Face aux élections, les Tyrans sont comme les Pères Noël. Ils mettent une barbe et profitent de l'euphorie générale. Le duel télévisé de Laurent Gbagbo et d'Alassane Ouattara s'est terminé en assaut de bienveillance. Alexandre Loukachenko riait dans sa moustache en répondant aux questions de la télévision biélorusse, à la veille du scrutin. Les Tyrans aiment à jouer aux Pères Noël mais ils détestent les enfants gâtés. A l'heure du dépouillement, ils exigent que l'électeur se dépouille de toute illusion. Alexandre Loukachenko prétend avoir obtenu 80% des voix à la présidentielle. Laurent Gbagbo est plus modeste : 51%. Personne n'est dupe sauf ceux qui y ont intérêt et font donc semblant de croire aux Pères Noël. Chacun comprend que ni l'un, ni l'autre n'ont imaginé d'abandonner un pouvoir conquis de haute lutte, par accident, il y a trop longtemps. « J'y suis, j'y reste » : l'Ivoirien tient l'armée, laisse des escadrons de la mort semer la terreur en ville et assiège son rival, retranché dans un hôtel. Le Biélorusse fait arrêter en pleine nuit sept des neuf autres candidats à l'élection présidentielle et embastille par centaines les manifestants qui osaient défiler sous ses fenêtres. Dans les deux cas, protestations générales. Avec des nuances mais unanimes. Les capitales, les voisins, les Ong, les grandes institutions, tout ce qui forme le concert des nations. Avec Minsk, une forme de fatalisme l'emporte. La Biélorussie est une relique de l'époque soviétique. Par sa langue, sa religion, son histoire, elle relève de la zone d'influence du Kremlin. Il attend son heure. Quand ce voisin si pénible sera à genoux, il sera temps de lui proposer l'amitié et de lui en imposer les conditions. L'Europe rempoche les trois milliards d'euros promis à Loukachenko. Les manœuvres pour arrimer le pays au continent et au présent sont gelées pour quatre ans supplémentaires. D'ici là, on se contentera de distribuer des blâmes. Et des pansements aux opposants accueillis en exil. Ce n'est pas cela qui empêchera Alexandre Loukachenko de dormir. Il est interdit de visa depuis des lustres et ne sort jamais de chez lui. Avec Abidjan, les protestations semblent moins vaines. Elles ont laissé place aux pressions et aux sanctions. L'Europe, suivie bientôt par les Etats-Unis, publie une liste de dignitaires, décrétés indésirables. Laurent Gbagbo, ses deux femmes et leurs meilleurs amis. On y trouve les responsables de la sécurité, du parti et de l'armée. Mais pas le chef d'état major des armées car il faut ménager l'avenir... Une machine infernale se met en marche. Les comptes bloqués, les visas suspendus, le dialogue rompu. Il s'agit d'asphyxier le régime. A terme, ceux qui tiennent le haut du pavé à Abidjan s'y trouveront piégés. Refusant de quitter le pouvoir, ils ne pourront plus quitter le pays. Prisonniers de leur palais dont ils n'ont pas voulu rendre les clefs… Y a-t-il deux poids, deux mesures ? La propagande déversée par les amis de Laurent Gbagbo joue habilement sur la fibre patriotique en dénonçant le néocolonialisme, le complot de Paris, les manigances de la Françafrique, la résistance au diktat. En écho, le procès récurrent fait à Alassane Ouattara d'être un candidat de l'étranger. C'est habile mais c'est masquer l'essentiel : l'Afrique, la première, a mis Laurent Gbagbo en demeure. La CDEAO, entraînée par le Nigeria, a reconnu aussitôt la victoire de son rival. Le conseil de l'Union africaine a suivi. L'Afrique du sud et Jean Ping ont bien tenté une médiation mais ayant échoué, ils ont réaffirmé la légitimité du président élu. Les dirigeants africains, si souvent décriés pour la solidarité qu'ils manifestent entre eux, ont lâché Laurent Gbagbo. Personne ne propose un partage du gâteau à la Mugabe ou à la Kenyane, le président élu restant au pouvoir et abandonnant seulement la direction du gouvernement à son rival floué. Au contraire, les voisins de la Côte d'ivoire proclament la validité des résultats de l'élection, certifiés par l'Onuci et exigent du président qu'il les respecte. Ils veulent que le président sortant sorte, et c'est sans appel. Le Conseil de sécurité des Nations unies a mis trois jours de plus pour arriver à la même conclusion. Le Nord a entériné le choix fait par une diplomatie africaine qui s'est clairement manifestée. A Abidjan, des proches de Laurent Gbagbo ont été mis en garde sur les risques personnels qu'ils encourent en cas de guerre civile et les comptes qu'ils auront à rendre un jour. L'un des intimes du président a répondu en citant le cas d'Omar El Béchir. C'est vrai que le président soudanais profite d'une grande indulgence de ses pairs. Il vient d'accueillir Hosni Moubarak et Mouammar Kadhafi pour un sommet éclair alors qu'il reste inculpé de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale. Il faut croire que les Africains voient dans la CPI une justice de blancs. Et qu'ils ont trop de réalisme pour envisager la déstabilisation du Soudan que provoquerait l'arrestation de l'accusé. Alors que l'obstination de Laurent Gbagbo menace la paix précaire que connait aujourd'hui la Cote d'Ivoire.