Plutôt surprenante, la réaction de nombre de personnalités politiques ou publiques depuis qu'a été lancée l'idée de «monarchie parlementaire». Surprenante surtout quand il s'agit de représentants de tendances réputées de gauche, globalement. D'une notabilité parlementaire qui affirme que ce n'est là qu'une «formule rhétorique», à un chef d'entreprise qui se glorifie d'un passé gauchiste criant au danger mortel pour la démocratie si les pouvoirs du Roi étaient rognés, toutes ces prises de position et d'autres aussi ne veulent signifier que du sommaire, du conventionnel et du conformiste. Mais il est dramatique que nos dirigeants politiques se calfeutrent dans un profond silence couard. Rien n'est à attendre de tous ces gens qui ne pensent même pas à prendre position sur toutes ces mesures qu'édicte, hors toute législation, un ministère de l'Intérieur pris d'une fièvre répressive et qui veut agir tous azimuts pour imposer dans la société un ordre strict et rigoureux - moral, religieux et rituel. C'est un discours pauvre et sans aspérité remarquable qui nous est servi à longueur de journées. Le temps passe, sans qu'un début de vigueur ne se fasse jour pour muscler et notre imaginaire collectif et notre réflexion nationale. On ne saurait prendre au sérieux les bavardages approximatifs autour des thèmes tels le nouveau concept de l'autorité ou la régénération du champ religieux ou je ne sais quoi d'autre, pour des éléments à même de fouetter le débat nécessaire et indispensable en cette fin de la première décennie du XXIe siècle. Ailleurs que dans la sphère de la classe politique, nous ne pouvons constater aucun effort visant à fonder un renouvel intellectuel dans le domaine particulier des sciences humaines et du droit. Depuis la création en 1957 de la première université marocaine, d'autres institutions du même genre ont été créées. La société civile, pour sa part, n'a pas permis l'éclosion de cénacles ou de clubs pouvant susciter la controverse intellectuelle ou la joute politique de haut niveau. Nous en sommes à attendre de voir, régulièrement, un étranger - européen ou autre - cadrer doctement un débat dont il indique les repères et dessine les balises. Cela n'est pas un bon signe pour la santé mentale de ce que beaucoup de journalistes marocains appellent «l'élite». Pourtant, il faut tempérer cet amer diagnostic, ne serait-ce que parce que des individualités, s'expriment et émettent des avis intéressants et originaux. Toutefois, je ne me rappelle pas avoir eu connaissance de quelque souvenir impérissable à propos notamment de tout ce qui tourne autour de la question constitutionnelle. Nous avions souligné la semaine dernière que notre appel à la promulgation d'un nouveau texte de la loi fondamentale ne saurait, en aucun cas, se limiter à opérer des rectifications dans l'ordre du technique ou de la reformulation de l'expression. On ne peut, honnêtement, se convaincre que la rectification, par exemple, permettant de revenir au système monocaméral, en supprimant la Chambre des conseillers, puisse être considérée comme une réforme importante de nos structures de constitution. Le texte nouveau, qui constituera la plate-forme codifiant notre vie institutionnelle, politique et légale, ne devra pas être un compendium résumant tous les corps des règles de la totalité des bases générales et fondamentales du fonctionnement de l'Etat. Il faut se défier du gigantisme un peu aberrant de la Constitution de l'Inde, par exemple, tout en essayant de ne pas tomber dans la maigreur squelettique de certains textes qui régissent de nombreux pays. La longueur, ainsi que l'économie de tous les textes des constitutions qu'a connus le Maroc au cours de la seconde moitié du XXe siècle, sont à l'évidence, acceptables et raisonnables - mis à part l'autoritarisme. A charge qu'on y mette, dans le contenu, ce qui pourrait satisfaire notre désir de démocratie véritable, terrain fertile pour les perspectives futures. La mise en forme juridique de n'importe quel texte, pourvu qu'en soit définis les contours philosophiques, n'a jamais posé de problèmes particuliers insolubles, pourvu, qu'à la base, il y ait un minimum de bonne foi et de volonté constructive. Bref, pour user d'une image un peu triviale, il faut nous souhaiter de posséder enfin, pour nous habiller, un bon costume, bien coupé dans un tissu de qualité et que retoucherait un excellent tailleur. Enfin, un costume que l'on aimerait porter, parce qu'on s'y sent parfaitement à l'aise et qu'on n'exclurait pas de réutiliser même à un âge plus avancé, en le retaillant pour le mettre à la mode et au goût du moment. La demande de l'encadrement constitutionnel du royaume n'a pas été de tout temps impérieuse. Elle a été occultée par la demande insistante de l'indépendance face aux convoitises impérialistes européennes puis à la double colonisation franco-espagnole, puis fortement inexprimée pendant la période de l'exil du sultan Mohammed V et de sa famille, période pendant laquelle la seule revendication exclusive admise était «le retour du Cinquième sur son trône». Cette demande des partis patriotiques, relais du peuple presqu'unanime, était si obsessionnelle que le président français Edgar Faure, recevant Abderrahim Bouabid et son camarade M'hamed Boucetta, peu de mois avant l'indépendance et s'enquerrant des projets d'avenir du Maroc, s'est vu répondre à plusieurs reprises imperturbablement la même phrase : «Le retour de Mohammed ben Youssef !». Fétichisme, commenta-t-il. C'est dire Mais, il y avait eu quand même ce parti-challenger de l'Istiqlal, dirigé par Mohamed Bel Hassan El Ouazzani, le leader chouri qui, entre deux slogans patriotiques, faisait passer un petit message sur l'avenir constitutionnel espéré pour le Maroc. Le vrai coup d'envoi pour mener le pays vers une démocratie constitutionnelle monarchique a été le discours lors du retour du souverain fin 1955 à Rabat. Depuis, on sait ce qui s'est passé en piétinements discrets jusqu'à l'octroi final de la Constitution fabriquée par Hassan II fin 1962. Jusqu'à ce jour, nous vivons sous la cinquième variante de cette constitution, qui a eu néanmoins le privilège d'avoir été acceptée finalement par les organisations politiques issus du mouvement national, qui avaient jusqu'alors prôné le boycott de tout référendum. Il n'était dès lors plus question de chambre constituante. Actuellement, nous voulons croire qu'il est l'heure de mettre notre pays sur le chemin de la monarchie parlementaire, système qui a fait parfaitement ses preuves dans de nombreuses démocraties - et que nous méritons sûrement.