux cultivateurs des exploitations cotonnières. Du point de vue du filateur, la situation des flux est tendue car le coût des approvisionnements en coton augmente. Face au caractère durable de la situation et au risque de pénurie, les donneurs d'ordre accordent maintenant des hausses tarifaires à leurs fournisseurs. Comment peut-on réduire les effets de cette crise ? Des mesures d'urgence devraient être prises rapidement pour limiter la flambée des prix des matières premières car, dans les pays pauvres, les dépenses alimentaires représentent 60% des revenus. Certaines décisions comme les restrictions aux exportations atténueront un peu la crise, mais, sur le long terme, la tension sur les prix des produits de base devrait perdurer. La population mondiale ne cesse d'augmenter, il faudra donc accroître, dans la mesure du possible, les surfaces cultivables dans le monde et améliorer les rendements. Ce qui se passe actuellement en Egypte, un des principaux producteurs mondiaux, aura-t-il des effets sur la filière (prix, émergence de nouveaux acteurs…) ? Non, la situation politique et sociale actuelle de l'Egypte n'a aucune influence sur la filière cotonnière en particulier, car l'Egypte était autrefois un producteur important, la fibre de coton égyptienne était appréciée et réputée dans le monde entier pour sa qualité. Au cours des vingt dernières années, la quantité de fibre de coton produite en Egypte n'a pas cessé de diminuer et la production égyptienne de fibre de coton demeure marginale par rapport aux grands producteurs que sont les Etats-Unis, la Chine, l'Inde, le Pakistan et le Brésil qui, eux, représentent environ 80% de la production mondiale.