En quelques heures seulement, la vidéo est devenue virale. Une fille se promène tranquillement dans le quartier de Boukhalef à Tanger, quand soudain un jeune homme s'approche d'elle et soulève sa robe. Il lui frappe le derrière en plein public sous les encouragements de son complice. Hilare, ce dernier a entièrement filmé la scène sans se soucier du choc ou de l ́embarras de la victime. Age de l ́agresseur : 15 ans ! Plusieurs facettes « Malgré son jeune âge, le responsable des faits ressemble en tous points au professeur universitaire qui a abusé de son pouvoir pour exploiter sexuellement ses étudiantes. Ce sont les deux facettes d'un même phénomène toujours aussi présent et persistant», s'insurge une activiste féministe en colère. Pointant du doigt une violence socialement tolérée, Bouchra Abdou, Directrice de l'association Tahadi pour l'égalité et la citoyenneté en appelle à l'intervention des autorités afin de mettre fin à ce genre d'agissements. « C'est l'expression d'une volonté d'exclusion totale des femmes de l'espace public. Agression, harcèlement, atteinte à l'intégrité physique et morale ... tous les moyens sont bons pour les chasser d'un espace toujours considéré comme la chasse gardée des hommes » regrette l'actrice associative. Selon elle, la jeune victime n'a fait de mal à personne. « Elle s'est juste habillée selon ses goûts, mais c'était sans compter les ennemis de la liberté et de l'égalité. Cette personne est la victime du jugement de toute une catégorie sociale estimant que la femme n'a aucun droit ; mais elle est aussi la victime de la banalisation du harcèlement et de la violence », dénonce Abdou. Dysfonctionnement éducatif De son côté, Zouhair Cherradi, influenceur facebook aux milliers de followers, diagnostique un profond problème d'éducation. « L'agresseur est à peine âgé de 15 ans. Un mineur qui, par ses agissements sociopathes, dévoile un grave dysfonctionnement éducatif d'ailleurs détectable chez toute une génération victime de déperdition scolaire, de négligence familiale et de misère sociale. Des conditions propices à la production d'individus marginaux incapables de se respecter, de respecter l'autre et sa différence », analyse-t-il. Se méfiant en revanche de ceux qui incriminent la victime à cause de sa tenue, l'influenceur voit un véritable danger dans ces mentalités. « J'appelle à la rééducation de ces gens. Ils sont responsables de leurs propos misogynes et doivent être pénalisés pour donner l'exemple », suggère-t-il. Rappelons que parallèlement au mouvement de solidarité avec la jeune fille de Tanger, des voix se sont élevées sur les réseaux sociaux pour l'incriminer. Jugeant sa robe trop suggestive, ses détracteurs ont estimé que l'agresseur était dans son droit en l'attaquant de la sorte. L ́histoire n ́est pas sans rappeler celle des « Filles d'Inezgane »en 2015. Sanaa et Siham avaient été arrêtées après s'être faites harceler dans le souk par une foule estimant leurs tenues inappropriées. « Les victimes ressentent de la honte et surtout de la culpabilité. Elles se disent qu'elles ont peut être joué un rôle dans ce qui leur est arrivé, qu'elles étaient trop permissives. Sinon pourquoi leur harceleur se serait-il permis de tels gestes? C'est en effet un conditionnement social qui inhibe toute envie de riposte et de réaction», explique pour sa part Soukaina Zerradi, psychologue opérant auprès de l'association Tahadi. Intimement lié aux mentalités, le harcèlement sexuel s'immisce sournoisement dans le cadre professionnel, le milieu familial, à l'école, en milieu universitaire et dans l'espace public. Défini comme une manifestation grave de discrimination sexuelle, il est considéré comme une violation des droits humains. Le harcèlement sexuel englobe ainsi tout comportement non désiré à connotation sexuelle s'exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, ou tout autre comportement fondé sur le sexe portant atteinte à la dignité de femmes et/ou d'hommes. Loi 103-13 Au Maroc, l'introduction de la notion d'harcèlement sexuel dans le dispositif légal est assez récente (Loi N° 24.03). Les articles 503, 504, 40 et 26 du code pénal définissent et sanctionnent ce comportement. L'article 503-1 ajouté par la loi 24.03 au code pénal stipule : « Qu'est coupable d'harcèlement sexuel et puni de l'emprisonnement d'un an à deux ans et d'une amende de cinq mille à cinquante mille dirhams, quiconque, en abusant de l'autorité que lui confère ses fonctions, harcèle autrui en usant d'ordres, de menaces, de contraintes ou de tout autre moyen, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle ». Un texte qui s'applique parfaitement au cas du professeur universitaire de Settat. Des conversations divulguées entre ce dernier et ses étudiantes, dévoilent un harcèlement sexuel confirmé et un abus de pouvoir certain selon les premiers éléments de l'enquête. S'attaquant au phénomène, la nouvelle loi 103-13 est venue renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes avec des dispositions applicables aux différentes formes d'abus. Considéré comme insuffisant, le texte ne fait pas l'unanimité chez les activistes féministes. Entrée en vigueur il y a trois ans, la loi reste encore méconnue de la majeure partie des Marocaines en raison d ́un manque de sensibilisation. L'agresseur de la fille de Tanger et son complice déjà identifiés et arrêtés par les éléments de la DGSN, risquent d'être poursuivis selon les termes de ladite loi. Protégeant les femmes dans l'espace public contre tout acte de violence, propos à caractère sexuel tenus ou envoyés par SMS, messages vocaux ou photos, la législation prévoit une peine de prison allant jusqu'à 6 mois et une amende comprise entre 6.000 et 10.000 Dhs. « Mais il faudrait avant l'activer et la mettre à profit en engageant des poursuites judiciaires après chaque agression. C'est la seule manière de changer les mentalités », conclut Bouchra Abdou.