L'été dernier, l'Ajax a allongé onze millions pour transférer Hakim Ziyech du FC Twente. Le styliste de 23 ans, qui a préféré le Maroc à l'équipe nationale néerlandaise, va participer à la première finale européenne de l'Ajax en 21 ans. L'été dernier, Herman Van Holsbeeck avait relevé le nom de deux médians intéressants. Eliminé par Rostov, le tombeur d'Anderlecht au tour précédent de la Ligue des Champions, l'Ajax a déboursé onze millions pour le styliste du FC Twente, Hakim Ziyech. Le directeur général des Mauves s'est, dès lors, rabattu sur Nicolae Stanciu. Contrairement au Roumain, toujours en phase d'adaptation au Sporting, Ziyech est devenu le meilleur joueur de sa compétition en un rien de temps. " Ces deux années à Twente ont fait de moi un homme ", raconte Ziyech. " J'ai encaissé pas mal de coups mais mon jeu n'en a pas pâti et j'en suis fier. " Le médian avait entamé 2016 par une interview dans le Volkskrant, dans laquelle il avait été critique envers ses coéquipiers. Il n'avait pas eu un mot positif, non plus, pour Marco van Basten, son entraîneur au SC Heerenveen. Et, last but not least, il avait annoncé en sus son départ d'Enschede. " Mon propre public m'a hué lors du match suivant. J'ai marqué et délivré un assist, nous avons gagné 4-0 mais il m'a sifflé. Pourtant, je n'ai pas menti. Je préfère être détesté pour ce que je suis que d'être aimé pour ce que je ne suis pas. " Son bilan à Enschede est impressionnant : 30 buts et 28 assists en 68 matches de championnat. Il a quasiment assuré à lui seul le maintien de Twente, bien qu'il en ait pris congé, dans sa tête. Devoir entamer la saison en cours là-bas n'a donc pas été évident. " Je ne pensais qu'à m'en aller ", dit-il. "Mon père m'a terriblement manqué" Hakim Ziyech intrigue. Par son génie sur le terrain comme par sa personnalité. Dans les deux cas, il est imprévisible. Il se tait quand ça lui chante, parle quand il l'a décidé. 2016 a été l'année de son éclosion : joueur marocain de l'année, international, transféré à l'Ajax. Ziyech est aussi d'une pureté désarmante. Quand on lui demande s'il peut s'en tirer seul, il répond : " Non. J'aime être entouré d'un cercle restreint de gens bien. Ils me donnent de la force, de l'énergie. Je me coupe des autres. On me dit chagrin mais c'est faux. Je suis heureux de ma vie mais je ne le montre qu'à ceux que j'aime. " S'il n'avait pas été bien entouré, il ne brillerait pas dans des stades combles. Ziyech est né à Dronten. En sa qualité de cadet d'une famille de cinq frères et trois soeurs, il a mené la vie d'un petit prince. Dorloté, il pouvait même choisir ce qu'il mangeait. Puis, son père Mohamed a été frappé par une maladie musculaire. Il est décédé quand Ziyech avait dix ans. Le gamin n'a pu assister aux funérailles, au Maroc : il était trop jeune. Il s'est rendu sur la tombe de son père avec sa mère, à 14 ans. Là, il a pris conscience de la dure réalité. " C'est là que mon père est et restera. Perdre son père est ce qu'il y a de pire pour un gamin de dix ans. Au début, le football à Heerenveen me distrayait de la réalité mais je l'ai prise en pleine figure à quinze ans. Mon père m'a terriblement manqué et le football ne m'a plus aidé. Je n'avais plus envie de jouer. J'avais tout sacrifié à mon sport mais j'avais l'impression que c'était vain. " "J'étais la dernière chance de la famille" Ses problèmes sont d'abord passés inaperçus. La famille qui l'hébergeait à Heerenveen ne s'est rendu compte de rien. " Les gens n'ont pas à savoir comment je me sens. C'était une chouette famille mais elle ne remplaçait pas mon père. Je me suis renfermé sur moi-même. Je passais certains jours en rue, avec mes copains. J'ai découvert certaines choses qui n'étaient pas bien, comme je l'ai compris ensuite. Mais là encore, j'ai été aidé. Si une chose est cruciale dans la vie, c'est d'être entouré par les bonnes personnes. " Ziyech a mené une longue discussion, décisive, avec sa mère et son frère Faouzi. " Il m'a dit : - Nous sommes déjà si loin, nous avons tant fait pour toi que tu ne peux pas arrêter le football. " Le déclic s'est opéré. Un autre élément a joué : deux des frères de Ziyech étaient talentueux mais n'ont pas réussi, parce qu'ils n'avaient pas opéré les bons choix. " J'étais la dernière chance de la famille. Je ne jouais pas seulement pour moi mais aussi pour elle. Je retire ma force de ma famille. C'est pour elle que je veux réussir. Savez-vous ce qui rend mon histoire si belle ? Ma mère n'aime pas du tout le football. Elle n'a encore jamais assisté à un match au stade. Elle ne souhaite qu'une chose : mon bonheur. " La route menant au succès et à l'accomplissement a été longue et ardue. " Durant ma jeunesse, je n'ai pas été un gamin facile pour les entraîneurs du SC Heerenveen ", se souvient-il. " Je pétais les plombs dès que quelque chose ne me plaisait pas. Je jurais, j'insultais les gens et peu m'importait leur identité ou leur fonction. Ce n'était pas bien, je le comprends maintenant. J'étais un sale gosse. Mais je suis content d'avoir commis ces erreurs car ça veut dire qu'on ne m'y reprendra plus. " "L'Ajax est un club difficile" " Ce n'était certainement pas bien mais j'en connais la cause ", continue-t-il. " J'avais perdu mon père et j'avais besoin d'être dirigé. Je n'ai pas non plus emprunté le chemin le plus facile mais de toute façon, je ne le prends jamais. Pourquoi ? Parce qu'il ne présente aucun défi. J'aime la difficulté car elle me permet de progresser plus rapidement. " Deux choses frappent dans la vie et la carrière de Hakim Ziyech. Quoi qu'il arrive, il reste lui-même et quelles que soient les difficultés, il est performant. Il preste sur le terrain, chaque fois. Son carburant ? Le chagrin lié au décès de son père, la frustration du contrat qu'il n'a pas obtenu au SC Heerenveen, la déception subie quand Marco van Basten a voulu un autre numéro 10 et la colère face aux fausses promesses du FC Twente. Fâchez-le, décevez-le et il répond par des buts et des actions déterminantes. Il a donc choisi la voie la plus difficile mais... en préférant l'Ajax à un club étranger, n'a-t-il pas contrevenu à ses habitudes ? " Franchement, l'Ajax est un club difficile ", contre Ziyech. " Il faut constamment prester, à chaque séance, à chaque match. Toujours gagner. La pression est constante et c'est ce qui rend l'Ajax difficile et à la fois très beau. L'Ajax n'est jamais content. C'est pour ça qu'il me convient si bien : moi non plus, je ne suis jamais content. " Ziyech s'était focalisé sur un transfert à l'étranger, l'été dernier. Il aurait pu gagner beaucoup plus d'argent en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Angleterre ou en Turquie mais ce n'est pas l'objectif principal de ce footballeur de race. Dans la phase actuelle de sa carrière, il s'intéresse au temps de jeu, il cherche le club le plus propice à son développement. "Je voulais rester près de ma famille" " Je sais : j'ai toujours dit que je voulais jouer à l'étranger et participer à la Ligue des Champions mais quand le moment est venu, j'ai commencé à hésiter ", confie Ziyech. " Pas de mes aptitudes footballistiques. Mais j'aime être proche de ma famille, qui a joué un rôle prépondérant dans ma vie. Je me suis donc demandé si j'étais humainement prêt à vivre et à jouer dans un autre pays, complètement seul. Avant de prendre une décision aussi importante, il est indispensable d'être honnête envers soi-même. La réponse était : non. " Pour l'Ajax, la quatrième fois a été la bonne. A onze ans, avant de rejoindre le SC Heerenveen, Ziyech a passé des tests à Amsterdam. Plus tard, son manager l'a proposé à l'Ajax mais le chef du scouting de l'époque, Hans van der Zee, ne voyait pas en lui un footballeur de l'Ajax. Enfin, avant qu'il signe au FC Twente, Marc Overmars a hésité un peu trop longtemps. Ziyech lui-même ne s'est pas laissé impressionner par le jugement d'Overmars. " Si l'Ajax ne veut pas de moi, j'irai ailleurs. Je suis évidemment très heureux d'y être. Des grands clubs s'intéressaient à moi mais à ce moment de ma carrière, l'Ajax constitue le club idéal. Y jouer est agréable. Je veux progresser et ça vient tout seul quand je m'amuse. " Les statistiques révèlent que Ziyech est un joueur collectif, plus encore qu'à Twente. A Enschede, il était considéré comme un individualiste, quelqu'un qui plie des matches par ses buts et ses assists mais à Amsterdam, il abat plus de travail. Ziyech court davantage, il distille plus de passes et est important dans le pressing. "Özil est un exemple" " J'ai repris ma progression, accompli un nouveau pas vers ma maturité sportive. C'était un de mes objectifs. De fait, j'abats plus de travail sans que ça me coûte le moindre effort. C'est d'ailleurs ce que je dois faire si je veux être utile à l'équipe. " Reste à voir ce que Ziyech doit encore faire pour briguer un grand club européen. Ne doit-il pas acquérir plus de puissance ? Son agent estime que non. " Si un club cherche un panzer, il ne doit pas prendre Hakim. Mais s'il veut de la créativité, des buts, des assists, du rendement, donc, il doit le transférer. " Le joueur enchaîne : " Prenez Mesut Özil à Arsenal, David Silva à Manchester City. Il est encore possible d'atteindre le sommet sans être une armoire à glace. Özil est un exemple. Une technique raffinée, une formidable vitesse d'exécution. Son intelligence lui permet d'éviter les duels et de moins dépendre de sa force. Je dois suivre son exemple. Mais avant tout, je dois mûrir à l'Ajax. Grandir humainement et sportivement, avant d'intégrer l'élite européenne en somebody. C'est ça, mon plan de carrière. "