La communication officielle autour du bilan des dix ans de règne se fait dans la discrétion. Entre recours aux agences de RP et mutisme du cabinet royal, la promotion du “Maroc qui bouge” se heurte à la méfiance des médias. Décryptage. Jeudi 30 juillet, une marée blanche de dignitaires civils et militaires drapés dans leurs jellabas immaculées renouvellera son allégeance au roi, lors de la cérémonie de la bey'a. Dix ans jour pour jour après son entrée en fonction officielle. Le lieu de la cérémonie est toujours tenu secret, mais au jeu des pronostics, Tanger tient la corde. Si aucune confirmation officielle n'est donnée, “le roi peut chambouler tout le programme à la dernière minute”, lâche cette source anonyme, un indice trahit les préparatifs : sur les trois hôtels les plus huppés de la ville, aucun n'a de disponibilité entre le 29 juillet et le 1er août. On le sait, le souverain aime la ville, il l'a réintégrée symboliquement en y séjournant longuement, contrairement à son père qui la snobait. Surtout, Tanger est devenue l'emblème de la décennie de bâtisseur du règne de Mohammed VI et de ses ambitions économiques et commerciales titanesques. Vendre le produit Maroc Le port de Tanger Med et le projet de liaison TGV collent à l'image du “Maroc qui bouge”. La catch-phrase a été remise au goût du jour par 2M, la chaîne de télé étendard du projet moderniste du souverain. Jeudi 9 juillet – il y a dix ans, c'était la “Fête de la jeunesse”, tout un symbole ! – la deuxième chaîne diffusait un documentaire chroniquant la dynamique culturelle de la décennie. “Dire que c'est un exercice de propagande est injuste”, estime ce journaliste qui a travaillé sur l'émission. “Les bilans du règne ne sont le monopole de personne”. Pour l'heure, ce n'est pas la fièvre éditoriale : deux ouvrages sont sortis en français, Le Grand malentendu de Ali Amar et Le Maroc de Mohammed VI de l'historien Pierre Vermeren et un autre en espagnol sous le titre Le prince qui ne voulait pas être roi, par Ferran Sales. Avec l'approche du 10ème anniversaire, la presse étrangère (francophone) s'est d'ailleurs invitée à la fête. Le quotidien français Le Monde a concocté un dossier sur les dix ans pour son édition du jeudi 16 juillet. Un exercice rodé, mené par le patron Jean-Pierre Tuquoi, enrichi des points de vue d'Aboubakr Jamaï et de Driss El Yazami. Un bilan plutôt mesuré, tant les journaux marocains ont déjà tout dit sur le sujet. Pourtant, la distribution du Monde a été retardée jeudi matin. “À l'inverse de son père, il fuit la presse”. Jean-Pierre Tuquoi pointe cette différence de style fondamentale entre les deux rois. Dans une chronique récente, Taoufiq Bouachrine, de Akhbar Alyoum, se prenait à rêver d'un coup de fil imaginaire en provenance du cabinet royal : “Sa Majesté donnera une interview. Vous y êtes invités”. Le canular a fait long feu. L'effort de communication de l'Etat ne va pas si loin. D'après cette professionnelle qui a décroché une mission de RP pour le compte du gouvernement, l'objectif est plus modeste : “Il s'agit de mettre en relation les décideurs et les hauts fonctionnaires avec la presse”. Son entreprise joue le rôle d'une agence de contenu, en proposant aux médias des données, des rapports et des contacts qui témoignent des progrès faits par le Maroc, depuis 10 ans. Agence ou pas, les marges de cette communication sont bornées. Règle numéro 1 : pas d'interférence avec les activités royales, son agenda et sa propre communication, gérée par le cabinet royal. “Nous n'avons pas mandat pour traiter avec les médias étrangers”, précise notre source. “Ni pour gérer les choix d'expression de Sa Majesté”, s'empresse-t-elle d'ajouter. Comprenez, ces deux dossiers sont gérés directement au Palais. Il y a bien sûr Chakib Laâroussi, mais ce journaliste avance deux noms de conseillers royaux qui ont l'habitude de briefer la presse, en temps de crise, notamment : “l'homme des missions difficiles André Azoulay et le touche-à-tout Mohammed Moâtassim”. En précisant que l'un est plus à l'aise avec les médias étrangers et l'autre avec la presse locale. Une presse méfiante Contacté par Le Temps, le ministre de la Comunication Khalid Naciri a d'abord exigé un droit de regard sur ses propos, avant de se rétracter simplement en arguant que le sujet de la communication officielle sur les dix ans de règne ne relevait pas de ses compétences, ni de son emploi du temps. M. le ministre occupe pourtant les fonctions (très officielles) de porte-parole du gouvernement. Il est vrai que la veille, un éditorialiste de la place l'avait égratigné pour avoir défendu des condamnations de journalistes. “C'est un jeu de dupes. Nous savons qu'il n'a pas la main sur les décisions de justice”, reconnaît ce vieux routard de la presse. “En réalité, quand nous nous rencontrons dans d'autres circonstances, il en a gros sur le cœur. Comme nous !” À la veille des festivités marquant les dix ans du règne (lire encadré ci-contre), les rapports entre l'Etat et la presse se sont tendus. Le 29 juin, d'abord, le tribunal de première instance de Casablanca condamnait trois quotidiens arabophones. Al Ahdath, Al Jarida Al Oula et Al Massae à un million de dommages et intérêts dans l'affaire qui les opposait à Mouammar Kadhafi. Le lendemain, le mensuel Économie Entreprises écopait, en appel, de 5,9 millions de dommages et intérêts dans une affaire de diffamation contre une société appartenant au holding royal. La réaction de la presse ne s'est pas fait attendre. Première, des dizaines de journaux sont parus avec un éditorial blanc, en signe de protestation. Aujourd'hui, deux explications dominent dans le microcosme médiatique. Pour certains, l'Etat veut montrer qu'il tient encore le bâton. La presse, rappelée à l'ordre depuis dix ans, découvrant les limites de sa liberté, à coup d'amendes. Un jeu épuisant. “Je ne pense qu'il y ait volonté, d'en-haut, de nous faire taire”, tempère ce membre de la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ) qui a appelé à l'édito blanc. Pour certains, le dialogue est sur le point de reprendre entre les représentants de la presse et l'Etat pour aboutir à une nouvelle mouture du Code de la presse, et plus généralement une nouvelle régulation. “la profession n'a plus d'interlocuteur direct depuis le départ de Basri puis d'El Himma”, se désole notre source. Encore un sujet d'arbitrage royal. Aucun journaliste n'a encore eu l'occasion de le demander à qui de droit. Youssef Aït Akdim