C'est un euphémisme de dire que Women's Tribune a débordé d'imagination lors de sa 5ème édition par rapport au choix de la thématique : la régionalisation au féminin. L'association, qui épaule les femmes dans leur quête d'égalité des chances, s'est donnée, lors de sa dernière manifestation, l'ambition et les moyens de permettre à celles-ci d'investir les lieux de pouvoir jusque-là dominés par les hommes. L'égalité entre l'homme et la femme a été consacrée par la Constitution de juillet 2011 au Maroc dans son article 19. Il va sans dire que sa mise en oeuvre devrait s'imposer à tout le monde vu que la norme supérieure l'exige. Or à présent, en termes de droit, à en croire Fathia Bennis, Présidente du Women's Tribune, «les femmes continuent d'être au Maroc les laissées-pour-compte surtout en ce qui concerne l'accès à des postes de responsabilité publique» (voir entretien). Au niveau du Parlement, elles ne représentent que 10% et 12% à l'échelle régionale, voire locale. C'est dans ce contexte que la 5ème édition du Women's Tribune qui s'est récemment déroulée à Essaouira, a été dédiée à la thématique de la régionalisation au féminin. L'objectif étant de constituer une plateforme de haute volée avec la présence d'éminentes personnalités venues d'horizons divers pour faire des propositions concrètes qui permettront aux femmes marocaines d'investir les lieux de pouvoir surtout à l'échelle locale. Ce qui est d'autant plus nécessaire si l'on sait que des élections locales sont prévues pour l'année prochaine au Maroc dans un contexte de régionalisation avancée qui se dessine. A cela s'ajoute que l'échelon régional est propice à l'apprentissage de l'exercice du pouvoir. La régionalisation avancée, pour forcer la parité ? La plupart des personnalités qui se sont succédé à la tribune pour ne citer que Bertrand Delanoë, ancien maire de Paris, Emma Bonino, ancienne ministre italienne et Omar Azziman, conseiller de SM le Roi, ont rappelé qu'au regard des mutations profondes que connaissent les Etats, la régionalisation qui est un mode de gouvernance autonome plus proche des populations peut constituer une panacée face aux crises que traversent les nations. Toutefois, celle-ci doit être contrôlée et maîtrisée car elle est aussi porteuse de risques de dérives sous l'angle budgétaire, au niveau de l'équilibre entre les régions, etc. Les avantages inhérents à la régionalisation avancée ont conduit le Maroc à se tourner vers ce mode de gouvernance même si certains regrettent le retard accusé par le projet. Cela dit, Fathia Bennis estime que les femmes doivent d'ores et déjà se positionner dans le débat public pour faire entendre leurs propositions dans le schéma de cette future gouvernance locale et par rapport aux échéances électorales régionales de l'année prochaine. Pour rappel, il n'existe au Maroc qu'une seule maire, celle de la ville de Marrakech, Fatima Zahra Mansouri. Ce qui peut conforter l'idée selon laquelle les femmes restent majoritairement en dehors des cercles de décision et de pouvoir. D'après Jamal Makhtatar, gouverneur de la région ville d'Essaouira, cette sous-représentation des femmes dans la sphère politique est en partie due au fait que la parité consacrée dans la loi sur les partis politiques (seuil de 30% de femmes dans les listes électorales) n'est ni opposable, ni obligatoire pour les formations politiques. «La femme sera l'égale de l'homme dans notre pays le jour où des femmes incompétentes seront nommées à des postes importants comme c'est le cas pour les hommes», clame Miriem Bensalah Chaqroun, présidente de la CGEM. Elle estime par ailleurs que l'émancipation de la femme dans l'arène politique reste en partie hypothéquée par la société marocaine plutôt patriarcale avec une cellule familiale qui confine la femme dans la sphère privée. L'accès des femmes au pouvoir, un combat universel Driss Yazami, président de la Commission nationale des droits de l'Homme a rappelé lors de son intervention que d'après le PNUD, une des causes du retard du développement économique au Maghreb était l'inégalité politique, économique et sociale entre l'homme et la femme. Pour autant, cette problématique se pose aussi avec beaucoup d'acuité dans l'Hexagone à en croire Bertrand Delanoë, l'initiateur de la loi sur la parité en France avec Lionel Jospin en 1995. Il en est de même en Italie, pays dans lequel, d'après Emma Bonino, les femmes sont majoritairement reléguées par la politique politicienne dans des postes de secrétaire ou d'assistante. L'ancien maire de la ville-lumière reste formel : «le Maroc devra passer s'il le faut par rendre les quotas obligatoires au niveau des formations politiques afin de favoriser l'émergence de femmes compétentes en politique». Pour leur part, les membres du Women's Tribune ont fait le serment de soumettre aux autorités publiques toutes les recommandations issues de la 5ème édition, afin de promouvoir la femme marocaine à l'échelle régionale. Cette initiative est d'autant plus crédible que les partis politiques ont pris part aux travaux. «Le féminisme du Women's Tribune se veut tout d'abord humaniste», clame sa présidente, qui estime que le combat de l'égalité entre l'homme et la femme est avant tout une question de dignité humaine. Ce qui interpelle davantage surtout si l'on sait que le taux d'activité des femmes au Maroc est en baisse, accentuant ainsi leur vulnérabilité économique. A vrai dire, les élections régionales de l'année prochaine seront un baromètre de taille pour mesurer l'effort que le pays est prêt à consentir pour promouvoir les talents féminins dans le champ politique.