L'enjeu de la bataille politique qui se déroule en Iran n'est pas tant la survie de la révolution islamique que les nouveaux habits qu'elle doit endosser pour se perpétuer. Doit-elle s'ouvrir et se normaliser pour se maintenir au pouvoir comme le souhaite Mir-Hossein Moussavi, le candidat malheureux à l'élection présidentielle du 12 juin ? Doit-elle camper sur ses positions radicales comme l'estiment le Guide de la révolution, l'ayatollah Ali Khamenei et son poulain Mahmoud Ahmandinejad ? Une seule certitude : avec ce printemps de Téhéran - qui peut se terminer dans le sang comme le printemps de Pékin en son temps, rien ne sera plus comme avant au pays des mollahs. De prime abord, il s'agit de l'immense ras-le-bol d'une partie des Iraniens, déçus et en colère de s'être fait voler leur victoire. Les 63% des voix de Mahmoud Ahmadinejad, le très radical président sortant, ont été ressentis comme un «coup d'état» de l'aile dure du régime pour garder en main tous les leviers du pouvoir. En se mobilisant en masse pour soutenir Mir-Hussein Moussavi, ils avaient cru que le régime pourrait évoluer en douceur. Sa campagne électorale si festive a été un grand moment de liberté. Ses meetings aux côtés de sa femme, tchador noir largement ouvert sur une veste rose vif, du jamais vu en Iran, a soulevé l'enthousiasme et l'espoir des jeunes et bien au-delà. Moussavi était leur sauveur. Certes, il était du sérail, issu de la gauche islamique révolutionnaire des années 80, ancien Premier ministre de l'ayatollah Khomeiny, mais il a changé. Nombre d'Iraniens rêvaient qu'il desserrerait le carcan social et culturel dans lequel les enferme la révolution islamique depuis trente ans et qu'il réconcilierait le pays avec le reste du monde, sortant l'Iran de son isolement. Descendus dans la rue par centaines de milliers, dans nombre de villes aux quatre coins du pays, ils disent ne pas vouloir céder. Les plus âgés se croient revenus trente ans en arrière. Lors des grandes manifestations contre le Chah menées par les mollahs autour de Khomeiny. Ils avaient alors, jour après jour, fait céder le pouvoir. La comparaison s'arrête là. Le Chah n'avait plus de soutien intérieur ni étranger. Mahmoud Ahmadinejad a derrière lui les petites gens (qu'il a beaucoup aidé pendant ses quatre ans de présidence) ; les pasdaran, l'armée islamique dont il est issue et les millions de bassidji, les milices populaires. Derrière le rideau, l'enjeu de ce bras de fer est une féroce lutte de pouvoir entre les clans conservateurs. Ali Khamenei, le tout puissant Guide de la révolution, est certes l'arbitre entre les clans au pouvoir mais soutenant les plus radicaux, il veut profiter de cette élection pour affaiblir son rival de toujours, l'ayatollah Ali Akbar Rafsandjani. Ancien président de la république, président de l'Assemblée des Experts, le numéro 2 du régime est le chef de file du clan conservateur modéré et affairiste. C'est un homme d'affaire richissime. Depuis l'élection d'Ahmadinejad en 2005, Rafsandjani et ses amis ont été écartés des retombées financières du pouvoir. Derrière ses clans conservateurs qui se déchirent, c'est la survie du régime qui se joue. Pour Khamenei, si le pouvoir lâche du lest, perd de son radicalisme, il se fissurera et s'effondrera. Ahmadinejad et son discours radical, en mobilisant les peuple, doit lui permettre de se maintenir. En face, Rafsandjani rêve d'un modèle à la saoudienne, libéral en économie mais religieusement correct. Il a fait de Moussavi son poulain, l'a financé, sans en partager toutes ses convictions. Reste à savoir si les luttes de clans résisteront à la mobilisation populaire.