Pas ou très peu de commandes, lignes de production à l'arrêt, unités en chômage technique, départ de grandes enseignes et de donneurs d'ordres... Ce sont là les termes qui reviennent le plus souvent à travers les nombreux témoignages recueillis auprès de certains opérateurs dans le secteur textile et habillement. Pour découvrir les épisodes de cette série noire, une simple tournée dans les principales zones industrielles permet de constater réellement le ralentissement de l'activité. Cédons l'écoute aux opérateurs du secteur. «A l'instant où je vous parle, je n'ai encore aucune commande, contrairement à l'année dernière à la même période. Aujourd'hui, j'en ai pour quatre ou cinq jours de travail tout au plus» déclare le directeur général d'une grande unité de confection à Aïn Sebaâ, avant d'ajouter que ses clients européens liquident leurs stocks. «Ils finiront par les remplacer, mais nous vivrons plus que jamais dans le court terme et l'année 2009 est la grande inconnue», déplore-t-il. Badr Kannouni, patron de Settavex, ne mâche pas ses mots. «Nous vivons une des périodes les plus difficiles de notre histoire», synthétise-t-il. L'homme souligne que le départ des grands donneurs d'ordres est une réalité. Le mot est lâché. Ce départ a gravement impacté le secteur. D'après B. Kannouni, la baisse de la production, provoquée par le recul des commandes en provenance de l'Espagne, est estimée à 30%. Pis encore, près d'une dizaine d'usines a déjà mis la clef sous le paillasson. Quant à Adil Raiss, président de l'Association de la zone industrielle de Tanger (Azit), il reconnaît les fermetures d'usines dans la Zone industrielle. Tanger fait partie des premières régions touchées par la crise économique. Sans hésiter, le président de l'AZIT déclare amèrement que la majorité des unités industrielles affectées est implantée dans la zone industrielle. Pour A. Raiss, si des fermetures d'usine et d'importantes suppressions d'emplois ont été annoncées en Occident, au Maroc, plus précisément dans la zonz industrielle de Tanger, cette conjoncture se traduit par une baisse de la production de 20 à 40%. Pour confirmer ces dires, Sanaa Doukkali, account manager dans une importante entreprise qui produit pour de grandes marques vestimentaires, témoigne que les commandes en provenance de l'ensemble de l'Europe ont enregistré une baisse de près de 30%. Trois donneurs d'ordres ont déclaré faillite et le reste de leurs clients survit difficilement en liquidant ses stocks, souligne-t-elle. La récession qui sévit dans les principaux pays fait que beaucoup de clients, européens entre autres, eux-mêmes en difficulté, demandent des délais de paiement de plus en plus longs. La série noire continue à se confirmer. «En temps normal, je fabriquais 30.000 pièces par semaine pour une grande marque anglaise alors que j'en suis aujourd'hui à 10.000 seulement», révèle le patron d'une entreprise de confection à façon. Une telle situation, difficile, est corroborée par les déclarations des responsables de grandes enseignes comme Mango et Zara qui sont censées tirer le marché vers le haut. D'après Ryma Bensaila, responsable marketing de Mango, la situation n'est certes pas aussi catastrophique qu'on le prétend, mais l'épingle du jeu est difficilement tirée en temps de crise. Selon elle, la crise exige une attitude commerciale qui s'inscrit dans une gestion tactique. Ceci dit, rien n'est maîtrisable pour établir des plans stratégiques à long terme. Le marché est devenu incertain. L'incertain provoque cette situation difficile et par conséquent, une vive inquiétude plane au sein même de l'élite des opérateurs qui affichaient un certain optimisme il y a quelques mois. Ce n'est pas tout ! L'onde de choc a atteint également l'amont, c'est-à-dire le tissage et la filature. Pour Abdelhamid Bennani, agent commercial pour le compte de tisseurs et filateurs étrangers, et qui n'arrive plus à placer de commandes auprès de ses clients confectionneurs, c'est tout simplement «la grande catastrophe», pour ne pas dire la fin. Les fils et tissus qu'il importe d'Europe ne trouvent plus preneur. Il estime que toutes les branches sont touchées, mais que la confection l'est davantage. Au niveau macro économique, les chiffres du commerce extérieur montrent qu'à fin 2008, les exportations de vêtements confectionnés ont baissé de 6,6%. Cela représente un manque à gagner de plus de 1 milliard de DH pour les opérateurs du secteur. Selon l'Office des changes, en février, les exportations de vêtements ont chuté de 7%. Mohamed Tazi, président de l'Association marocaine des industriels du textile et de l'habillement (Amith) de Casablanca, explique que les commandes sont en recul, et 2009 reste une année d'incertitudes. Le président de l'Amith souligne que notre économie est foncièrement connectée aux marchés. En effet, les exportations, tributaires de l'Union européenne (UE) à 60 %, devraient connaître un coup de frein, creusant le déficit de la balance commerciale. L'ouvrier : acteur misérable En attendant, les différents opérateurs du secteur ont adopté des plans de résistance basés sur une diminution des charges et une optimisation du fonctionnement. La rubrique la plus exposée à la révision demeure celle des charges du personnel. Première mesure d'urgence : revoir les horaires de travail des ouvriers pour ne pas continuer à leur payer des heures à ne rien faire. Les dirigeants pensent adopter un horaire continu pour faire travailler les ouvriers six heures par jour seulement. Mais quand l'étau se resserre de plus en plus, les patrons passent à la vitesse supérieure. La crise oblige à licencier. Adoptant un langage de restriction pour limiter les dégâts consécutifs au recul des commandes, les patrons ont procédé à la réduction de leur personnel. Si Jamal Rhmani, ministre de l'Emploi, a démenti l'annonce de 50.000 emplois perdus dans le secteur, les opérateurs confirment que la crise se traduit aujourd'hui par un mouvement de licenciements catastrophique au niveau de plusieurs unités de production. Il ressort d'un calcul fait sur la base des 230.000 salariés (abstraction faite des 150.000 autres emplois souterrains du secteur, voire plus), qu'au cours de l'année 2008, la branche de l'habillement a connu une véritable hémorragie au rythme des réductions ininterrompues des effectifs, pour en arriver à environ 50.000 emplois supprimés, passant ainsi, selon les déclarations à la CNSS, de 134.180 à 86.419 entre janvier et décembre 2008. Si l'on multiplie par cinq le nombre de licenciements dans le textile, selon la moyenne officielle de personnes par famille, cela fait 250.000 bouches qui se retrouvent sans moyens de subsistance. En dépit de ce calcul, B. Kannouni annonce déjà le chiffre de 20.000 emplois perdus dans le secteur. Sofiane J. est l'un d'entre eux. Ouvrier dans une entreprise de textile à Témara, il a été contraint de partir en janvier dernier et à chercher un autre boulot : «La société n'a plus de commandes. On nous a demandé de rester chez nous jusqu'à ce que le marché se débloque», dit-il. En vérité, tous les indicateurs sont là pour attester que la mauvaise passe se confirme d'un mois à l'autre. Face à cette réalité chiffrée, faut-il encore croire que le Maroc est à l'abri de la crise ? Prenons l'exemple de la zone industrielle de Salé. Pourquoi la crise l'a-t-elle fortement secouée ? «Près de 80% de nos exportations de produits d'habillement et du textile sont destinées au marché anglais», explique Tarik Aguizoul, président de l'Amith au niveau de la région de Rabat. «Elles sont plus d'une dizaine à avoir misé sur les donneurs d'ordres britanniques qui, sous l'effet de la crise, ont réduit leurs commandes auprès des sous-traitants marocains», explique-t-il. Quant à Adil Raiss, il précise que la crise a affecté les marchés espagnols et français qui absorbent près de 70% des exportations marocaines. L'homme s'insurge : «Plus ouvert sur la concurrence internationale, le secteur textile et habillement a toujours été un secteur à risques». Bien plus, «avec la crise, il y aura un repli sur les zones de proximité», pronostique-t-il.