Vous êtes l'initiateur du business social. Pouvez-vous nous expliquer comment ce modèle a fonctionné ? D'abord il faut savoir que le business social n'a en aucun cas une finalité lucrative. Il s'agit d'une entreprise commerciale de droit privé qui paye ses impôts, ses salaries sauf que les dividendes ne sont jamais distribués. Les motivations sont nombreuses dans la vie. Il n'y a pas uniquement l'argent. C'est un projet a dimension sociale qui cherche à résoudre les problèmes de manière viable et durable. On a évité de recourir aux autres œuvres d'intérêt général comme la philanthropie ou les fondations, car à mon sens ce n'est pas très efficace. Outre les différences en termes de statut juridique, ces deux structures sociales cultivent l'esprit de la charité et la donation sans aucun effet de retour sur investissement. Le risque de tomber vous guette toujours avec la crainte de ne pas couvrir ses charges aussi bien fixes que variables. Plus menaçant encore, la charité éteint la créativité, et tant que cette dernière n'a pas de limites, l'entrepreneuriat n'en a pas non plus. Bref, la clé de notre réussite trouve son fondement dans la créativité et non dans la quête de l'argent. Vous avez réussi à pousser vos pions à travers les quatre coins du monde dans un laps de temps très court. Comment est-il possible de profiter de votre expérience ? Nous sommes très heureux de partager notre expérience et notre savoir-faire avec quiconque. D'ailleurs notre ambition est de montrer à tout le monde que ça marche. Seulement, nous exigeons avant tout la mise en place d'un incubateur à même de sensibiliser les populations, leur apporter l'accompagnement et le conseil nécessaires. Autre condition, la mise à disposition d'un Fonds social de 4 millions de dollars. On décline tout un plan de développement de sorte que le temps de retour sur investissement serait de 4 ans, et tout l'argent reste sur place. Il est question de montrer encore une fois au monde que l'Etat a lui seul ne peut pas tout faire et que les populations ont leur rôle à jouer dans la création des richesses. Votre bilan compte aujourd'hui plus de 50 projets portant sur plusieurs activités comme le textile, l'agroalimentaire, la santé, l'énergie… et la banque Grameen fût un succès inédit… Absolument. Dans toute activité bancaire, la solvabilité des clients est un élément crucial. Vous savez, plus de 97 % de nos emprunteurs sont des femmes. C'est la première fois, contrairement aux mœurs du Bangladesh, que la femme possède quelque chose, étant donné que c'est l'homme qui possède tout. Cette situation allait même jusqu'à créer des problèmes de juridictions. Je tiens à vous informer que nous ne disposons pas de juristes au sein notre établissement, même si cela peut paraître étrange. Notre démarche consiste à aller voir les gens sur place toutes les semaines et personne ne sait exactement où sont nos agences. On prête de l'argent sans nantissement ni garantie. Nous sommes arrivés au fil du temps, non seulement à tisser notre toile mais à installer notre propre système de santé. Autrement dit une assurance santé pour toutes les familles. Le concept est simple : c'est un système qui ne tourne que grâce à sa capacité de financement. Il couvre tous les soins médicaux (hospitalisation, médicaments…). Aujourd'hui près de 60 centres hospitaliers ont vu le jour.La première clinique a pu amortir son investissement au bout de 4 ans. Au vu des maladies de l'œil qui sont très répandues chez nous, chaque année ce ne sont pas moins d'un million d'opérations médico-chirurgicales qui sont effectuées. pour chaque intervention chirurgicale de cataracte, le bénéficiaire ne paye que 32 dollars. En termes de ressources humaines, on a créé un centre de formation pour les soins infirmiers, et nous nous sommes parvenus aujourd'hui à inverser la tendance puisque nous comptons pour chaque infirmier trois médecins. Votre ambitieux projet suscite l'intérêt des sociétés multinationales. Y a t-il effectivement eu des rapprochements ? Aujourd'hui, nous sommes présents aux quatre coins du monde. Fréquemment nous recevons des demandes de partenariat comme celles émanant dernièrement de bien de pays comme le Brésil, la Suède, l'Allemagne… Avec le développement de nos activités à travers le monde, les multinationales ont commencé à s'intéresser à nous dans différents secteurs pour ne citer que le cas du groupe français Danone ou encore Adidas, fabricant de chaussures. D'une valeur de 1 million de dollars (partagée à part égale), on a construit en partenariat avec Danone une unité de production de yaourts. Le distributeur livre une à une des familles à leur domicile en leur vendant le pot (enrichi en vitamines et d'autres mineraux) à 1 dirham. L'affaire a bien tourné et la construction d'une seconde unité est en cours.