« Justice est rarement rendue dans les affaires de violence contre les femmes et les filles, à cause de la requalification des faits, l'invocation des conditions atténuantes ou encore l'abandon des charges par les plaignantes sous la pression », a déclaré Amina Bouayach, présidente du Conseil nationale des droits de l'Homme, mardi à Rabat, lors d'une rencontre interactive tenue sous le thème « la violence sexuelle à l'encontre des enfants ». Prise de position Une entrée en matière profondément significative de la part de Bouayach qui n'a pas caché sa colère et son inquiétude par rapport à la « sentence de la honte » ayant secouée l'opinion publique ces derniers jours. Deux ans de prison seulement pour un viol collectif à répétition contre une fillette de 11 ans, le verdict « trop clément » a provoqué émoi et stupéfaction avant de déclencher un large mouvement de solidarité avec la fillette et de condamnation d'une justice jugée incapable de protéger les enfants et les femmes. La présidente du CNDH a d'ailleurs versé dans le même sens en reconnaissant « l'incohérence» de la justice dans les affaires de violences faites aux femmes et aux filles. « Cette fille a été la double victime de ses violeurs et du jugement qui n'a pas su protéger son intégrité physique, psychique et sociale », regrette Bouayach. Des propos qui émanent de l'examen par le CNDH de 180 verdicts prononcés dans des affaires de violence contre les femmes et les enfants. Une étude faite dans le cadre de l'élaboration du rapport sur la dénonciation de la violence pour lutter contre l'impunité. Durcissez les peines ! Appelant au durcissement des peines, abstraction faite des circonstances, le CNDH recommande la requalification juridique du viol en tenant compte des normes internationales. « Il faut classer le viol dans la catégorie des violences sexuelles en le considérant comme un crime portant atteinte à l'intégrité physique de la victime », réclame Bouayach lors de cette rencontre. Un crime passible de peines plus lourdes susceptibles de rendre justice aux victimes et de lutter contre la « banalisation » de la violence et des agressions sexuelles contre les enfants et les femmes. En termes pratiques, la présidente du CNDH a appelé le gouvernement à l'amendement en urgence des lois existantes « de telle manière à renforcer le droit des enfants à une meilleure protection contre toutes les formes de violence conformément aux exigences de l'article 19 de la Convention relative aux droits de l'enfant, et spécialement contre les violences sexuelles », soutient la responsable. Plaçant de grands espoirs en la réactivité du législateur, Bouayach l'appelle à plus de fermeté dans la prise de décisions concernant des problématiques sociales pressantes. Unanimité Les mêmes réclamations ont été formulées par les activistes féministes et ceux de la protection de l'enfance au lendemain de la prononciation de ce jugement controversé. Pour Samira Muheya, présidente de la fédération des ligues des droits des femmes (FDLF), l'Etat doit assumer son entière responsabilité dans la protection des enfants et des femmes. « En appliquant à la lettre les dispositions de la loi 103-13 et en améliorant son contenu de telle manière à l'adapter avec la réalité marocaine et avec les normes internationales de lutte contre la violence », note l'activiste féministe. La FDLF va plus loin en réclamant la refonte catégorique du Code pénal en harmonisant ses lois avec la Constitution 2011 et avec les conventions internationales des droits humains. En attendant cette réforme, la fédération réclame au moins l'application du code pénal. « Ce dernier est clair et précis : Les peines peuvent aller de 10 à 20 ans de prison ferme lorsqu'il s'agit d'un viol sur mineur. Dans le cas de viol avec défloration comme c'était le cas pour cette fillette, la peine peut atteindre jusqu'à 30 ans », note la fédération Même constat du côté de l'ATEC (Association Tahadi pour l'égalité et la citoyenneté) qui réclame l'application des articles 488-286 du code pénal en attendant de durcir les peines. « Ceci dit une réforme des lois s'impose avec un durcissement des peines dans les crimes et les abus sexuels visant les femmes et les enfants en particulier», renchérit Bouchra Abdou, directrice de l'ATEC. Se joignant au mouvement de condamnation de la « clémence » de la justice marocaine envers les violeurs, le mouvement 7achak a également exigé « la réforme complète du code pénal ». Contrôle et sensibilisation Au-delà des lois et de la réforme du code pénal, des voix se sont élevées pour exiger le contrôle des verdicts et du travail des juges dans ce genre d'affaires. Parmi les principales doléances des signataires de la pétition « Arrêtons les crimes contre les femmes et les enfants », on retrouve la création d'un observatoire de contrôle. « Nous exigeons que soit mis en place un observatoire ou un mécanisme indépendant et actif qui aura pour mandat de signaler tous les manquements de la justice dans les verdicts concernant les violences faites aux femmes et aux enfants », réclament les pétitionnaires. Entre application des textes existants, réforme du code pénal et contrôle des verdicts, l'adéquation des châtiments avec la gravité des violences contre les femmes et les enfants « est plutôt une question de mentalité et de sensibilisation des juges, des acteurs politiques, des décideurs, du législateur, des citoyens et même des victimes qui sont souvent forcées à abandonner les plaintes ou ne dénoncent même pas les crimes par peur et par honte », résume Abdou.