Al Khouloua Acharîya, ou visite conjugale, n'est pas un droit garanti par la loi, juste un privilège accordé sous conditions à certains détenus. Zoom sur l'une des facettes les plus méconnues des prisons marocaines. Jeudi 16 avril, salle des conférences de l'Institut national des études Judiciaires (INEJ), Avenue Ben Barka à Rabat. Moulay Hafid Benhachem, délégué général de l'administration pénitentiaire dirige un séminaire au profit de ses cadres. Au menu : la question de la réinsertion des détenus, qui fait l'objet d'une très longue présentation. Le fichier Powerpoint ne consacre cependant que quelques graphiques et autant de clics à un sujet pourtant sensible : la Khoulwa Acharîya (littéralement “intimité légale”). Serait-ce une matière taboue ? “Non, la Khoulwa Acharîya n'a rien de tabou, réfute Moulay Hafid Benhachem. Malgré sa progression, la pratique des visites conjugales reste un phénomène marginal. Sur l'ensemble de la population carcérale, elle ne concerne qu'un faible pourcentage de détenus”. Monsieur le délégué général n'ira pas plus loin dans le commentaire, préférant nous aiguiller vers Mustapha Hilmi, directeur chargé de “l'action sociale et culturelle au profit des détenus et de leur réinsertion”. Ce dernier tient d'emblée à recadrer le débat : “Contrairement à une idée reçue, les visites conjugales ne sont pas un droit garanti par la loi. Il s'agit tout au plus d'un privilège accordé à des prisonniers qui répondent à certains critères fixés par l'administration pénitentiaire”. En effet, malgré son appellation, la Khoulwa Acharîya n'est qu'une sorte de faveur, ou récompense, que l'administration pénitentiaire accorde à son bon gré et selon ses propres conditions. Les premières sont la fameuse “bonne conduite” et la durée de la détention. “Les prisonniers indisciplinés, les multirécidivistes, ceux qui sont en détention préventive ou ceux condamnés à de très courtes durées sont automatiquement exclus des visites conjugales”, précise Mustapha Hilmi, énumérant les document administratifs à fournir : un certificat médical attestant de la bonne santé des conjoints, un certificat de non-grossesse, une copie de l'acte de mariage, une copie du livret de famille, des photocopies des cartes d'identité du prisonnier et de son conjoint… Progression fulgurante Jusqu'à récemment, les demandes de visites conjugales devaient êtres adressées au siège de l'administration pénitentiaire à Rabat, où elles étaient traitées par un collège de fonctionnaires en se basant sur les observations des directeurs des prisons. Plus maintenant : les demandes sont désormais adressées aux directeurs des centres de détention, qui ont toute latitude pour décider de l'octroi ou non des autorisations. Cette réforme a été introduite pour accélérer la procédure des visites conjugales. Et visiblement, ça marche : durant les six dernières années, leur fréquence a augmenté de manière vertigineuse, passant de 162 visites conjugales en 2002 à presque… 13 000 en 2008 (voire graphique). Pour autant, certains prisonniers et avocats commentent les chiffres de manière mitigée. “Certes, le nombre des visites a explosé. Mais au profit de qui ? L'administration pénitentiaire ne communique que le nombre des visites, sans détailler le nombre des visiteurs, oppose cet avocat casablancais. Et mettre autant de pouvoir entre les mains d'une seule personne, à savoir le directeur, ne fait qu'augmenter les risques d'arbitraire et de corruption”. Même son de cloche auprès d'un détenu de la prison Zaki à Salé qui a préféré, pour des raisons évidentes, garder l'anonymat : “Ce sont toujours les mêmes qui en profitent. Quand ce ne sont pas des détenus qui soudoient le personnel, ce sont les salafistes”. Les critiques se cristallisent en effet autour de prétendues “faveurs” accordées aux détenus islamistes qui, à en croire notre interlocuteur, ont droit à une visite conjugale par semaine, alors que le commun des prisonniers ne peut espérer mieux qu'une fréquence mensuelle. Parmi les cas les plus souvent évoqués, celui du cheikh Ahmed Rafiki, alias Abou Houdaïfa. Marié à une jeune fille de 25 ans, pendant qu'il purgeait sa peine dans la prison de Oukacha, le septuagénaire aurait été l'un des usagers les plus assidus (“parfois plusieurs fois par semaine”) des 4 chambres réservées aux visites conjugales. Un traitement évidemment envié, au point de provoquer des troubles dans la prison d'Oukacha entre détenus islamistes et prisonniers de droit commun. Un cadeau aux détenus ? Le droit aux visites conjugales serait-il la chasse gardée des islamistes ? Une sorte de “cadeau” que les autorités délivrent au gré de leurs innombrables grèves de la faim ? Me Taoufik Moussaïf Benhamou, avocat du barreau de Rabat spécialiste des affaires de terrorisme religieux voit les choses différemment. “Si les salafistes profitent plus que les autres de la Khoulwa Acharîya, c'est parce qu'ils sont les plus nombreux à en émettre la demande. En plus, ils remplissent souvent les conditions de l'administration pénitentiaire : la plupart sont mariés et condamnés à de longues peines”. Abderrahim Mouhtad, président de l'association Annassir de soutien des détenus islamistes, va plus loin : “Au lieu de critiquer les salafistes, leurs codétenus devaient les remercier. C'est grâce à leur action que cette pratique a été généralisée dans les prisons marocaines”. Et d'ajouter : “En réalité, le problème est ailleurs : l'administration pénitentiaires n'a qu'à aménager davantage de chambres dédiées aux visites conjugales”. Sur les 60 maisons d'arrêt que compte le Maroc, seules 43 sont équipés de chambres pour les visites conjugales, pour un parc total de 94 chambres. “Mais chaque année, nous inaugurons de nouvelles chambres, nuance Mustapha Hilmi. Et toutes les nouvelles prisons en seront dotées”. Répondent-elles à un cahier des charges précis ? “Sans êtres luxueuses, ces pièces sont agencées de façon très correcte : elles disposent de lits confortables, de salles d'eau, ainsi que de tables et de chaises. Et surtout, rien dans ces chambres ne rappelle la prison”, confie Mustapha Hilmi. Passe pour la déco, ce que la plupart des détenus reprochent à ces chambres, c'est d'êtres trop proches des lieux de visite familiale, ce qui rend leur usage embarrassant pour certains détenus. “En 2002, j'avais suivi, avec l'Observatoire marocain des prisons, le lancement des premières chambres dédiées aux visites conjugales à Oukacha, se rappelle Fatna El Bouih, militante associative et ancienne prisonnière politique. J'ai remarqué que la plupart des prisonniers n'étaient pas enthousiastes à l'idée d'utiliser ces chambres. C'était, je présume, une question de pudeur”. “J'ai bataillé dur pour pouvoir profiter des visites conjugales. Mais quand j'ai eu gain de cause, j'ai vite déchanté. Ma femme a été soumise à une fouille poussée et a dû traverser le couloir menant aux chambres sous les regards et les commentaires des gardiens et des autres prisonniers. Après cette première visite, ni moi, ni ma femme, nous ne voulions réitérer l'expérience”, se rappelle un ancien pensionnaire de Oukacha. C'est pour la même raison que la totalité des demandes de visites conjugales émanent des prisonniers, jamais des prisonnières, comme le confirme Mustapha Hilmi. Comme quoi, même en prison, la sexualité n'arrive toujours pas à se soustraire à la Hchouma ! Majdoulein El Atouabi