Sylvain Tesson, grand aventurier de la planète, a captivé son assistance dans la salle du Palais Moulay Hafid, samedi dans le cadre du Salon du Livre et des arts de Tanger, lorsqu'il est revenu sur les grands moments de son parcours de marginal, de spectateur du monde et de vagabond des steppes et des taïgas. Tout a commencé par un tour du monde à vélo à l'âge de 20 ans, en 1993, puis les voyages les plus fous se sont enchaînés : déambulations sauvages qui ont bâti sa réputation de fanatique du silence et de l'isolement. Sylvain Tesson a traversé l'Himalaya à pied sur 5 000 km, parcouru à cheval les steppes d'Asie centrale sur plus de 3000 km et repris l'itinéraire des évadés du goulag depuis la Sibérie jusqu'à l'Inde. Il a vécu six mois en ermite dans une cabane en Sibérie qu'il a acquis sur la rive occidentale du lac Baïkal, qui s'étend sur 700 km de long sur 1m 50 de glace. Est-ce une voracité de la vie ou un ascétisme exacerbé qui a poussé ce jeune géographe à se lancer dans une vie de nomade, folle et radicale ? C'est surtout son côté géographe, qu'il hisse vers un niveau d'érudition forçant l'admiration. « J'ai eu la chance de faire des études de géographie qui m'ont obligé à aiguiser mon regard. Lorsqu'on se présente devant un paysage, il y a un plaisir et une forme de politesse dans la manière de connaître les noms des formes de relief et leur agencement, dans la façon de connaître les mouvements tectoniques qui ont déclenché les convulsions de la terre, de connaître l'histoire du sol et des titans qui l'ont architecturé». explique-t-il La déscipline : une jouissance «Ce regard, qui saisit toute la chronologie qui mène à ce tableau de la nature, fait qu'on ne s'ennuie jamais. Le monde ne se réduit pas à des inter-connections entre des terminaux d'aéroport », ajoute-t-il. Sylvain Tesson a une mystique bien à lui. Ses pérégrinations sont sans doute un point de réconciliation entre la philosophie du géographe et l'approche anarchiste de la vie. Il prouve que la discipline même est une forme de jouissance. « Je ne suis pas mortifère. Il y a un hermétisme qui consiste à s'infliger une sorte de pré-agonie, celui formulé d'une manière romanesque par Jacques Lacarrière dans « Les hommes ivres de Dieu ». Je suis étranger à la mortification et au dolorisme car au fond je suis un jouisseur, tellement jouisseur que le silence, le froid et la nature deviennent des produits de luxe à mes yeux. Ces denrées seront dans quelques années plus prisées que l'or et le pétrole. Dans un monde sous tension, surchauffé, surpeuplé, de plus en plus bruyant, les cabanes seront considérées comme des eldorados», affirme l'écrivain. Selon lui « Il y a quelque chose de quasi-mystique dans la marche, et dans le fait d'affronter la planète avec le simple usage de ses pieds. Chaque kilomètre a de la valeur, et comment l'effort physique en vient à bout relève du secret? C'est une idée que j'ai ressenti dans ma chair jusqu'à l'épuisement. Dans la marche, il y a aussi un rapport à la musique, au battement, au temps, à la pulsation, qui rythme l'avancée et le défilement des kilomètres ». En puisant dans la récitation de poésie, la méditation et la contemplation, l'écrivain a réussi à trouver sa propre ébullition interne. « Au bord du lac, dans ma recherche du silence, seule me perturbait l'extraordinaire symphonie des éléments qui se jouaient sur la rive, animée par des mouvements de tension, de craquements et de froissements. Cette couche sonore occupait tout mon champ et m'empêchait d'entendre le silence pur, sans m'empêcher de faire le silence en moi », ajoute le jeune écrivain épris de réclusion et d'évasion. Sylvain Tesson parle comme il écrit, en poésie, presque en alexandrins. Pour se délecter de ses divagations en solitaire, allez lire ses pépites.« L'axe du loup », « Une vie à coucher dehors » (prix Goncourt de la Nouvelle en 2009) et « Dans les forêts de Sibérie » (prix Médicis de l'essai en 2011) sont autant de délices littéraires que de voyages jouissifs.