Pour une fois, l'adage est contredit. Saïd Mouline, qu'il n'est plus besoin de présenter, est «Le Monsieur énergies renouvelables» au Maroc. Patron du Centre des énergies renouvelables (CDER), il sillonne le pays et la planète pour défendre son credo: changer les mentalités et la manière de consommer l'énergie. Et en parlant d'énergie, il en faut pour suivre Saïd Mouline et l'attraper entre deux interventions… Nous avons voulu connaître son avis sur des questions diverses liées au statut des énergies renouvelables au Maroc et sur l'état des lieux ainsi que les perspectives. Logiquement, sa première mise au point est qu'il «faut d'abord arrêter de gaspiller l'énergie avant de parler de changer de source d'énergie». Suit ensuite un constat: «Avec la qualité de son vent et ses 3.500 km de côtes, avec une faible densité d'habitation dans certaines zones, le Maroc a une véritable carte à jouer sur le plan local et sur le plan méditerranéen». A contre-courant des idées reçues, Mouline tient à replacer les biocarburants dans un contexte plus global pour en mesurer l'impact. D'après-lui, si les expérimentations doivent continuer, il serait préjudiciable de concurrencer une agriculture vivrière par une agriculture de biocarburants. Parce que le jatropha, par exemple, est une plante qui consomme de l'eau. De plus, les investisseurs européens qui ont manifesté leur intérêt pour sa culture au Maroc, préféreraient en exporter les graines qui seraient traitées moyennant subventions en Europe alors que le Maroc pourrait en tirer de meilleurs profits et acquérir une expertise technologique importante. De plus cultiver cette plante au Maroc pour la transporter aussi loin a un coût énergétique qu'il faut inclure dans l'équation du coût total et qui en réduit l'intérêt sur le plan environnemental. Mais utiliser cette plante pour reboiser des terres stériles, comme les anciens gisements de phosphates par l'OCP, lui semble une démarche à poursuivre. A côté de ces biocarburants, il y a d'autres sources qui se développent comme les algocarburants en expérimentation aujourd'hui du côté de Tan Tan. Revenant sur l'éolien, nous apprenons que «la qualité du vent au Maroc permet de produire 25% de plus qu'en Europe avec un rendement de 4.000 heures par an contre 3.000 ailleurs». De plus, la disponibilité du foncier rend ces projets moins coûteux au Maroc tandis qu'en Europe la rareté du foncier oblige à construire des fermes éoliennes on-shore, plus complexes et plus onéreuses. Sur le plan stratégique, le Maroc dépend à 97% de ses importations d'énergies. Développer les énergies renouvelables «permet de diminuer sensiblement l'exposition à ce risque et aux fluctuations des cours sur le marché mondial des énergies fossiles». Le Plan solaire marocain avec un budget prévu de 9 milliards de dollars réservera de bonnes surprises puisque l'évolution des technologies fait que les installations devraient coûter moins cher et qu'en calculant la facture énergétique totale du Maroc (consommation de tous les types d'énergies cumulée), on arrive à 71 milliards de dirhams, soit sensiblement le prix du Plan solaire. Comme nous ne disposons pas de réserves de pétrole ni de gaz, le gap est relativement faible. Avec tous ses atouts, avec le risque mesuré que l'on peut anticiper, le Maroc a décidé de prendre les devants. Quel est l'intérêt de se lancer dans cette voie? Sur le plan économique, mise à part la réduction significative attendue de nos importations en gaz, en pétrole mais aussi en électricité, il y a, à la clé, un gisement d'emplois et de création de valeur. On estime à «30.000 le nombre d'emplois directs liés à ce secteur à l'horizon 2020». «Sans parler du fait que le financement de tels projets, à l'échelle mondiale, est bien plus facile que celui d'une centrale traditionnelle». Autre atout qui devrait plaire aux financiers : si la fluctuation des coûts des énergies fossiles sur le marché ne peut être prévue, celle des énergies renouvelables est stable dans le temps. Sur le plan environnemental, le remplacement graduel des énergies fossiles par des énergies renouvelables permet de réduire de manière significative les émissions de dioxyde de carbone. Enfin sur le plan social, le savoir-faire pour développer les activités dans ce domaine est une chance pour le désenclavement territorial puisque la totalité des composants peuvent être produits sur place, ce qui pourrait permettre de développer des régions périphériques. Si la fluctuation des coûts des énergies fossiles sur le marché ne peut être prévue, celle des énergies renouvelables est stable dans le temps. Cette expertise permettrait même au Maroc de se positionner en acteur régional exportant ses produits sur le pourtour méditerranéen et vers le Sud. D'autant plus que le secteur connaît une forte croissance sur le plan mondial. «Nous avons donc tout à gagner», souligne Mouline en appelant à l'inclusion de ce volet dans le Plan émergence. D'un point de vue plus pratique, nous avons cherché une explication à la faible pénétration des chauffe-eau solaires au Maroc. Il faut savoir que «sur tout le pourtour méditerranéen, à l'exception de l'Algérie, ces installations sont la norme, de la Tunisie à Chypre, en passant par la Palestine, la Turquie ou la Grèce». Pour donner une idée sur l'impact de leur généralisation, il faut savoir que «le déploiement de 100.000 unités représente une économie de 12.000 Tonnes équivalent pétrole (TEP) et une réduction d'émission de dioxyde de l'ordre de 107.000 tonnes». Alors pourquoi ce frein? Les premiers chauffe-eau importés au début des années 80 ne répondaient à aucune norme et ont révélé un comportement défectueux conduisant «à la confusion entre les atouts du solaire et la mauvaise qualité des équipements en question». Aujourd'hui, le blocage est d'ordre financier. Il existe un rapport de 1 à 7 à l'acquisition entre un chauffe-eau électrique et un chauffe-eau solaire. Les équipements les plus onéreux, en inox, ayant, bien entendu, une plus longue durée de vie. L'idée de Saïd Mouline, (qui a proposé les cartes prépayées pour la fourniture d'électricité en milieu rural) est de lisser le montant d'acquisition de ces équipements, en alignant l'apport sur le coût d'un chauffe-eau électrique et en apportant le complément sous forme de factures mensuelles qui se substitueraient à la facture d'électricité, le temps de régler son équipement. La qualité étant primordiale, un label devrait être développé pour éviter la prolifération de matériel inadapté. L'autre question que nous avons souhaité aborder est celle de la production d'électricité en dehors de la grille nationale de l'ONE. Ici, la loi est claire: Il existe un seul acheteur possible et c'est l'ONE, mais les nouvelles dispositions de la loi prévoient des aménagements pratiques. Ainsi, pour une production allant jusqu'à 200 kilowatts (soit la consommation d'un ménage moyen), nul besoin d'autorisation. Pour une puissance comprise entre 200 kilowatts et 2 mégawatts, une déclaration est nécessaire. Au-delà une autorisation vous sera demandée. Dans tous les cas, la loi ne prévoit pas la possibilité de création de fermes de production d'électricité qui concurrenceraient l'ONE, mais la formule Energipro® permet pour les clients, qui sont de gros consommateurs, le recours à un tiers qui produirait l'électricité dont ils ont besoin dans le cadre d'un accord tripartite Client-ONE-fournisseur, comme c'est le cas actuellement avec un projet de 100 megawatts en construction dans le sud. En guise de conclusion, Saïd Mouline nous rappelle que l'avenir pourrait nous réserver une crise énergétique plus grave que celle que nous avons connue en 2008 et qu'une manière de l'anticiper est de développer massivement le recours aux énergies renouvelables. Et de rappeler qu'à la tête du CDER, des tests-pilotes sont réalisés sur toutes les pistes qui peuvent présenter un intérêt, comme la génération d'électricité à partir des courants marins, des mouvements de houle, de biomasse et autres gisements d'intérêt.