«Quand une femme met au monde un garçon, elle crée un homme, quand elle donne naissance à une fille, elle crée un monde ». Le tempo de la 5e édition du Women's Tribune est donné. La conférence, orchestrée par Fathia Bennis, sera bel et bien militante et féminine. Tenue à Essaouira les 02 et 03 mai dernier, le Women's Tribune a permis, cette année encore, d'aborder un enjeu de taille : la place de la femme dans la construction et la consolidation des systèmes politiques, économiques et sociaux en méditerranée. L'édition de cette année a choisi de s'inscrire dans l'actualité marocaine en abordant la problématique de la régionalisation au féminin. Avec les élections régionales de 2015 et les dispositions de la Constitution de 2011 en faveur de la parité, quid de la participation des femmes à la chose publique ? Nombreux sont les intervenants prestigieux qui se sont bousculés au portillon afin de donner leur avis sur la question. Quelle serait alors la recette magique pour une régionalisation à la fois réussie et féminine au Maroc ? Retour d'expériences La présence d'invités du pourtour méditerranéen a permis de nourrir les débats et d'échanger sur les expériences plus ou moins réussies en matière de régionalisation, mais aussi de parité. Pour Bariza Khiari, vice-présidente du Sénat français, être respectée en tant que femmes est un processus long. « Cela m'a pris entre quinze et vingt ans », assure-telle. « Le matchisme est encore prégnant au sein des partis politiques, et ce sont les mêmes qui votent les lois au Parlement », déplore pour sa part Emma Bonino, ancienne ministre italienne. Le constat est unanime : les femmes demeurent encore trop en retrait dans l'espace public. La régionalisation doit permettre à ces dernières de combler ce manque et de conquérir le pouvoir de manière durable. Mais qu'est-ce qui bloque aujourd'hui ? Miriem Bensalah Chaqroun, présidente de la CGEM, pointe du doigt une société marocaine patriarcale marquée par un certain archaïsme. « Si la CGEM applique la parité dans sa gouvernance quotidienne, il faut continuer de piétiner les stéréotypes avec nos talons aiguilles », avance la patronne des patrons, qui a elle aussi été victime de discrimination. Mais il existe des success story, notamment grâce au rôle des sociétés civiles. En Tunisie, « les femmes ont montré qu'elles avaient la capacité d'agir et leur présence a explosé dans le milieu associatif », déclare Faïza Kéfi, ancienne présidente de la Cour des Comptes tunisienne. Sommes toutes, là où le bât blesse, et plus particulièrement dans le cas de figure du Maroc, c'est en politique. Engagement politique Réunis en ateliers, les participants ont établi une liste de recommandations pour une régionalisation au féminin réussie: liste alternée un homme/une femme, quotas avec obligation de résultats, tutorat pour les femmes, inscription dans les partis politiques et mobilisation de la société civile pour renforcer la capacité de participation des femmes. Pas de formule miracle certes, mais au moins quelques ingrédients incitatifs. Les membres du Women's Tribune ont également réalisé un questionnaire destiné aux partis politiques afin de traquer la participation des femmes. La conclusion est sans équivoque : les partis politiques ne s'intéressent pas –ou très peu- aux femmes. Celles-ci se heurtent à des obstacles considérables lorsqu'elles souhaitent accéder aux instances de décision. Le son de cloche n'est pas le même chez les partis venus présenter leurs initiatives en faveur de la parité. Pour le représentant de l'Istiqlal, la présence des femmes au sein du parti a toujours été très forte. Ce dernier s'engage même à ce qu'il y ait six femmes présidentes de listes et à dépasser le quota des 30% aux élections régionales. De son côté, le PPS se targue d'avoir permis l'élection de la première femme maire aux élections de 2003. Quant au représentant du PSU, s'il reconnaît que les partis politiques sont demandeurs de femmes, il regrette que l'école, instance première de socialisation, n'en fasse pas davantage pour la parité. Plus sceptique quant à l'engagement des partis politiques, Ali Bouabid, chercheur et membre de la Fondation Bouabid, déplore leur incapacité à incarner le changement. Mais le mot de la fin revient à Bertrand Delanoë, qui, ovationné par son audience, a qualifié la parité de « combat idéologique » sur lequel il faut être intransigeant, car l'inégalité homme-femme est, en soit, une barbarie ❚ «Les partis politiques ne font aucun effort pour recruter les femmes». C'est le constat que dresse la première –et seulefemme à avoir dirigé la bourse de Casablanca. « Les chefs de partis doivent eux-mêmes s'engager, sortir et convaincre les femmes », martèle-t-elle. « Il faut se mouiller ». La présidente de Maroclear souhaite davantage de démocratie dans les partis et d'ouverture sur la société civile. « Les partis politiques sont complètement décrédibilisés », déplore l'intéressée. « Les gens non plus, n'ont pas envie d'y aller ». En bref, les partis doivent se restructurer. Approfondir la question des rôles et des responsabilités de chacun est un principe de base. Il ne faut pas surajouter le poids de la bureaucratie régionale à celui de la bureaucratie nationale, notamment pour les dispositions concernant la vie de l'entreprise. « Les femmes doivent être volontaristes ». Au niveau des régions, les femmes entrepreneurs ont un rôle à jouer afin de permettre l'émergence d'une élite régionale qui fait aujourd'hui cruellement défaut. « L'entrepreneuriat doit être asexué ». « Il faut une protection juridique des femmes au niveau des modes de scrutin ». Il est nécessaire de changer les modes de scrutin pour qu'ils intègrent la dimension de la régionalisation. Il faudrait qu'ils soient alternés pour permettre des listes alternées un homme/une femme dans les grandes municipalités, un homme/deux femmes dans les moyennes municipalités, un quota de 30% dans les communes rurales. Il faut réfléchir à l'intégration concrète des femmes selon un mécanisme intelligent. « Il faut mettre en place un arsenal juridique pour aller vers l'égalité ». La Constitution de 2011 à elle seule ne suffit pas. Il est temps d'adopter les lois, celle relative à la création de l'L'Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination (APALD) notamment. La volonté politique des femmes marocaines pour l'égalité doit être relayée par des mesures coercitives afin de transformer la parité en droit. « La société marocaine est prête ».