Pour la république, ce fut une première. Le 28 juin dernier, François Fillon, le Premier ministre français, inaugurait une mosquée à Argenteuil, en banlieue parisienne. Cette visite n'est pas passée inaperçue en France. D'une part, parce que les nouveaux lieux de culte musulman sont assez rares – il y en a 2000 sur tout le territoire pour 850.000 fidèles qui se rendent à la prière du Vendredi. D'autre part, parce que les représentants de la république laïque (où le ministre de l'Intérieur est aussi le ministre des Cultes) non seulement ne se mêlent pas d'inaugurer un nouveau lieu de culte, même chrétien, la religion majoritaire, mais n'ont jamais jusqu'alors pris le risque de prendre à rebrousse-poil leurs ouailles catholiques (et majoritairement de droite) en inaugurant un bâtiment cultuel d'une religion minoritaire. Mais pour François Fillon, il y avait urgence à faire un geste d'apaisement envers les musulmans de France. Pour trois raisons. La première : désamorcer le mécontentement de nombreux musulmans alors que s'ouvre le 6 juillet, à l'Assemblée nationale, le débat sur l'interdiction du port du niqab. Cette loi a toutes les chances d'être votée par une majorité de députés. Or la majorité des musulmans de France, intégrée dans la société française dont ils ont appris les codes, craint que ce débat ne favorise de nouveau les amalgames entre islam et islamisme. François Fillon a voulu convaincre du contraire en venant dans une mosquée ouverte sur la société. Deuxième raison : apaiser un climat qui s'est tendu ces derniers mois entre les communautés. Le débat sur l'identité nationale a conduit à des dérapages verbaux ; des cimetières musulmans ont été profanés, une mosquée mitraillée. La présence de François Fillon à Argenteuil visait donc à montrer que l'islamophobie ne faisait pas partie du registre gouvernemental. Troisième raison : l'inquiétude devant l'implantation d'un islam militant, voire radical (certes très minoritaire) dans les banlieues françaises. Deux grands courants sont à l'origine de la réislamisation des jeunes : le Tabligh et les salafistes. Arrivé en France dans les années 60, venu de l'Inde, le Tabligh s'est fait connaître grâce à la prédication de masse. En 1986, il se scindait en deux mouvements. Depuis, l'ancienne organisation «Foi et Pratique» a perdu de son audience au profit du «Tabligh pour la prédication de Dieu» qui regrouperait moins de 100.000 adhérents. Ils sont surtout présents dans le Nord et le Nord-est de la France et géreraient une cinquantaine de mosquées. Les salafistes sont plus une mouvance qu'un vrai mouvement. Une extrême minorité se veut djihadiste, ne répugne pas à la violence et affiche ses codes vestimentaires comme autant d'étendards. La plupart sont des salafistes quiétistes : certains refusent la violence mais rejettent tout autant la société occidentale impie ; les plus nombreux, sous l'influence des Frères musulmans, revendiquent un islam plus traditionnel mais tout aussi militant. Soucieux de s'intégrer dans la société, ils revendiquent une visibilité sociale qui bouscule la laïcité ambiante. La mouvance salafiste compte 12.000 adeptes. Ils n'étaient que 5000 en 2005. Un accroissement qui constitue une source d'inquiétude pour les autorités françaises comme pour les responsables des musulmans de France. Surtout quand le chômage croit et le fossé se creuse entre ceux qui s'en sortent et les laissés-pour-compte.