Qu'est-ce qui fait donc courir le très politique émir du Qatar ? Une histoire se raconte à Doha, sa capitale, assemblage de gratte-ciels surgis récemment du désert. C'était au début des années 80 et l'actuel émir, Hamad Ben Khalifa Al-Thani n'était alors que prince héritier. Arrivant dans un aéroport européen, le jeune homme se voit demander par le douanier : « Le Qatar ? Cela existe vraiment ? » Mortifié, le jeune prince héritier se jure d'inscrire son minuscule pays – 11.500 m2 – sur la carte du monde. Il a tenu parole. Mais les vraies raisons de l'ambition qatarie sont ailleurs. Elles s'expliquent par l'impérieuse nécessité du pays d'exister et de se bâtir une assurance-vie face à ses deux puissants voisins, l'Arabie Saoudite et l'Iran. La première, dont il est une excroissance géographique, a longtemps considéré, qu'il n'était qu'un morceau de sa terre, une bizarrerie de l'Histoire, à laquelle il faudrait mettre fin un jour. Cette tentation n'est plus à l'ordre du jour depuis le règne du roi Abdallah. Avec son deuxième voisin, l'Iran, il partage, dans le golfe arabo-persique, l'immense gisement gazier appelé North-Dome côté qatari et South Pars, côté iranien. Dès la fin de la décennie 90, Hamad Al-Thani arrivé au pouvoir en 1995 après avoir déposé son père en vacances en Suisse, met plusieurs fers au feu. Diplomatiquement, le Qatar se lance dans une opération de séduction tous azimuts. Pour exister et se faire craindre du monde arabe, il lance Al-Jazeera. Un coup de maître. La chaîne de télévision lui permet d'acquérir au sein de la jeunesse une image d'Etat moderne, qui secoue les vieilles monarchies et donne la parole aux opposants, en général islamistes. Un moyen aussi pour Doha de se garder de ses propres contestataires qui n'ont guère droit de cité. Culturellement, le Qatar, sous l'impulsion de sa dernière épouse, cheikha Moza et de leur fille, veut s'imposer comme un des pôles culturels de la région. Un magnifique musée des Arts islamiques sort de terre à Doha. Une façon de ne pas laisser les Emirats occuper seul ce créneau de la culture, mais aussi de se façonner une histoire et une identité qataries propres. Parallèlement, le petit archipel, riche de ses revenus gaziers, investit tout azimut. Il ne fait pas dans la charité. Via trois fonds, en particulier la Qatar Investment Authority (QIA) détenue par l'émir, son épouse, son cousin qui est aussi Premier ministre et ministre des Affaires étrangères (l'homme le plus riche du pays dit-on), l'émirat prend des participations dans la banque (Barclays, Suez, Santander Brazil…), les grandes entreprises (Vinci, Veolia, Porsche…), l'immobilier de tourisme (The Peninsula à Paris, le Raffles à Singapour, la Société des Bains de mer à Monaco, un hôtel de luxe à Cuba, Al-Houara Resort à Tanger…). Il n'y a guère de pays et guère de secteurs qui échappent à la boulimie d'investissements du Qatar. Le Qatar est surtout formidablement doué pour faire passer son petit pays pour un grand grâce à d'excellentes relations publiques et à des actions spectaculaires. Ne s'est-il pas démené pour obtenir la coupe du monde de football 2022 alors que son 1,7 million de Qataris ne s'intéresse guère au foot. Peu importe. Il a fait un coup médiatique en rachetant le PSG à Paris ou en offrant 50 millions d'euros aux banlieues françaises abandonnées. Dernière flèche à son arc : la politique internationale. Les « printemps arabes » furent son apogée. Nul besoin d'investir beaucoup pour donner un coup de pouce aux islamistes et aux rebelles libyens désargentés. Mais il va peut-être devoir mettre en pratique chez lui les leçons de démocratie prodiguées à l'extérieur.