Par Ahmed Charai Certains commentateurs tirent plus rapidement que leur ombre. Parce qu'en Tunisie, Hamadi Jebali a démissionné de son poste de Premier ministre, ils scrutent l'horizon pour voir la chute du gouvernement Benkirane. Elle est, selon eux, imminente et échafaudent des scenarios aussi absurdes les uns que les autres. Ce raisonnement, cette analogie est viciée parce que les réalités sont très différentes. Le gouvernement dirigé par le PJD l'est sur la base d'une constitution approuvée par référendum, qui garde à l'institution monarchique ses prérogatives. Il n'y a pas eu au Maroc de changement révolutionnaire. Annahda dirige une coalition sur la base d'élections concernant la constituante. C'est un gouvernement qui n'a qu'un seul mandat populaire, celui de veiller à rédiger une constitution et à la proposer au peuple tunisien. On ne peut comparer les deux situations, celle révolutionnaire de la Tunisie et celle de marche démocratique institutionnelle du Maroc. Le PJD n'a pas la majorité. Il est donc normal qu'il doive composer avec ses alliés. On peut même s'étonner que des partis comme le PPS ne cultivent pas leurs différences et ne soient pas plus pugnaces face aux éventuelles prétentions hégémoniques du PJD. Les débats actuels ainsi que l'animation de la vie politique sont très sains. Il faut espérer qu'ils se concentrent sur des sujets sérieux, comme l'éducation, la réforme de la caisse de compensation, l'industrialisation, ou le déficit budgétaire. La politique politicienne ne doit pas occuper tout l'espace, parce que seul un débat public de haut niveau fait vivre une démocratie. Le gouvernement actuel est une expérience unique dans l'histoire contemporaine du Maroc. Non pas parce qu'il est dirigé par des islamistes, mais parce qu'il est issu des urnes, dans le cadre d'une constitution qui accorde au chef de gouvernement l'ensemble des prérogatives exécutives. Les institutions prévues par la constitution ne sont pas encore mises en œuvre, en attendant les lois organiques les concernant. Or, il s'agit de la création d'espaces faisant contre poids à l'exécutif. Il est naturel que la mise en place de cette architecture attise les divergences au sein de la classe politique. Pour en revenir aux scénarios aboutissant à la chute du gouvernement, il n'y en a que deux qui respectent la constitution et ils sont tous les deux, politiquement impossibles. Le premier, c'est la dislocation de la majorité. L'Istiqlal devra constituer une alliance qui comprenne l'USFP, le RNI et le PAM. Ce patchwork est refusé pour le moment par les intéressés. Dans ce cas, on aura la configuration de « tous contre le PJD », le meilleur moyen de renforcer son ancrage social, en prenant le risque de la radicalisation d'une partie de ses troupes. Le second c'est celui d'élections anticipées. Le risque n'est pas tant de voir le PJD renforcer sa majorité, mais de créer de l'instabilité, surtout cela voudrait dire que les élections locales et régionales seraient renvoyées aux calendes grecques et que l'architecture institutionnelle ne fonctionnera pas. Le scénario le plus plausible est que cette majorité se maintienne, avec des aménagements, des tiraillements, et ce pour la durée de la législature, parce que c'est cela le fonctionnement normal. Paru dans L'Observateur du Maroc n°206