On n'en finit pas d'attendre que le débat s'enclenche autour de la nécessaire grande réforme constitutionnelle. Nulle part, ni dans la sphère politique ni dans les milieux journalistiques ni même chez ceux dont le métier est de se préoccuper du droit constitutionnel, il n'y a l'apparence d'un vif intérêt pour ce qui apparaît comme devant être le chantier principal en ce début du vingt et unième siècle, au moment où se célèbre le dixième anniversaire du règne du roi Mohammed VI. Est-ce à croire qu'on se convainc qu'on n'a pas à changer un texte constitutionnel - doustour - qui fait gagner, et donc que la prudence et la sagesse incitent à le garder tel quel ? Le seul coup de canif, qui pourrait être appelé à être donné à la loi fondamentale, d'une manière urgente, serait la suppression de la Chambre des conseillers pour que soit ré-institué le système monocaméral, réformette cosmétique. Cette mesure plutôt dérisoire à nos yeux est souhaitée par nombre de gens dans notre pays, même par ceux des partis et organisations qui ont voté, et ils sont très nombreux, pour que ce système soit rétabli. Lors de la première brève expérience (1963-1965), le Maroc possédait deux chambres. Il ne s'agit pas ici de paraître défendre le maintien du système en l'état puisque le constat objectif est que la Chambre des conseillers est une simple et pure redondance de celle des représentants et que la construction d'un bel et impressionnant bâtiment pour cette institution, actuellement vilipendée, n'a rien changé à la situation. On ne saurait toutefois, d'un point de vue principiel, considérer que le système bicaméral est en lui-même mauvais ou portant les germes du mal-fonctionnement. Des pays exemplaires, tels la France, les Etats-Unis ou la Grande Bretagne (ainsi que d'autres, encore) empêchent de se laisser aller à de telles conclusions. Ce n'est pas l'armature duale du Parlement marocain qui est à incriminer, mais bien évidemment le mode de fonctionnement de celui-ci qui est à reconsidérer de fond en comble. Essayer de corriger ce grave défaut qui fait paraître l'instrument de la représentation nationale comme inutilement répétitive et onéreuse, à la limite de la gabegie, vient du fait que l'opinion publique nationale n'est pas convaincue que le fonctionnement de la démocratie - si tant est qu'elle existe - est au meilleur de sa forme. C'est donc à l'installation de murs, de traditions vraiment démocratiques dans la pratique quotidienne, que cette sorte de problèmes peut être résolue au fur et à mesure. Il est exclu, bien sûr, qu'une codification précise puisse être promulguée afin d'aider à l'éclosion et à la pérennisation de telles ou telles pratiques vertueuses. Le mouvement se prouvant en marchant C'est un détail, dont il faut pourtant tenir compte à l'avenir, sans trop se focaliser dessus. Mais l'essentiel pour le moment, nous semble-t-il, est d'engager aujourd'hui un véritable débat national, ample et fécond, pour permettre la refonte de la constitution marocaine selon les normes démocratiques modernes «universellement établies». Sans frilosité, sans pusillanimités, sans tabous, sans carcans rhétoriques désuets, sans dogmatismes En toute liberté responsable, courageuse et volontariste. Ce débat, que nous appelons de nos vux, devra aussi être très large et non exclusif, rompant avec les pratiques qui ont marqué la fin du siècle dernier. Nous y avions toujours vu une espèce de dialogue univoque et à sens unique, s'apparentant furieusement à une partie de squash, où c'est le mur qui dicte ses conditions et impose ses conclusions. Il faut souhaiter que «la nouvelle ère» rompe enfin définitivement avec les faux dialogues et les artificieux procédés. Peut-être sortira-t-il de cette discussion nationale une configuration à même d'aider à tracer les grandes lignes d'une constitution, nouvelle formule acceptable pour les plus larges couches des Marocains - à défaut d'être consensuelle ? La constitution écrite, on le sait, est un ensemble d'articles qui définissent la philosophie générale qui doit prévaloir dans la mise en forme de l'armature consentie pour permettre le bon fonctionnement rationnel de l'Etat. En l'état actuel de la situation réelle dans laquelle nous vivons au Maroc, nous ne voyons qu'une seule possibilité raisonnable d'enclencher le processus, c'est celle de voir le souverain prendre l'initiative de faire ouvrir le débat. Nous répétons qu'il devra se faire en toute franchise, exempt de conformisme, de parti-pris idéologique ou parisianisme étroit. Ce n'est pas trop tôt que de penser, enfin, à faire accorder la loi avec la réalité nouvelle d'un pays qui n'est plus, en plusieurs de ses aspects, celui de Hassan II. La dernière mouture (la sixième, depuis fin 1962) date déjà de 1996. Ella a été presqu'unanimement acceptée par les partis politiques, qu'ils soient ceux dits issus du mouvement national ou ceux nés du bon vouloir du «Parti de l'Administration» hassanienne. Elle nous paraît néanmoins avoir fait son temps, même si elle ne peut être taxée de «vieille», puisqu'elle n'existe que depuis moins de quinze ans. Mais rappelons qu'elle n'est qu'une resucée, plus ou moins bien bricolée, de la Constitution-mère, promulguée après référendum, en décembre 1962. Rappelons tout de même que, grand seigneur, Hassan II avait fait octroi, par surcroît et par surprise, d'une clause dans cette constitution qui aligna le Maroc, en droits de la personne, sur la juridiction telle qu'elle est reconnue et appliquée universellement. C'est sous cette constitution que nous vivons, actuellement, nous autres Marocains. Elle n'est pas foncièrement mauvaise, mais en dehors de quelques invariants (islam, monarchie), elle ne pèche pas par excès de précision, se contentant de s'exprimer dans le flou. D'où l'impérieuse nécessité de la renouveler pour plus de netteté et d'acuité - toujours dans un sens progressiste, bien entendu. Vers l'instauration d'un régime de monarchie parlementaire alors ? Nous verrons cela.