En ce début d'année, tous prennent la résolution d'être plus attentifs. Surtout les ambassadeurs français qui savent que la raison d'Etat a sa beauté tragique quand elle sacrifie la carrière d'un subalterne pour épargner celle du ministre désinvolte… Les médias ont une autre logique. Celle du spectacle. Ils font un vœu: que la révolution soit universelle et qu'ils cheminent à ses côtés. Peur et frisson, l'audience est garantie. Même s'il n'y pas de tête au bout des piques, le show remue le téléspectateur. Tous parlent en chœur de la contagion tunisienne. Comme si la révolution démocratique était un virus. C'est-à-dire une fièvre dont le mode de transmission serait aléatoire, pour ne pas dire incompréhensible. L'épidémiologie n'est pas une science exacte. Personne ne peut prédire qui sera contaminé. De même, la révolution n'obérait à aucune rationalité. Cette semaine, les guetteurs angoissés ou euphoriques ont donc annoncé le grand soir au Caire. Qu'importe que les réalités économiques et sociales de l'Egypte et de la Tunisie n'aient rien à voir, ni l'armée, ni la structure du pouvoir. Il est aussi logique d'assimiler les milliers de manifestants qui se sont rassemblés au Caire à leurs frères tunisiens que de comparer les villes du Caire (18 millions d'habitants, aux dernières estimations) et de Sidi Bouzid (39.500 au recensement de 2005)… Les médias ne veulent voir que les points communs : les manifestants parlent arabe et conspuent un Raïs accroché au pouvoir comme une moule à son rocher. Il y a toutes sortes de leçons à tirer de la chute de Ben Ali. On peut en analyser les causes profondes et en discerner les signes avant-coureurs. Lister les raisons conjoncturelles et s'interroger sur le poids de la rumeur, le rôle des réseaux sociaux sur internet, la responsabilité de la crise économique, le jeu des Américains, celui de l'entourage, etc. Il y a de quoi travailler pour une génération de chercheurs. Il restera une part de mystère : pourquoi la fuite du président, ce jour-là précisément? Quelle que soit la passion qu'engendre la politique, l'irrationnel devrait rester limité. Les plus sensibles à l'air du temps sont les plus fragiles. La seule contagion qu'on distingue depuis trois semaines est celle des suicides. Le geste de désespoir de Mohamed Bouazizi a fait de lui le symbole de l'injustice. Il a aussi fait des émules qui s'immolent pour se hisser au niveau de l'histoire et donner un sens à une existence devenue trop lourde à porter. Comment en serait-il autrement ? A chaque fois qu'un personnage célèbre met fin à ses jours, les psychiatres observent le même phénomène de contagion. Et les débuts d'année sont des périodes à risques qui facilitent le passage à l'acte. Prétendre discerner une même cohérence politique à tous ces destins tragiques est abusif, pour ne pas dire scandaleux. Le suicide le plus spectaculaire de la semaine aura d'ailleurs eu lieu à Libreville qui n'est pas une capitale arabe et où ne sévit pas un autocrate vieillissant. André Mba Obame a été pendant un quart de siècle ministre d'Omar Bongo. Il était intime de son fils Ali avant d'en devenir le rival. Il l'a défié à la présidentielle, puis a contesté sa victoire. Personne n'imaginait à son retour au Gabon à la veille du nouvel an que l'opposant numéro 1 pourrait brûler tous ses vaisseaux et se proclamer vainqueur, s'introniser dans une parodie de prestation de serment, former un gouvernement fantomatique et s'enfermer dans l'immeuble des Nations Unies… André Mba Obame prétend être le président élu, par opposition au président en place. Il exige de la communauté internationale qu'elle l'adoube, l'entretienne et l'installe au pouvoir. Cette chimère semble la synthèse de la Révolution tunisienne et du feuilleton ivoirien. Le héros de l'histoire prend la posture de la victime et en semble très satisfait.