Portrait du designer autodidacte le plus «hype» du moment qui vient de signer les nouveaux intérieurs de La Mamounia. Pour son dernier repas, Jacques Garcia dit souvent qu'il aimerait manger une omelette aux pommes de terre avec une bouteille de Pétrus et, pour finir, des oeufs à la neige. Un repas rustique, à part le vin, à l'image de son goût pour les chaos des modes et les influences métissées. Les sources d'inspiration de Maître Garcia vont du minimalisme zen aux excès néo-gothiques, de la renaissance égyptienne à l'extravagance du Second Empire. Pourtant son inspiration éclectique ne tombe jamais dans le pastiche anachronique ou le kitsch absolu. « Allier grand genre et manière simple, vie de château et vie facile, et que cela palpite », telle est sa devise. Avec des idées claires et un talent fou, « ce type indispensable aux rois » comme le décrit le Metropolitan Magazine porte très haut les couleurs du savoir-faire et du goût français. Il est l'un des « designers frenchies » les plus connus dans le monde entier. On lui doit aujourd'hui les nouveaux atours flamboyants de La Mamounia, l'hôtel mythique de Marrakech qui rompt ainsi avec son style Art Déco pour le néo-marocain stylé. De l'inox au Fouquet's Né à Paris en 1947, Garcia découvre jeune ses facilités pour le dessin et sa fascination pour les objets d'art. Il suit des cours à l'école nationale supérieure des métiers d'art avant de se spécialiser en architecture contemporaine. Il se fit connaître en réalisant la décoration de la Tour Montparnasse et des hôtels Méridiens et Sofitel de Paris. Il crée sa propre agence dans les années 70. Tout avait commencé très tôt pour lui. A huit ans, Jacques Garcia construit et aménage sa première cabane chez ses grands-parents. Garcia a fait son éducation dans les bric-à-brac, José, devenu Jacques, a chiné avec son père. Adolphe Garcia, chauffagiste à la gare de l'Est, aimait les puces de Vanves et de Montreuil. Il glanait des choses modestes. A sa suite, son fils unique à l'esprit pratique apprenait les poinçons avec de petits catalogues d'estampilles pour repérer les objets de valeur. Son premier achat, à 14 ans, aurait été une paire de bougeoirs, de Thomas Germain. A ses débuts, il aménage des pharmacies, des boutiques en Inox et des hôtels Frantel. En 1982, il décore un hôtel particulier de la rue des Tournelles. Un magazine de déco photographie cet artefact. Il est lancé. Des clients privés lui passent commande. Puis il surdécore l'hôtel Royal, à Deauville. Depuis, il ne cesse de restaurer et d'arranger intérieurs privés et publics, et les grandes maisons se l'arrachent. Après avoir créé les intérieurs de personnalités du monde entier, le décorateur s'est attaqué à l'enjolivement de certains des établissements les plus courus de Paris. Cet amateur du « grand style » des XVII et XVIIIème siècles (il s'en inspire pour ses décors élégants, raffinés et confortables), a ainsi avant La Mamounia, décoré l'hôtel Costes, Le Fouquet' s et le salon de thé La Durée, la brasserie La Grande Armée, le café L'Avenue, en passant par le musée de la Vie romantique, l'un des musées secrets les plus inspirés de la capitale française, l'hôtel Majestic à Cannes et l'Albergo de Beyrouth. On lui doit la maison Art nouveau de Carole Laure et Lewis Furey, la propriété des comtes de Witt en Suisse... Un de ses plus beaux projets a été la création du décor de la résidence parisienne du Sultan du Brunei. Pour ce dernier, Garcia a fait appel à des artisans pendant près de deux ans pour créer tous les meubles et accessoires. Sa maîtrise originale des matières et des espaces, sa connaissance érudite de l'histoire de l'art et son amour des objets et des textures lui font voir les choses en grand : les plus belles étoffes glissent entre les mains de ce magicien pour épouser les formes et les couleurs des plus beaux marbres, et le résultat est audacieux et éclatant. Ses talents lui font traverser l'Atlantique : il restaure l'hôtel de Steve Wynn à Las Vegas, et l'hôtel Victor à South Beach, et lance une collection de meubles élégante et sophistiquée pour Baker Furniture. Les villes de New York, Chicago, Miami, Baden Baden, Genève, et Bruxelles ont toutes accueilli ses projets avec bonheur. Le joyau de Jacques Garcia se trouve pourtant en Normandie, son plus grand défi a été de racheter le château du Champ-de-Bataille en Normandie et de s'attaquer à sa rénovation complète. Ce grand château dont il contemplait, enfant, les façades rigoureuses depuis les grilles en se jurant qu'un jour, il serait à lui, il a fini d'en faire sans doute le plus beau château privé de France. Ce sera son chef-d'œuvre , où toutes les inspirations concourent à l'éclosion d'un nouveau style : le « style Garcia ». Une touche à La Traviata Garçon sans âge, à figure ronde et teint de rose est avant tout un «compositeur d'ambiances». Drôle, laissant pointer une fausse modestie gourmande, mais provocateur dès qu'il parle de son parcours, il s'en délecte dans la presse parisienne. A Libération, il ose dire : « Je vis dans très peu d'espace. Depuis trois ans, je n'ai pas d'appartement à Paris et j'y ai vécu dans l'équivalent d'une petite chambre d'hôtel. J'ai quatre costumes, trois pulls, dix chemises et voilà. Je n'ai besoin que d'une chambre d'étudiant. L'espace ne me sert qu'à recevoir. J'adore ça ». C'est comme si on demandait à quelqu'un de féru de littérature de vivre avec des San-Antonio. Voila donc Garcia au vrai, c'est-à-dire à mille lieues de son image publique. « Mes goûts personnels, ce n'est pas ce que je privilégie pour la décoration des grands hôtels ou des restaurants, poursuit-il. Ce que j'aime sincèrement, c'est accrocher des Raphaël, des Poussin, des Delacroix. J'ai aussi acheté, quand j'avais 18 ans, des toiles de Klein et de Fontana. J'ai vécu dans la chambre d'étudiant du designer Jean-Michel Frank, un des précurseurs du minimalisme ». A titre privé, Garcia ne consomme pas sa propre déco. Aux ambiances précuites, il préfère l'émerveillement des vieux palaces, même s'il a accepté de Mohammed VI de transformer La Mamounia… Quel est son objet favori ? Son réveil signé Cartier, son oeuf de dinosaure, sa chaise du Dauphin, voire son téléviseur LCD écran plat. Il qualifie avec tendresse et ironie de « boîte à bazar » ce cadeau en laque rapporté d'Espagne où il y range en vrac monnaies étrangères, stylos et autres menus objets. Touche à tout, il met en scène son art dans un beau livre exceptionnel qui fera sa renommée aux quatre coins du monde, jouant des formes et des matières pour illustrer ses idées, ses références, ses goûts et quelques-uns de ses secrets. L'album composé de plus de 100 documents originaux (photographies, croquis, dessins, gravures) invite à découvrir ce que Jacques Garcia nomme « la touche à la Traviata ». En quatre actes, la Gloire, l'Amour, la Fête et la Mort, il offre un voyage au coeur de son château et de ses trésors précieusement sauvegardés : tableaux de maîtres, tentures, meubles précieux, argenterie... Avec Henry-Jean Servat, il revisitera à sa manière La Traviata elle-même, ce grand classique de l'Opéra à travers les fastes du Second Empire, le souvenir de la courtisane au destin tragique, Dame aux camélias pour Dumas, Traviata pour Verdi, et celles qui les ont incarnées sur scène, de Maria Callas à Isabelle Adjani. Jacques Garcia, plein aux as, est commandeur dans l'Ordre des Arts et Lettres et Chevalier dans l'Ordre de la Légion d'honneur, mais à Paris, il continue d'occuper sous les combles sa chambre rikiki à l'ameublement neutre : téléviseur, mini-bar, micro-ondes... Mohamed Yazidy