A la révolution du jasmin succède la fabrication d'un mythe : la contagion. Oui, c'est une belle révolution que celle de nos voisins tunisiens. Effluves de liberté et vertiges d'émancipation se conjuguent pour faire de ce soulèvement une formidable fresque, un bel exemple d'unité populaire. La Tunisie, c'est d'abord un contexte. Au panache anticolonialiste et résolument laïc de Bourguiba succéda, vingt-trois ans durant, un Ben Ali plus soucieux de dompter, de verrouiller que de servir. Double décennie de chape de plomb pour un peuple éduqué, travailleur et tourné vers l'ouest. De la prévarication des Trabelsi jusqu'à l'étouffement de la presse, en passant par une répression musclée à l'égard des opposants, Ben Ali aura en somme, finit de brosser le portrait du parfait autocrate. Il fallait que ça cesse, et ça a cessé. L'effondrement du château de cartes vint par le truchement d'une facétie du destin. L'immolation du marchand ambulant Bouazizi. Le reste n'est qu'histoire. Présentement, alors que la démocratie tunisienne se débat dans une gestation nerveuse, que les ministres, tantôt conspués, tantôt soutenus par le peuple, jouent au jeu des chaises musicales, une instrumentalisation tendancieuse de la révolution étend ses filets sur le Maroc. L'angle parfait La piste «contagieuse» prit d'abord forme dans les rédactions françaises. L'angle était trop beau, trop vendeur, il était nécessaire d'en explorer les moindres nuances. Ainsi, on vit se dresser des comparaisons. Libération anticipa la déchéance du pouvoir libyen, yéménite, algérien et égyptien. De là, s'actionna la grande lessiveuse des esprits. Le ton était donné. Faisant presque ombrage à la révolution tunisienne, on ne fit que gloser sur le prochain régime à mordre la poussière. L'angle, ressassé jusqu'à la lie par les éditorialistes les plus notables : Claude Imbert, Jean Daniel et Jean-François Kahn, se mit, telle une prophétie auto-réalisante, à gagner de la substance. Pis, la ché-guévarisation médiatique du Tunisien, devenu, en l'espace de quelques jours le symbole suprême du bien luttant vaillamment contre le mal, suscita de tristes vocations suicidaires à travers le monde arabe. En Egypte, en Algérie et même chez nous, de pauvres démons se donnèrent la mort par le feu. Et c'est ainsi que dans le dédale de commentaires enfiévrés, louant l'explosion démocratique tunisienne et sa propagation à d'autres nations arabes, Aboubakar Jamai, ex-directeur de publication du Journal, puis du Journal hebdomadaire, crut bon ajouter sa pierre à l'édifice. Rien ne va plus Dans un entretien avec Le nouvel observateur, M. Jamai, y va de son anticipation. Le Maroc, selon lui, serait destiné à connaître une «révolution sanglante». Arguons qu'il est compréhensible de la part d'un patriote de s'inquiéter de l'avenir de son pays. Mettre en garde contre une potentielle implosion de notre tissu social à la lumière de l'exemple tunisien, bien que le réflexe participe d'un certain panurgisme médiatique, n'est guère un délit. En revanche, lorsque l'argumentaire utilisé pour corroborer des affirmations au mieux vaseuses, au pire dangereuses, est teinté d'une subjectivité irrationnelle, une mise au point s'impose. Partant du modèle Ben Ali, A. Jamai postule qu'il faille, pour se lancer dans les affaires «passer par l'une de ces trois personnes, le roi, Fouad Ali El-Himma ou Mounir Majidi». Point de vue étonnant s'il en est. Une économie à ce point contrôlée, empruntant aux heures les plus sombres du collectivisme stalinien. Est-ce bien le Maroc dans lequel nous vivons ? Comment alors expliquer qu'en 10 ans, notre pays a enregistré une croissance moyenne de 5 %. Et que faire d'un revenu par habitant en progression de 6 % et d'un taux de pauvreté passant de 15 % en 2001 à 9% aujourd'hui. A-t-on rêvé tout cela ? Assurément si la «Monarchisation de l'économie» qu'évoque A. Jamai battait son plein, assisterait-on au plébiscite massif du Maroc par une nuée de multinationales ? Sous Ben Ali, les implantations d'entreprises internationales se faisaient au compte-goutte. Apeurées en cela par cette impitoyable loi d'airain made in Trabelsi. Une belle-famille soucieuse d'envahir le capital de toute entreprise prometteuse. A-t-on, ici, conditionné l'installation des 530 entités trustant Tanger free zone à un droit de cuissage ? Se serait-on permis d'en spolier les 50 000 employés. Quid de Renault? Rompu à l'exercice libre et concurrentiel des affaires, Carlos Ghosn aurait-il admis une quelconque ingérence dans sa gestion de la future usine Renault, cluster automobile appelé à fournir un gagne-pain à 36 000 Marocains ? Pas si sûr. Self-made men Probablement un tantinet hargneuse, l'analyse de Aboubakr Jamai est battue en brèche par celle de Hakim El Karoui, directeur à la banque Rotschild. Dans un entretien accordé à la Tribune, M. El Karoui éclaire : «L'économie tunisienne reste centrée sur elle-même et peu ouverte aux étrangers. On compte 38 entreprises du CAC 40 présentes au Maroc, on en recense seulement 3 ou 4 en Tunisie». Et d'ajouter : «A l'exception d'une entreprise, Coficab, la Tunisie ne compte aucune société de rang international». Signe de liberté d'entreprendre ou pure providence, le Maroc en compte des dizaines. Parmi les plus notables, nous retrouvons HPS, S2M, M2M, MARWA, Laprophan, Richbond, Colorado, Aicha, BMCE bank. La sclérose tunisienne à laquelle nous réduit M. Jamai n'a, à l'exception des membres du clan Ben Ali, jamais produit de success-stories. Pouvons-nous dire de même du royaume ? Si nous le faisions, nous commettrions l'impair de nier l'existence de Othmane Benjelloun, de Moulay Hafid Elalamy, de Meriem Bensaleh, de Karim Tazi, de Miloud Chaâbi, de Mohamed Horani, etc. Question : Quel business winner s'impose à l'esprit lorsqu'on pense à la Tunisie ? Mis à part l'ex-rais Ben Ali et son beau-fils, le fuyard Sakher Materi, DG d'Ennakl, aucun. Difficile d'établir une comparaison logique, sans tomber dans l'incohérence. Benalisation ? Balayant d'un revers de phrase le panorama économique du Maroc, Aboubakr Jamai s'intéresse aussitôt à la gouvernance politique. Il introduit un concept : la Benalisation. Acception fourre-tout, censée décrire un régime oligarchique prônant l'accaparement de la sphère économique et la mise au pas liberticide de la population. Avec, cerise sur le gâteau, l'approbation de l'Occident moyennant la promesse d'endiguer l'islamisme. Beau grand écart doctrinaire confinant au hors-sujet. La Benalisation s'opérerait, selon A.Jamai, au niveau politique par : «Le PAM, Parti authenticité et modernité, du conseiller du roi, Fouad Ali El-Himma, imite le RCD tunisien dans sa volonté d'hégémonie sur la vie politique du pays». Surprise : le PAM, contrairement au RCD, n'est pas un parti au pouvoir. Fouad Ali El-Himma, dont l'ombre planerait sur le jeu politique, n'est sur le papier, qu'un militant actif du PAM lequel, est par ailleurs, critiqué librement et à longueur de colonnes par le PI et autres PJD. Par quelles gesticulations de l'esprit pourrait-on assimiler le PAM au parti unique que fut le RCD du temps de Ben Ali ? Là encore, le raisonnement s'efface devant des positions figées, imperméables à l'évolution. La contagion prédite par M. Jamai exprime une méconnaissance inattendue de la situation politico-sociale du royaume. Dans une interview accordée à France Culture, l'historien français Alexandre Adler, fin analyste géopolitique et grand pourfendeur des atteintes aux droits de l'homme, estime les risques d'une contamination : «Le Maroc peut-être encore moins menacé si l'on considère que ce pays, depuis quelques années, a joué l'ouverture démocratique avec un certain succès, que le pluralisme est installé, que les partis politiques y développent librement leur action». Emboîtant le pas à Alexandre Adler, Dominique Moisi, chercheur en relations internationales, précise que : «Le royaume chérifien apparaîtrait presque comme le plus stable des pays du Maghreb». Le jugement de Moisi repose sur deux mots : monarchie et réforme. Moisi poursuit : «Comme symbole et réalité du pouvoir, le roi du Maroc est seul dans sa catégorie». Vision Les réformes dont parle Moisi ne peuvent échapper à quiconque voudrait jeter un regard objectif sur la mouvance vécue par le Maroc. Oui, d'énormes poches de pauvreté persistent, de grandes enjambées devront être prises pour soigner le système éducatif, désenclaver certaines zones rurales, injecter de l'éthique dans nos juges et magistrats. Dont acte. Mais enfin, il est irresponsable de passer outre la volonté réformatrice qu'anime notre exécutif. Plan Maroc Vert, autosuffisance énergétique avec le Plan solaire et éolien et ses 2000 MW, Pacte national pour l'émergence industrielle, Halieutis, Casablanca finance city, INDH, électrification de 95% du pays, plan d'éradication des bidonvilles, accords de libre-échange, Tanger Med, Pacte émergence…Ces projets structurants ne relèvent pas du dogme mais d'une réalité tangible faite de créations d'emplois ( 220 000 à l'horizon 2015) et de foi en l'avenir. Et puisque nous parlons de révolution, rappelons que la nôtre eut bien lieu, non point à travers l'immolation d'un citoyen méprisé, bâillonné dans ses droits les plus élémentaires, mais dans l'accession au trône, il y a de cela onze ans, d'un roi éminemment désireux de préparer un futur décent à son peuple. Réda Dalil Décembre 1998 La parole au criminel Le Journal franchit le rubicon de l'impubliable, en donnant la parole à Benjamin Netanyahou, symbole de l'aile droite du Likoud. Blashpème. 25 novembre 2000 La lettre de la discorde Le Journal publie une lettre de Fqih Basri. On y apprend l'implication supposée de Abderrahmane Youssoufi dans la tentative avortée de putsch en 1972. Tollé général. 7 avril 2000 L'accusation de trop Le Journal accuse l'ex-ministre des Affaires étrangères Mohamed Benaissa de dilapidation de deniers publics lors de l'acquisition de la résidence de l'ambassadeur du Maroc à Washington. Diffamation. 3 décembre 2005 L'interview suspecte Le Journal publie des fragments d'une interview de Mohamed Abdelaziz clamant l'appartenance du Sahara à ses commanditaires algériens. Incompréhension et anti-patriotisme patent ! «Un immense impact sur le monde arabe»* Le mouvement du «jasmin», en Tunisie, a eu raison d'une des dictatures les plus implacables du monde arabe. Son écho fait déjà peur aux régimes autoritaires arabes, qui observent son développement avec inquiétude. Le mouvement met fin à une longue période de désespoir et d'apathie des masses ainsi qu'à une explication du monde en terme de théorie du complot, qui justifiait leur soumission intériorisée. Le mouvement n'aura pas d'impact immédiat sur les autres pays arabes tant les situations politiques et sociales sont différentes. En revanche, son impact sera immense dans tout le monde arabe si le mouvement réussit à mettre en branle la démocratisation. La Tunisie servira d'exemple au reste du monde arabe, en particulier au Maghreb, et les revendications sociales et politiques exploseront. Dans cette perspective, l'un des problèmes fondamentaux de l'Algérie et tout particulièrement le Maroc est la disparité socio-économique qui fait que, si le schéma tunisien se reproduit, il risque d'aboutir à des violences beaucoup plus graves, avec l'émergence probable du populisme. Aujourd'hui les dirigeants du monde arabe sont avertis : il leur faut opérer une ouverture politique capable de déboucher sur un pluralisme authentique. Moulay Hicham • Article paru dans Le Nouvel Observateur du 21 janvier 2011. La «Bénalisation» n'est pas une théorie Se basant sur l'exemple tunisien, Aboubakar Jamai prédit une révolution sanglante au Maroc. Notre pays est-il susceptible de connaître des bouleversements de ce type ? Une révolution sanglante au Maroc, selon Aboubakar Jamaï ? Qu'en sait-il ? et sur quoi se fonde-t-il pour avancer cette prédiction proprement eschatologique ? De tels propos ne sont pas recevables parce qu'ils relèvent de l'imprécation gratuite contre le royaume, une posture de mise dans certains milieux de la bien-pensance française et européenne. Le même, plus nuancé dans sa réponse à Sara Daniel, aurait vu son texte tronqué sinon «censuré» parce qu'il n'aurait pas répondu à un «politiquement correct» d'une ligne éditorial obstinément hostile, depuis des lustres au Maroc. Cela dit, l'histoire - au Maroc et ailleurs – n'est pas un long fleuve tranquille et la tragédie, sous diverses formes, en est la compagne la plus obstinée et la plus structurante. Et personne ne peut sérieusement lire dans la boule de cristal ou dans le marc de café pour faire état de la prévisibilité des évènements. Mais le royaume présente un certain nombre de traits identitaires qui font qu'il relève évidement d'une tout autre comptabilité que la Tunisie de Ben Ali. Ce président déchu était venu au pouvoir à la suite d'un coup d'état «médico-légal» en date du 7 novembre 1987. La monarchie marocaine, elle, est enracinée dans les siècles et elle est constitutionnelle à la formation et à la stabilisation de la Nation. Si certaines vicissitudes historiques ont marqué le sultanat et conduit à des changements du titulaire de la charge, ce processus n'est jamais sorti de son cadre normatif et de son référentiel religieux : la monarchie sur la base du statut de khalifat tiré d'Imarat Al Mouminine. Mais il y a plus, Ainsi, depuis un demi-siècle, le pouvoir n'a jamais été verrouillé comme sous le régime de Ben Ali. La Benalisation est une doctrine duale. Elle suppose un accaparement de la sphère économique par une oligarchie ainsi qu'une mise au pas liberticide de la population. Le tout, sous l'œil bienveillant de l'occident, principalement soucieux de se prémunir contre l'islamisme. Vit-on une Benalisation au Maroc ? La «Bénalisation», comme vous dites, n'est pas une théorie. Elle n'a pas été conçue et mise en œuvre comme telle au départ ni tout au long des vingt-trois années de la présidence du dictateur déchu. Elle s'est voulue un régime autoritaire, accueilli d'ailleurs favorablement par le peuple tunisien après les dernières années agonisantes de Bourguiba puis, au fil des ans, en particulier lors de la seconde décennie, elle s'est transformée en un système pratiquement kleptocratique où la nouvelle femme Leïla Trabelsi et sa famille se sont accaparées le gros des secteurs économiques et financiers. Qu'en est-il au Maroc ? Il subsiste encore il est vrai une certaine économie rentière dans différents secteurs. Mais va-t- elle durer ? Je ne le crois pas parce que l'insertion de plus en plus forcée dans la mondialisation ne peut que pousser vers la mise à plat d'une autre articulation de l'appareil productif. Telle est, me semble – t – il, l'essence du projet du nouveau règne, traduisant la ferme volonté de SM Mohamed VI d'une «rupture» avec un certain passé pour y substituer un Maroc démocratique et solidaire. L'INDH, la part accordée aux secteurs sociaux – plus de 54 % du budget général, l'inlassable suivi sur le terrain des projets par le Souverain attestent du contre-exemple du Maroc par rapport à la Tunisie de Ben Ali. Autre chose encore : le Maroc n'a pas besoin de la cotation géostratégique de l'Occident comme rempart contre l'islamisme. La sensibilité à référentiel religieux est reconnue depuis une quinzaine d'années, avec le MPDC au départ puis la création du PJD. Ce parti a droit de cité et il est représenté dans les institutions nationales et locales ; il s'est même beaucoup développé dans le cadre du jeu normal de la démocratie et de la légalité. Au Maroc, on a besoin d'une «prime» d'anti-islamisme pour aller au-devant des souhaits et des préventions qui hantent l'Occident. C'est pour les chantiers de réforme et de liberté que le royaume assume son rang et gagne sa crédibilité. Propos recueillis par R.D.