En Tunisie, comme en Egypte, le politique fait de l'ombre à l'économique. Décryptage sur la croissance économique dans la région arabe et la situation en Tunisie avec Mustapha Kamel Nabli, économiste tunisien, ayant occupé le poste de gouverneur de la Banque centrale de Tunisie de 2011 à juillet 2012. Mustapha Kamel Nabli : « Il n y a pas de perspectives de croissance élevée immédiatement ». Quelles seraient, selon vous, les barrières à une croissance inclusive dans la région arabe ? Déjà la croissance dans les pays du Sud de la Méditerranée a été faible, puisqu'elle se situait, durant cette dernière décennie, entre 4 et 5 %. Or ce niveau est insuffisant pour vraiment changer assez rapidement le niveau de vie des populations et réduire la pauvreté. Vous faites des gains mais ce n'est pas assez. La question qui se pose est pourquoi ces niveaux demeurent insuffisants. Les diagnostics actuels arrivent à la conclusion que les réformes, introduites depuis les années 80, n'ont pas abouti à l'émergence d'un secteur privé qui soit assez dynamique. Le secteur privé est resté contraint, limité, pour plusieurs raisons. La plus importante à mon sens était la contrainte politique. Les systèmes autoritaires limitent en effet l'action et la marge du secteur privé. Ce dernier devient otage de certains groupes sans autres qui excluent le reste des entrepreneurs. Et ceux qui souhaitent investir n'ont pas confiance et ont peur d'être expropriés, ou limités. Quel a était l'apport des révolutions ? L'espoir avec les révolutions était justement de lever ces contraintes. Bien sûr à cela s'ajoute les facteurs traditionnelles dans l'environnement des affaires, les restrictions bureaucratiques, et autres. Mais tout cela demeure accessoire, comparé au climat général qui donne à l'entreprise la chance de se développer, d'avoir confiance en l'avenir et s'y projeter. La question de l'inclusivité a trait à l'adaptation de l'offre de l'emploi aux aspirations des jeunes et aux formations qu'ils ont poursuivies, à leurs compétences et qualifications. Et là, nous avons un problème, ! Car, malgré les taux de croissance importants, le taux de chômage demeure élevé. Ce qui signifie que cette richesse créée n'a pas profité à tous. Aujourd'hui, le travail qui doit être fait dans chaque pays est de réviser les politiques, réviser les cadres de réformes pour que la croissance soit plus forte, tout d'abord et pour qu'elle soit inclusive. Comment se présente aujourd'hui la situation économique en Tunisie, après à la Révolution du jasmin ? La révolution a constitué un espoir majeur pour dépasser toutes ces contraintes. Le système de gouvernance était arrivé à des résultats catastrophiques, pas seulement d'inclusion, mais aussi en terme de croissance. Le secteur privé a été ce qu'il était, les inégalités avaient augmenté. C'est un immense espoir, mais la phase de transition est difficile. Nous avons eu une année 2011 assez difficile avec une croissance négative. Le chômage a augmenté. Donc moins de croissance et moins d'inclusivité. La situation a empiré en 2011. Nous avons commencé à avoir une reprise en 2012 mais elle est faible. Elle est beaucoup plus faible pour dire qu'on est sur un chemin de croissance. La situation reste encore fragile parce que le cheminement et la feuille de route politiques ne sont pas clairs. Il y a manque de visibilité. Le secteur privé trouve qu'il n'a pas de visibilité. Les investisseurs nationaux et étrangers attendent. Donc, il n'y a pas encore de dynamisme économique. Il n'y a pas de perspectives de croissance élevée immédiatement et donc d'amélioration de la situation économique. Nous sommes en phase de reprise économique faible qui risque de durer, si les choses ne sont pas améliorées sur le niveau politique. Le gouvernement est-il conscient justement de ce risque ? Du point de vue déclarations, oui ! Mais, dans la pratique, on ne le voit pas, parce qu'au regard des décisions qui doivent être prises sur le plan de la clarification des étapes politiques, de la conclusion des travaux sur la Constitution et des dates des élections, on ne voit pas de perspectives très claires. Ce qui continue de peser lourdement sur l'économie. Marzouki veut un nouveau gouvernement Suite aux affrontements entre manifestants et policiers dans la ville de Siliana en début de semaine, le président tunisien Moncef Marzouki a appelé vendredi à la formation d'un gouvernement restreint lors d'une intervention télévisée. « Il faut changer le gouvernement pour avoir un cabinet compétent de technocrates et non un (cabinet) issu des partis politiques », a déclaré Moncef Marzouki, dans un discours retransmis à la télévision publique vendredi. « Si les affrontements continuent et que la réponse du gouvernement n'est pas adéquate, il y aura le chaos et une impasse ». Le président tunisien a demandé ainsi au Premier ministre islamiste Hamadi Djebali de constituer un nouveau gouvernement après les manifestations contre le coût de la vie très cher qui ont secoué le pays cette semaine faisant plus de 220 blessés mardi et mercredi. De son côté, Hamadi Djebali a rejeté les appels à sa démission et a accusé l'opposition de semer la discorde. * Tweet * *