Si l'on considère que le Printemps arabe a influencé un changement dans la politique européenne vis-à-vis du Maghreb, comment peut-on mesurer cette influence ? Le Printemps arabe a eu une influence sur la façon dont tout le monde, pas seulement l'Europe, regarde le Maghreb et le monde arabe. Ce qui s'est exprimé à travers ces événements, c'est une double espérance: celle d'un processus approfondi de démocratisation et celle d'un avenir économiquement meilleur. La réponse de l'Union Européenne ne s'est pas fait attendre. Nous avons clairement démontré notre volonté d'aller plus loin avec les pays de la région dans la mise en place de réformes politiques et économiques ambitieuses. C'est pourquoi nous avons aussitôt proposé un Partenariat pour la Démocratie et la Prospérité partagée. Ce partenariat propose à la fois d'aider à la transformation démocratique, de promouvoir des relations renforcées avec la société civile et d'apporter notre soutien à un développement économique durable et équitable. Concrètement cela veut dire que nous avons revu nos programmes d'assistance financière à la région pour les adapter à cette nouvelle donne et à ces priorités. C'est ainsi que pour la période 2011-2012, nous avons augmenté notre assistance financière à hauteur de 2, 8 milliards d'euros en mobilisant les institutions financières internationales dont la BEI et la BERD. Nous avons proposé à nos partenaires du Sud une intégration économique renforcée à travers la négociation des Accords de libre échange complets et approfondis (ALECA). Nous avons également approfondi notre coopération dans des secteurs clés tels que l'énergie, l'environnement, l'innovation et les transports. Nous avons aussi étendu les possibilités de bourses pour les étudiants qui souhaitent terminer leurs études supérieures en Europe. Et si quelques progrès ont déjà été réalisés, beaucoup reste encore à faire. Il est clair aussi qu'une approche purement bilatérale n'est pas en soi suffisante. Elle doit être complétée par des réponses régionales. Nous savons bien, par exemple, que le Maghreb aurait beaucoup à gagner d'un processus d'intégration économique. Les coûts du Non-Maghreb ont été estimés être de l'ordre de 1 à 2% du PIB par pays. Et les avantages potentiels de l'intégration régionale iraient au-delà même des aspects économiques; ils auraient sans aucun doute, comme en Europe, des effets sur des questions relatives à la sécurité, au développement humain dans la région ou encore aux défis communs comme l'environnement ou le réchauffement climatique. Vous avez plaidé pour un «budget de croissance» en soulignant le risque que les pays européens privilégient leur intérêt national. Ne pensez-vous pas que cette logique pourrait également s'appliquer aux relations avec les pays du Maghreb ? J'ai plaidé pour un budget européen de croissance parce que la priorité pour l'Union européenne c'est de renouer avec la croissance et la création d'emplois. Et au niveau européen, en termes d'investissements, notre principal instrument pour renouer avec la croissance et la création d'emplois, c'est précisément le budget européen. Le budget européen nous permet d'avoir de véritables politiques communes et grâce aux synergies ainsi réalisées, nous faisons des économies tout en sauvegardant l'intégrité de notre marché unique et en servant l'intérêt général européen. Dans ce contexte général de réduction du budget européen, je me réjouis que la rubrique des instruments de l'action extérieure enregistrera une augmentation de 3,3 % en termes réels pour atteindre un budget total de 58,7 milliards d'euros pour la période 2014-2020. Notre principal instrument pour l'aide au développement, le Fond Européen au Développement connaîtra aussi une augmentation de 0,6 % pour atteindre 26,9 milliards d'euros. Ceci démontre bien que l'Union européenne reste ouverte vis-à-vis du reste du monde y compris du Maghreb. Je considère que nous, Européens, devons nous donner les moyens d'être à la hauteur des responsabilités particulières que nous avons à l'égard de l'Afrique et de beaucoup d'autres pays du monde. L'Europe ne peut pas manquer à ses engagements de réaliser les objectifs de développement du Millénaire. Et c'est bien en cette Europe-là que je crois, une Europe ouverte et solidaire, une Europe qui ne tourne pas le dos au reste du monde ! La politique de voisinage européenne connaît actuellement une nouvelle dynamique. Quelle est la place du Maroc dans cette configuration ? La place du Maroc dans notre nouvelle Politique de voisinage reste très singulière. Elle offre des opportunités importantes et diverses et je pense qu'aucun pays de la région n'a su à ce stade les saisir autant que le Maroc. Le lancement des négociations sur un Accord de libre échange complet et approfondi ou un Partenariat pour la Mobilité en sont des preuves concrètes. Tout d'abord, le Statut Avancé contenait déjà des pistes de coopération renforcée qui ont inspiré notre Politique de voisinage, cela a permis au Maroc d'avoir une longueur d'avance sur certains partenaires. Ensuite, je note que la vision d'un ancrage à l'Europe est une donnée structurelle dans la stratégie du Royaume qui n'a pas été affectée par l'alternance politique au Maroc. Quels sont les contours de l'accord de libre-échange complet en négociation avec le Maroc ? Qu'apporterait-il de nouveau par rapport au statut avancé actuel ? Le Statut avancé est une feuille de route définissant des pistes de coopération renforcée à tous les niveaux, politique, économique et sectoriel. L'Accord de libre échange complet et approfondi (ALECA) est l'instrument qui permettra de concrétiser le principe de l'intégration économique au marché européen. L'objectif de l'ALECA est d'aller au-delà de la simple libre circulation des biens et des services. Nous connaissons aujourd'hui une circulation sans droits de douanes des produits industriels et une libéralisation des échanges des produits agricoles après l'accord entré en vigueur l'année dernière. Cet accord ira au-delà en libéralisant le commerce des services, en assurant la protection de l'investissement et en harmonisant les réglementations dans plusieurs domaines de l'environnement commercial et économique. L'ALECA permettra un meilleur accès au marché de part et d'autre et un environnement des affaires plus prévisible et plus stable. Dans le même objectif, nous appuyons depuis longtemps le Maroc dans ses efforts de rapprochement législatif vers nos standards, en aidant par exemple des industriels à produire des biens conformes aux normes européennes et accroître leur potentiel d'exportation. Ce vaste chantier qui s'ouvre est donc une étape majeure dans la création d'un espace économique commun qui apportera plus de croissance et d'emploi à l'Union européenne et au Maroc. La question des migrations et de la sécurité sont centrales dans la relation entre l'Europe et le reste du monde. Or, les engagements financiers ne sont pas toujours respectés à la lettre. Pensez-vous qu'une autre politique de la gestion des flux migratoires serait possible ou souhaitable ? Je pense que nous devons réussir à développer avec nos partenaires internationaux une relation solidaire et responsable y compris sur la question des migrations. C'est cette approche qui est précisément au cœur de notre proposition d'un «Partenariat pour la migration, la mobilité et la sécurité». L'objectif étant de promouvoir la mobilité et les échanges entre nos peuples et aussi de mieux maîtriser ces flux migratoires dans notre intérêt commun. Cela nous permettra de faciliter l'accès des travailleurs de pays tiers au marché de l'emploi européen ainsi que la mobilité des citoyens de ces pays dans l'espace Schengen. De leur côté, nos partenaires devront assurer le contrôle de leurs frontières, prévenir l'immigration illégale, et coopérer dans la réadmission des migrants en situation irrégulière. La crise qui secoue le monde depuis 2008 continue d'avoir des répercussions sur l'Europe et logiquement sur ses partenaires maghrébins. Quels sont les mécanismes mis en oeuvre pour compenser ces effets ? Cette crise continue en fait à avoir des répercussions mondiales. A l'ère de la mondialisation et de l'interdépendance croissante de nos économies, nous sommes tous sur le même bateau. Et c'est seulement par des efforts conjoints et coordonnés que nous pourrons ensemble assurer la reprise de l'économie mondiale. Il est important que nous menions à bien les processus de coopération engagés au sein de différentes instances, notamment le G20 afin d'élargir le dialogue et la coopération en matière de réforme du secteur financier, de renforcement du système monétaire international ou bien encore de politiques de soutien à une croissance forte, durable et équilibrée. La stratégie Europe 2020 que vous défendez repose sur la croissance dont le modèle doit prendre en compte les contraintes actuelles (emploi des jeunes, changements climatiques etc). Elle repose sur la nécessité de nouvelles structures de gouvernance, mais aussi sur la concrétisation des engagements déjà pris. Quels sont les blocages et les accélérateurs que vous rencontrez dans cette démarche de la part des pays moteurs en Europe ? En effet, l'une des premières mesures de mon deuxième mandat comme Président de la Commission a été de proposer à la fois des réformes structurelles et une stratégie de croissance intelligente, durable et inclusive dans le cadre de ce que nous appelons «la stratégie Europe 2020.» Cette stratégie ouvre la voie à un changement véritable en proposant d'investir dans une Europe de la connaissance et de l'innovation, une Europe plus verte et compétitive, une Europe de l'emploi et de la cohésion sociale. Il s'agit aussi de tirer les leçons de cette crise et de prévenir de tels problèmes à l'avenir en renforçant la coordination de nos politiques économiques et en créant une plus grande discipline fiscale en Europe. Et la réalité c'est que la crise a joué un rôle d'accélérateur de l'intégration européenne. Elle a montré à quel point nous sommes interdépendants et a souligné la nécessité d'une action européenne plus unie et plus déterminée. Partager une monnaie commune cela a des implications. Pour qu'une Union économique et monétaire soit compétitive, il lui faut de la cohésion et de la stabilité collective. Il lui faut de la discipline et de la convergence, de la responsabilité et de la solidarité. Et nous avons accompli, ces deux dernières années, d'importantes avancées sur ce chemin; des avancées qui étaient encore impensables avant la crise. Nous avons renforcé la discipline budgétaire et approfondi la surveillance macroéconomique. Nous avons créé un cadre permanent pour gérer les crises avec le Mécanisme européen de stabilité. Nous avons aussi franchi, à la fin de l'année dernière et en un temps record, un premier pas décisif vers une union bancaire en décidant d'un mécanisme de supervision bancaire supranationale, élément indispensable pour prévenir d'autres crises. Et c'est cela qui est important. Bien sûr, il serait surprenant qu'il n'existe aucune différence dans une Europe qui repose sur une culture du compromis et de la recherche du consensus entre 27 nations souveraines et démocratiques. Mais l'important ce ne sont pas nos différences. L'important c'est notre capacité à les surmonter. L'important c'est que nous réussissons, en respectant le rythme de notre démocratie européenne, à jeter les bases d'une réponse globale et soutenable à la crise. L'important aussi c'est d'être ambitieux pour l'Europe et veiller à ce que les pays qui veulent avancer plus vite ne soient pas entravés par ceux qui ne le veulent pas ou ne le peuvent pas.