« Dis-moi Mohamed », documentaire réalisé par Ayoub Layoussifi, suit les pas de Mohamed, chanteur dans le métro délesté de toute contrainte, habité par son art . Le film a été présenté à la Fabrique Culturelle des Abattoirs de Casablanca. Mohamed interprètant sa partition sous l'oeil d'Ayoub Layoussifi. Le métro parisien déverse parfois, dans le flot ininterrompu des passagers qui se pressent chaque jour dans ces multiples rames, de belles surprises. Âmes errantes, exilés, apatrides, ayant choisi les méandres de ses lignes en guise de terre promise. Mohamed est ce miracle, croisé, au plus fort de la ligne 2, qui fleure bon l'Afrique, le Maghreb, l'Asie. Souviens-toi ami lecteur, de l'envolée limpide de son chant raï, qui traverse un temps le ciel bas et lourd nous transportant sur les plateaux de l'Ouest algérien de Saïda, dessinant des sourires sur les visages des passagers au rythme de titres de Cheb Hasni, Cheb Nasro ou encore de ses propres compositions, « Khalitini wahdi madrane ». C'est cette voix singulière, l'histoire de cet Algérien originaire de Tlemcen, que le cinéaste marocain Ayoub Layoussifi a choisi de suivre au fil du documentaire, « Dis-moi Mohamed ». « La première fois que je suis monté dans le métro, c'était à la station Colonel Fabien. Je pensais m'arrêter à la station Père Lachaise, pendant que je chantais, les gens ont commencé à danser, ils étaient contents », confie Mohamed à Ayoub, lors d'un échange chargé d'amitié. La caméra qui enserre ces moments de vie, suit les pas de Mohamed, qui chante la mère, la soeur, l'absence et la terre natale. « Je me languis du pain de ma mère, je me languis du café de ma mère (...) ». Ponctué au passage, par la voix off du réalisateur, apparaissant aux côtés du chanteur durant certaines séquences intimistes, où darija et algérien dialectal fusent, alors langues de l'émotion pour le personnage et le cinéaste, loin de leur pays. On pense notamment à travers la voix de Mohamed, qui a vécu la décennie noire, aujourd'hui exilé, à celle de Dahmane El Harrachi, qui chantait le départ des anciens, la première vague d'immigrés algériens avec le titre « Ya Rayah ». Mohamed, nous rappelle aussi, que l'Histoire se répète d'une rive à l'autre de la Méditerranée : nos frères humains continuent, tout au long des décennies leur marche pour une meilleure vie. Mordre la vie, investir l'espace Loin de servir un discours misérabiliste, Mohamed apparaît au fil du film, le sourire en bannière. « Mohamed est pétri de dignité.C'est quelqu'un qui sait de plus, ce qu'il veut. Lorsque je l'ai approché pour lui parler de mon projet de film documentaire, il m'a répondu, laisse-moi réfléchir (sic). Il est aveugle et sans papiers mais il respire la vie. Il ne se cache pas et se jette tous les jours dans le métro parisien sans en avoir peur en se disant, j'ai une voix, j'y crois et j'y vais.zEn France, il sent qu'il est un être humain alors que dans les sociétés méditerranéennes, il aurait été mis à l'écart. Mohamed incarne de plus, le lien fort qui unit le Maghreb à la France », souligne Ayoub Layoussifi. Lancé dans le son raï de ce personnage, qui scande une forme d'ode à la liberté, semblant l'incarner lui-même, Mohamed nous embarque dans le pouls battant, les venelles sombres, les couleurs grouillant de vie de Belleville : l'Afrique, éclatante, au coeur de Paris, ayant survécu au discours bleu, d'une France blanche encore aux commandes d'une frange politique de droite, lors de l'été 2011. Aux Folies, au Zorba, Mohamed vit et dit toujours sa passion, passée l'heure bleue, où les frontières sociales, ethniques, n'existent plus : chacun savourant au comptoir, la partition de l'artiste. Produit par Nassim El Mounabbih, coréalisé avec Jéro Yun, issu du cinéma asiatique, « Dis-moi Mohamed » est le portrait rêveur de Mohamed, vivant son destin au nom d'une bohème vagabonde marquée par l'emprise poétique de sa terre natale. « J'ai découvert un homme sensible, fort, qui garde espoir. Il a vécu huit ans loin de sa famille et de sa patrie. Bien que Mohamed n'existe pas administrativement en Algérie et en France, il existe au yeux de ceux qui l'entendent et le voient tous les jours. Il interprète totalement ses chansons, il est compositeur. Il offre indéniablement, une part d'Algérie. La première fois que je l'ai entendu, j'ai prolongé mon voyage, conquis par la tessiture de sa voix. J'aime retrouver la réalité, la vérité de certaines personnes. Je ne peux pas y être insensible, même dans la dureté, se dégage de la beauté », précise le cinéaste Ayoub Layoussifi. « Dis-moi Mohamed » sera présenté dans les prochains festivals au Maroc, en Espagne, au Canada. Un dossier destiné à régulariser la situation de Mohamed se constitue, souhaitons- lui chaque jour, « latcho drom », bonne route en gitan. * Tweet * * *