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RAMA YADE : « Je propose une révolution démocratique »

Rama Yade a de l'ambition. Elle n'en doute pas, c'est elle qui sera la prochaine Présidente de la République française. Et ne lui parlez pas de primaire ou de partis historiques qu'elle juge corrompus. Rama Yade revendique une vision gaullienne de la République. Pour elle, la présidentielle, c'est la rencontre d'un homme avec le peuple. L'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy dénonce la fracture identitaire et se dit la seule capable d'incarner une révolution qui permettrait à la France de se réconcilier avec elle-même. C'est dans son bureau parisien du 16e arrondissement que la candidate de «La France qui Ose» a accordé une interview de plus d'une heure à notre correspondante à Paris, Noufissa Charaï. @NoufissaCharai
L'Observateur du Maroc et d'Afrique: D'abord cette question d'actualité, les manifestations contre la Loi El Khomri se multiplient, plusieurs blocages ont eu lieu ces dernières semaines, le gouvernement doit-il retirer l'article 2 qui fait débat ?
Rama Yade : Je pense que l'article 2 est utile. La négociation d'entreprise doit l'emporter sur la logique de branche où les considérations politiques parasitent le système. A part ce point, cette loi est vide de contenu, c'est un véritable gâchis, une occasion manquée. Quitte à bloquer la France, autant le faire pour une vraie réforme. C'est une contestation menée par des organisations qui représentent 4% des salariés. Elles ne peuvent pas faire la loi en France. Elles doivent être écoutées et respectées, leurs inquiétudes prises en considération, mais je pense qu'il revient au gouvernement légitime de la France de mener ses réformes.
Vous avez signé une tribune pour dénoncer le sexisme en politique avec 16 anciennes ministres, comment ce sexisme se manifeste-t-il ?
Je pensais au départ que toutes ces questions n'étaient plus d'actualité. Mais l'année dernière, j'ai écrit un livre : «Anthologie du machisme en politique» et j'ai signé cette tribune parce que j'ai réalisé qu'il y avait un ordre patriarcal qui continuait à sévir en France à travers certains propos et certaines attitudes. Les droits des femmes ne sont finalement jamais acquis et il faut toujours se battre, non pas pour des nouveaux droits mais déjà pour ceux considérés comme acquis. Le sexisme en politique c'est une délinquance en col blanc qui s'assume.
Et vous, pensez-vous que la société française est capable aujourd'hui d'élire une femme à la Présidence de la République ?
Il conviendrait de réveiller un peu l'orgueil national car la France est en train d'afficher du retard partout. Regardez ce qui se passe aux Etats-Unis avec l'élection d'Obama et demain une femme sera peut-être Présidente des Etats-Unis. En Grande-Bretagne, il y a Sadiq Khan. Dans notre pays, nous n'aurions le choix qu'entre d'anciens Présidents, d'anciens Premiers ministres et l'extrême-droite ? Je veux proposer une nouvelle offre politique. Je pense que je peux donner aux Français la possibilité de rattraper 40 ans de retard. …
Et une noire musulmane ?
Ça fait beaucoup... mais le monde nous regardera avec des yeux différents. Moi, j'ai confiance en mon peuple et en sa capacité de réaction, de sursaut. Ce ne sont pas ces éléments que j'invoque pour justifier ma candidature, cela est annexe et superficiel, la vérité c'est de les convaincre sur un projet politique. Lequel projet est axé sur le fait qu'il faut réconcilier la France avec elle-même et le monde. Notre pays est fracturé, divisé, il y a des dissidences communautaires, territoriales et générationnelles. La France a besoin d'une Présidente qui retisse les liens, réconcilie le pays. Une Présidente qui soit un point de convergence des espérances et c'est cela que je propose aux Français aujourd'hui. Aucun autre n'est capable de le faire ou pire encore ne veut le faire. Par ailleurs, j'ai l'expérience de l'Etat puisque je suis administrateur au Sénat, j'étais au gouvernement deux fois, ambassadeur de France. Cela fait 10 ans que je suis engagée dans la politique. Je pense que je peux être en capacité d'incarner la France d'aujourd'hui en ce qu'elle a de meilleur. Le monde entier aime la France mais les Français ne s'aiment plus, j'ai envie qu'ils s'aiment à nouveau et qu'ils trouvent des raisons de croire en eux. C'est pour ces raisons que je propose une révolution démocratique, c'est-à-dire qu'il faut leur donner le moyen de s'exprimer. Eux, en revanche, sont prêts. C'est le système politique qui ne l'est pas. C'est l'élite, c'est l'aristocratie d'Etat, celle qui est dans l'entre-soi et la connivence, c'est elle qui pratique le communautarisme. Je pense que les Français sont plus ouverts et ils se désespèrent de cette élite politique qui, finalement, est bloquée et qui encourage l'immobilisme à tous les étages et empêche notre démocratie de se régénérer.
Vous n'avez jamais été élue auparavant ni au niveau régional ni même local, cela n'est-il pas un handicap ?
J'ai été élue deux fois conseillère municipale et régionale. Je ne me suis présentée sur mon nom qu'une seule fois dans des circonstances complexes car ma famille politique m'avait mis un candidat en face (et un procureur !) pour m'empêcher d'être élue.
Vous présentez votre programme cette semaine. Quelles seront vos principales positions ?
Il comporte 3 priorités, douze ambitions et 250 propositions pour résorber la fracture identitaire qui mine le pays depuis 20 ans. La question de l'islam notamment crispe énormément. Les enfants d'immigrés ne trouvent plus leur place. Les Français en général se méfient les uns des autres. Beaucoup cherchent des coupables. Plus généralement, la fracture démocratique crée un fossé grandissant entre l'aristocratie d'Etat et le peuple. Notre démocratie est confisquée. Il faut la libérer en redonnant le pouvoir aux Français. Nous voulons libérer la démocratie en remettant à jour la participation citoyenne mais en renforçant aussi le pouvoir des élus locaux, tout en rénovant le dialogue social. Il ne faut évidemment pas supprimer les syndicats mais je pense qu'il faut plus de syndicats reconnus en France et qu'ils soient relégitimés. Il faut également qu'il y ait une décentralisation citoyenne et une réforme de l'Etat pour pouvoir transférer des missions où il échoue vers la société civile qui sait faire. L'économie du partage c'est important. Nous devons passer de l'Etat providence à la société providence. Nous devons passer d'un système financier international devenu fou à une économie du partage qui favorise les entreprises, l'économie réelle mais tout en préservant l'environnement. Plutôt qu'une TVA classique, il faut une TVA environnementale. La France est le pays qui crée le plus d'entreprises mais elles n'embauchent pas à cause des charges. Je propose donc un dispositif zéro charge à la première embauche. Il y a aussi un volet sur la France qui doit redevenir une puissance médiatrice qui sort de son enfermement. Il faut revoir le rayonnement de la France dans le monde.
Allez-vous obtenir les 500 signatures de parrainage nécessaires pour être candidat ?
J'ai un comité local par département, ce qui fait donc 102 comités locaux et nous avons 50.000 sympathisants qui cherchent les parrainages. J'irai également sur le terrain à la rencontre des maires, il y en a 40.000 et il en faut 500. Donc j'irai voir ceux qui n'ont pas d'étiquette politique comme moi.
Vous dites que votre candidature arrive «à point nommé», qu'entendez-vous par là ?
Je n'aurais pas pu me présenter en 2012. Mais en 2017, nous atteignons le paroxysme de la crise identitaire et donc j'ai des réponses à apporter là-dessus. J'ai travaillé sur les droits de l'Homme, la place de la femme dans le monde et le sport. Mais j'ai aussi travaillé sur les mouvements associatifs, le sens de l'engagement à l'école, la jeunesse, tous ces sujets sur lesquels j'ai écrit ou travaillé font l'objet de débats nationaux. J'ai donc une expertise à apporter, une expérience personnelle à faire valoir et un idéal qui répond aux aspirations profondes des Français.
Vous évoquez «un projet de radicalité» et une «révolution démocratique», concrètement qu'est-ce que vous comptez changer ?
A situation hors normes, il convient d'apporter des réponses hors normes. Sortir de la banalité des hommes politiques conventionnels qu'on a déjà vus et revus. Ils n'ont plus grand-chose à dire et ne comprennent même pas ce que la France et le monde sont devenus. Nous avons perdu trop de temps en France ces dernières décennies pour avoir un Président qui attend l'élection présidentielle comme un bâton de maréchal parce que pour lui c'est la fin de l'histoire, il n'a plus rien à raconter. Il faut, au contraire, élire des candidats qui sont au début de l'histoire. Et qui ont envie de faire avancer les choses. Moi, je veux donner le pouvoir aux Français grâce à une série de mesures. Dans un premier temps, il faut la reconnaissance du vote blanc pour obliger les candidats à revoir leurs copies. Avec le vote blanc, ni Sarkozy ni Chirac n'auraient été élus. Deuxièmement, il faut l'inscription automatique des Français sur les listes électorales et pas seulement à 18 ans. En 2012, au premier tour, il y avait 9 millions de personnes qui n'étaient pas inscrites sur les listes électorales. C'est là le score de Sarkozy au premier tour de l'élection présidentielle. Dans les dernières élections, si nous avions pris en compte l'abstention et le vote blanc, certains auraient été élus avec moins de 10% du corps électoral français, c'est pour cela qu'ils sont impopulaires au bout d'un mois. Il faut également des jurys citoyens, tirés au sort dans chaque département pour que les parlementaires à mi-mandat puissent s'exprimer sur ce qu'ils font à l'Assemblée nationale. J'entends par «révolution démocratique» davantage de référendums, de motions populaires.
Il y a une montée des extrêmes en Europe mais également aux Etats-Unis avec Trump, le candidat républicain. Cela vous inquiète ?
C'est à l'image de cette démocratie qui ne fonctionne plus. Quand les citoyens ont le sentiment d'être écartés des décisions, cela favorise les extrêmes et le populisme. C'est un phénomène mondial. Si la démocratie ne change pas son mode de fonctionnement, nous aurons de plus en plus de «Trump» dans le monde.
Vous vous présentez avec un nouveau parti politique, vous ne participez à aucune primaire. Vous n'êtes pas la seule, c'est aussi le cas de Jean-Luc Mélenchon. En quoi cela fait-il la différence ?
Les primaires sont verrouillées, gangrenées. J'ai suffisamment d'expérience avec les partis politiques pour savoir qu'elles ne se résument qu'à des tractations internes, deals réciproques, ce n'est pas démocratique contrairement à ce qu'ils disent. Avec un nouveau parti, je choisis mes coéquipiers, nous portons un projet que nous assumons à 100% et non pas un projet imposé par un parti. En France, les grands partis sont discrédités, c'est l'institution dont les Français se méfient le plus. Je ne vois pas de quel bilan il pourrait se prévaloir pour dire qu'ils sont mieux que nous. J'ai choisi ceux avec qui je veux travailler parce qu'ils sont porteurs d'une philosophie de principes dont j'ai besoin et les Français aussi. J'ai réuni des écologistes car j'ai la conviction que le pays doit s'engager dans la transition énergétique pour donner un sens à la société, il faut que l'environnemental et le social l'emportent sur le financier. J'ai aussi dans ma formation le parti libéral démocrate parce que j'ai la conviction que nous ne pouvons pas continuer dans une économie qui bride l'innovation et qui étouffe les petits entrepreneurs. Dans mon parti, il y a également le rassemblement éco-citoyen et des partis régionalistes. Il y a aussi Démocratie 21 pour s'adresser aux jeunes des banlieues.
Vous avez donc intégré dans votre formation politique «La France qui ose» des mouvements citoyens. Que pensezvous de Nuit Debout ?
C'est un symptôme très intéressant de l'état de notre démocratie. C'est le désir d'expression d'une partie de la jeunesse française. C'est le ras-le-bol contre un système démocratique compliqué et c'est pour cela qu'il faut une révolution démocratique. L'utilisation du 49.3 sur la loi travail a été vécue comme un déni de démocratie et c'est un aveu de faiblesse du gouvernement que de priver l'Assemblée nationale de ce débat. C'est une démocratie malade, confisquée et un désir profond de participer plus à la vie politique. J'aurais aimé que de Nuit Debout émerge une force qui soit l'incarnation d'une alternative au système des partis. Si ce ce n'est pas Nuit Debout, ça sera nous. Ils ont hélas échoué car il y a eu les violences d'une part qui ont refroidi les Français mais surtout parce qu'ils ont été noyautés par des éléments parfois radicaux, politiques ou pas. Parallèlement, Nuit Debout refusait d'avoir un leader, sauf qu'en politique ce n'est pas possible.
Vous dénoncez la corruption dans les partis politiques français, c'est-à-dire ?
J'ai saisi la Justice pour dénoncer la présumée corruption dans mon ancienne famille politique. En France, lorsque vous faites ça vous êtes critiqué et ils vous accusent même de faire monter le Front National alors que c'est par leurs actes que l'extrême-droite grimpe. J'aurais été Secrétaire d'Etat des Droits de l'Homme d'un pays étranger, je me serais enquise de la situation française et des problèmes que j'observe. Aujourd'hui avec les votes électroniques, nous ne voyons plus les bulletins de votes, mais la corruption c'est aussi le choix d'un prestataire proche d'un candidat comme pour les équipes qui préparent les élections. Ces équipes sont parfois formées de salariés d'un candidat. Ce sont aussi des chèques qui ne sont pas individualisés pour les adhésions : un chèque peut parfois payer des centaines d'adhésions. C'est également des bébés qui votent ou des gens décédés, voire des gens qui ont voté sans le savoir... Si vous ne tenez pas l'appareil politique, vous ne pouvez rien faire. Je pensais que dans les petits partis, il n'y aurait pas ce genre de pratique sauf que c'était pire. Ils m'ont demandé de retirer ma plainte, j'ai refusé et donc par la suite ils m'ont exclue.
Certains vous accusent d'opportunisme et estiment qu'avec cette candidature, vous essayez de revenir sur la scène politique pour éventuellement décrocher un ministère en 2017. Vous pensez vraiment pouvoir remporter l'élection ?
Si j'étais dans un objectif de négociation pour un poste, je serais partie à la primaire des Républicains puisque c'est une primaire ouverte à la droite et au centre. C'est ce que font les autres pour négocier un poste. Si j'étais dans cette optique, je n'aurais pas créé un mouvement politique et je n'aurais pas fait appel à cinq mouvements citoyens. J'ai un QG et un programme politique qui sort cette semaine. Je fais ça pour gagner ! Il n'y a pas besoin de faire tout cela pour être ministre. Si je voulais, j'aurais pu négocier mon soutien.
Pour la primaire des Républicains, vous soutenez toujours Nicolas Sarkozy, votre mentor politique ?
Je ne suis pas dans l'idée de soutenir quelqu'un aujourd'hui ou demain. Et pour Nicolas Sarkozy, ce n'est plus mon mentor politique, c'était il y a 10 ans ! J'ai commencé la politique avec lui, je l'assume complètement mais je ne lui dois rien et nous sommes quitte aujourd'hui. Il m'a nommée, je lui ai été utile. Ce n'était pas facile pour moi de m'engager à côté de lui par rapport à des phrases qu'il a dites au Mali, à Dakar ou encore la phrase avec le Karcher... Mais je ne suis pas responsable de ce qu'a dit Nicolas Sarkozy, je veux être jugée sur mon action personnelle.
Vous avez déclaré que vous souhaitiez que les terroristes soient jugés par la Cour Pénale Internationale (CPI). Quelle est la différence ?
A crime global, il faut une justice globale. Le crime commis touche plusieurs nationalités. Le crime de guerre ne relève pas du droit pénal français, ce ne sont pas non plus des combattants qui peuvent être traduits devant un tribunal militaire. Il reste le droit international, donc la CPI au motif de crimes de guerre. La question c'est également après la peine, les prisons françaises sont déjà touchées par le discours radical et l'accueil de ces terroristes par les détenus peut parfois surprendre.
En tant qu'ancienne ministre des sports, pensez-vous qu'il est raisonnable de maintenir l'Euro à Paris et notamment les fans zones ?
C'est compliqué car si nous supprimons les fans zones, nous donnerons le sentiment de céder devant la peur et si nous les maintenons et qu'il y a un incident, nous serons accusés de les avoir maintenues... Ce n'est pas simple, je n'affirme rien. Je laisse à l'Etat le soin d'apprécier car eux ont les éléments qui leur permettent de juger.
Que feriez-vous sur le dossier syrien si vous êtes élue et que pensez-vous de la position actuelle du Quai d'Orsay ?
Je pense que la France ne doit pas faire les guerres de l'Amérique. Je pense que la guerre en Syrie est le résultat de l'invasion américaine en Irak en 2003. Les Etats-Unis et leurs alliés ont joué aux pompiers pyromanes sur toute la région du Moyen-Orient. Et pour la France, c'est à cause des jeunes français qui ont rejoint les rangs de Daech que nous sommes impliqués dans ce conflit. C'est en août 2013, lorsque Bachar al-Assad gazait sa population qu'il aurait fallu intervenir et par là, j'entends soutenir l'opposition syrienne alors que nous l'avons assimilée à des islamistes ! La division 30 créée par les Américains pour justement entraîner des soldats contre al-Assad avait pour objectif de former des dizaines de milliers de soldats et finalement ils n'en ont formé que 1500 ! Le pire c'est que ces gens ont remis leurs armes au Front al-Nosra proche d'Al-Qaida et c'était un fiasco total. Ils vont aussi s'allier à l'Iran alors que le pays soutient la politique d'al-Assad. Résultat, ce dernier est plus que jamais positionné sur son trône, l'opposition syrienne est laminée, le groupe «Etat Islamique», qui n'a pas été suffisamment bombardé, n'a jamais été aussi fort et nos démocraties n'ont jamais été aussi vulnérables. Il aurait fallu négocier un véritable cessez-le-feu et sur ce gage-là permettre à la Russie de rejoindre la coalition internationale avec l'engagement qu'ils bombardent bien le groupe «Etat Islamique» et non pas l'opposition syrienne.
La question du terrorisme concerne aussi l'Afrique et notamment la Libye où Daesh gagne du terrain et le gouvernement d'union nationale peine à se mettre en place. Faut-il envisager une nouvelle intervention française et regrettez-vous la première ?
L'erreur de Nicolas Sarkozy c'est de ne pas avoir anticipé la suite Kadhafi. Le problème c'est que lorsque la première intervention est ratée, après c'est très compliqué d'en réussir une nouvelle. Mais c'est surtout un chaos abyssal, le groupe «Etat Islamique» vient se greffer à une société tribale donc je ne suis pas certaine que l'intervention militaire soit la meilleure option. La priorité est politique. Avant d'envisager une opération militaire, il faut définir un objectif politique autre que celui de simplement chasser Daesh. Les interventions militaires sont les guerres d'un autre siècle. Lorsque vous intervenez pour chasser un groupe, ça ne fonctionne pas : Libye, Afghanistan, Syrie. Une fois que les Libyens sont réunis dans une large coalition, à ce moment-là, l'intervention militaire a du sens. On ne se débarrasse pas d'une idéologie avec des bombes.
Le Maroc et le Sénégal ont résisté pour l'instant à la menace terroriste, comment l'expliquez-vous ?
Il faut reconnaitre l'efficacité des services. Au Maroc, par exemple, il y a une fermeté plus grande des autorités à l'égard des extrémistes. Le royaume ferme des mosquées extrémistes alors qu'en France, il est limite considéré comme une violation des droits de l'Homme de fermer une mosquée salafiste. Je pense qu'il faut interdire le salafisme en France. Les mosquées salafistes et extrémistes, il faut les interdire. Il ne faut pas officier le radicalisme dans les mosquées car derrière, il y a une promesse dangereuse et en même temps cela permettrait aux musulmans de pratiquer leur religion en paix sans être assimilés à des radicaux ou à des extrémistes.
Justement, la place de l'islam en France risque aussi d'être un thème de la Présidentielle de 2017 ?
En France, Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes a dit : «Les Franco-musulmans », mais est-ce qu'elle dit les «Franco-juifs» ou les «Franco-catho» ou encore «les Franco-bouddhistes»? Ce vocabulaire est extraordinaire, une ministre de la République est responsable des mots qu'elle emploie. Pendant des années, nous avons demandé aux musulmans de n'être que Français et de ne se réclamer d'aucune religion sauf dans leur vie privée et soudainement nous leur demandons de sortir dans la rue pour se désolidariser d'extrémistes ! L'injonction est contradictoire, paradoxale et antirépublicaine. Aujourd'hui, les «Franco-musulmans» sont une catégorie totalement silencieuse et invisible car elle a peur de l'assimilation aux mouvements radicaux. Elle a peur d'être jugée ou accusée. Par ailleurs, ceux qui sont invités à parler au nom de l'islam ne représentent pas du tout la majorité. Il y a des intellectuels qui tiennent des propos orientalistes, des imams qui ne parlent pas français, il y a des gens que nous auto-proclamons représentants des musulmans alors que ce ne n'est pas du tout le cas. Les musulmans ont été oubliés, caricaturés, assimilés à des gens avec lesquels ils n'ont rien à voir. Il y a les réfugiés, les immigrés, les clandestins, les Français de 1ère et 3ème génération et tout cela se mélange. Cette confusion des mots traduit une confusion identitaire en France.
Quel regard portez-vous à la coopération religieuse, avec notamment la formation d'imams français au Maroc ?
La 100e proposition de mon programme est un guide de la laïcité pour régler définitivement les débats qui agitent la société française : signes religieux, repas dans les cantines, fêtes religieuses, financement des cultes mais aussi formation des religieux. Au nom de la laïcité, la France ne peut pas dispenser de formation religieuse. Donc la possibilité d'une formation est intéressante pour des binationaux qui parlent français et qui par ailleurs compléterait leur cursus par une formation civique qui concerne l'organisation de la vie sociale en France.
La crise des réfugiés sera également un enjeu de la campagne de 2017 et de nombreux départs se font justement des côtes libyennes. Quelle devrait être la position de la France sur ce dossier ?
L'accord passé avec la Turquie est honteux. Cet accord oblige les réfugiés à emprunter des itinéraires plus dangereux et le chemin de la Libye reste le plus dangereux. Ce canal est meurtrier. Il faut commencer à la source avant de gérer les conséquences. La Jordanie, le Liban, la Turquie et même l'Allemagne ont pris leur part pour parler vulgairement, il y a d'autres pays au Moyen- Orient qui devraient en faire davantage. Il faut une réunion des Nations-unies pour entériner ce besoin de solidarité. Les Etats du Moyen-Orient, à part les frontaliers, doivent également accueillir des réfugiés tout comme les Etats-Unis ! L'Europe ne pourra pas les accueillir tous. En revanche, pour l'accord européen, je considère que c'est un accord Merkel-Turquie qui met en danger les réfugiés. Or le droit d'asile doit être préservé.
Il y a également l'enjeu écologique. Le Maroc organise la Cop 22, que faut-il attendre de cette nouvelle conférence climat un an après celle de Paris ?
La transition écologique est très capitale. La Cop 21 a été un succès pour Paris et donc cela signifie que lorsque nous voulons mener une diplomatie environnementale offensive, nous pouvons le faire. Je crois qu'il faut continuer sur la voie de ce succès avec la Cop 22 et je pense qu'ils sont très investis sur le sujet et le Maroc a des choses à dire sur les questions environnementales. Les trois défis du siècle, à savoir droit à l'eau, accès aux énergies mais également les énergies renouvelables, ce sont déjà des choses que le Maroc est en train de vivre. Donc il a son mot à dire. Et depuis quelques années, il y a une vraie volonté du Maroc de jouer un rôle géopolitique et diplomatique sur la scène internationale mais d'abord sur le continent africain grâce à l'autorité morale du roi. Le Maroc a fait sa révolution verte, et cela doit toucher plus de pays africains. C'est donc un message très fort qui peut ressortir de la Cop 22.
Vous regrettez également la perte d'influence de la France en Afrique au profit des Chinois et des Russes, mais l'Afrique ne doit-elle pas prendre enfin son destin en main ?
C'est un gâchis car la France a les atouts pour être le partenaire privilégié des pays africains. La France avec sa politique de visa voit le nombre d'étudiants baisser et au-delà de ça la culture anglosaxonne a pris le dessus et attire plus. L'Afrique n'attend plus l'aide au développement mais des investissements. Alors que ce continent décollait, le quai d'Orsay réduisait les moyens de la présence française au profit de l'Asie. L'Afrique est en train de prendre son envol économique en toute autonomie politique. Ce que le monde occidental a fait en un siècle, nous demandons à l'Afrique de le faire en cinq ans. L'Afrique progresse à grand pas et la conséquence sera une émancipation totale.
Faut-il accentuer la collaboration entre pays africains comme le prône le roi du Maroc ?
Nous ne parlons même plus de coopération sud-sud, c'est un vieux mot des années 80. Sur le plan économique, L'Afrique est en train de prendre son émancipation, ça fait 12 ans que ce continent a un taux de croissance au-delà de 5% alors que le monde est à 3%. Ce n'est pas une croissance liée aux matières premières, qui serait juste temporaire. L'inflation a été divisée par deux, la gouvernance s'est beaucoup améliorée, les déficits mais aussi l'endettement des pays africains s'est réduit de deux tiers. Il y a également une classe moyenne de 350 millions de personnes qui a émergé. Et dans le classement «Forbes 2015» des milliardaires dans le monde figuraient 29 Africains. Il y a un moment africain incontestablement. Le transport maritime explose ainsi que la mobilité estudiantine entre pays africains. C'est un bouleversement du monde.
Lundi dernier, Hissène Habré, l'exdictateur tchadien a été condamné au Sénégal par la Chambre africaine extraordinaire (CAE) pour les crimes qu'il a commis entre 1982 et 1990. C'est un procès historique. L'Afrique qui juge l'Afrique au lieu de la CPI, c'est possible ?
Je pense effectivement qu'il est important que l'Afrique juge les siens ! C'est un nouveau chapitre des indépendances dans le domaine judiciaire cette fois. Il faut qu'il y ait aussi une africanisation des troupes et des interventions militaires. Et pout Hissène Habré, c'est une victoire pour toutes les victimes. Il n'y a pas de paix sans justice et la justice ce n'est pas la vengeance. C'est donc un espoir pour l'Afrique ✱
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Cette interview a été publiée dans le magazine L'Observateur du Maroc & d'Afrique, version papier, le 3 juin 2016.


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