Pouvez-vous nous dire quel est le point de départ de ce livre ? Steelcase s'intéresse de près à tout ce qui est comportemental. Je suis dans l'entreprise depuis plus de 15 ans et il y a 15 ans, on nous demandait surtout de réfléchir à de meilleures solutions pour améliorer les produits. Et puis le monde du travail a très vite évolué, de manière différente avec de grands axes communs : beaucoup plus de collaboration et de travail en équipe (parfois dans le même espace ou dans des fuseaux horaires différents ou des pays différents) et la mobilité qui amène les gens en dehors de leur bureau. C'est une problématique difficile à résoudre d'autant plus que les entreprises recherchent la rentabilité financière. Il faut donc penser des espaces qui répondent à cette problématique sans coûter trop d'argent. C'est ce qui nous a amené à regarder de près les pratiques de chaque pays en partant du postulat simple que les bâtiments sont très différents d'un pays à l'autre. En Allemagne par exemple, ils sont très étroits, construits en bandes pour répondre à une norme consistant à faire pénétrer la lumière naturelle à l'intérieur. Cette norme est inexistante au Royaume-Uni ou au Maroc. Le contexte réglementaire très différent va vers une certaine normalisation mais sans pour autant que les aspects de confort et de bien-être soient abandonnés par les pays pour qui, c'est très important. La région scandinave ainsi que l'Allemagne et les Pays-Bas sont très attachés à la lumière naturelle, au confort acoustique, à la qualité de l'air. De fil en aiguille, avec une de mes collègues allemandes, on a commencé à collecter, il y a quatre ans, tous les projets clients des différents pays en essayant de comprendre pourquoi à un moment on décide du choix d'un produit par rapport à un autre, comment le projet d'aménagement est relié à l'organisation du travail. Est-ce que la globalisation a un impact sur les spécificités culturelles ? J'ai trouvé une corrélation inversement proportionnelle à l'accélération de la globalisation. Plus on va vers une économie planétaire avec les mêmes téléphones, ordinateurs et logiciels et les mêmes référentiels clés de management, plus on va vers une recherche identitaire locale. La perspective d'avoir une vision universaliste du monde est menaçante. Dans les bureaux c'est encore un signal faible. Ca fait partie des choses que l'on voit dans nos études de tendances et ça suscite de nombreuses questions parce que l'entreprise, compte tenu du contexte économique difficile et de la nécessité de standardiser, a tendance à dire que ce qui marche dans un pays va marcher ailleurs. Et c'est souvent une erreur. Pourquoi avoir commencé par étudier les pays européens ? Parce qu'en Europe, grâce à la CEE et à de nombreuses études comparatives, on a une masse d'informations très importante. On s'est rendu compte que parfois les enquêtes se contredisent. On s'est alors demandé où est la vérité. On s'est lancé dans une investigation de terrain avec le prisme particulier du bureau. Nous sommes allées dans chaque pays rencontrer les architectes, les programmistes, des clients (patrons d'entreprises et salariés), des journalistes et sociologues qui sont vraiment le pouls pour nous de l'évolution de la culture, puis nous avons synthétisé tout ça. Beatriz Arantes, l'auteur de l'étude Vous êtes en train de réaliser une étude similaire au Maroc. Quelles sont vos premières constatations ? Vous êtes en train de réaliser une étude similaire au Maroc. Quelles sont vos premières constatations ? J'ai visité beaucoup de nos projets. L'espace ouvert a du mal à passer au Maroc. Les gens cherchent une protection visuelle par rapport aux autres et c'est certainement l'extension directe de l'architecture locale qui propose très peu de fenêtres. C'est une culture autour du secret. On nous a beaucoup parlé du fait de garder l'information pour soi parce qu'on ne sait pas ce que les autres pourraient en faire. Ce qui est paradoxal, c'est qu'ils aiment se protéger derrière des séparations visuelles tandis qu'au niveau acoustique, ils s'interpellent à 20 ou 30 mètres. Ce qui fait que les espaces ouverts ne sont pas très adaptés car ils supposent une compréhension mutuelle de la vie en société. C'est aussi une culture assez anxieuse par rapport au changement. Etudiez-vous d'autres pays ? Oui, on travaille sur la Russie, la Chine, l'Inde et les Etats-Unis. A chaque fois, on essaye de définir les évolutions prévisibles car ces études sont destinées à aider les décideurs et les architectes à se projeter dans l'avenir. On met en regard chaque profil culturel avec les modèles émergents que sont le travail en équipe et le nomadisme. Quelle est la situation du Maroc sur ces deux axes ? On est clairement au début. Le travail en équipe est très peu développé. Ici, on est assis à son poste face à son ordinateur. Les salles de réunion sont très formelles et très codifiées. On n'est pas dans une logique de collaboration comme elle peut exister au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis. Quant au travail nomade, il est quasiment inexistant. Ce n'est pas du tout accepté de ne pas venir au bureau. Il y a un manque de confiance trop important. Considérez-vous votre livre comme un mode d'emploi ? C'est plutôt un mode d'accompagnement qui donne certaines informations et qui alerte sur les choses qu'il faut prendre en considération quand on aménage un espace de travail. Office Code, diversité culturelle et espaces de travail en Europe : Le décryptage indispensable L'équipe R&D de Steelcase a passé au crible les us et coutumes professionnels de 6 pays européens et présente des «rituels culturels» ou codes qui, s'ils ne sont pas maîtrisés, peuvent provoquer un «carambolage culturel». Cette étude s'appuie sur cinq critères définis par le sociologue hollandais Geert Hofstede : la distance hiérarchique, le degré de collectivisme, le degré de compétitivité, l'attitude face à l'incertitude et l'ambiguité, la relation au temps.